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Chapitre 1. L’acceptabilité sociale et ses principaux concepts

5. L’acceptabilité sociale, une notion débattue

Batellier (2015, 2016) incite à débattre des différentes approches de l’acceptabilité sociale adoptées par les chercheurs et les acteurs de terrain. Il est notamment question d’identifier les postulats récurrents et de mettre en lumière certaines confusions qui peuvent influencer les acteurs dans leur manière d'aborder l'acceptabilité sociale et de la concevoir. Il est important de considérer les spécificités et les relations entre les différentes formes de réponse du public (perceptions, attitudes, comportements et discours), ainsi que la diversité sociale des acteurs et leurs moyens d’expression collective. Batellier précise que la dimension sociale de l’acceptabilité peut s’entendre à différentes échelles et concerner des individus, des groupes d’individus ou une population entière. Pour lui, l’acceptabilité sociale peut avoir des sens variés selon les usages et être utilisée en tant qu’outil, analysée en tant que processus ou être considérée comme un état de fait, ce qui peut être source de critiques et d’incompréhension.

Raufflet (2014) indique que ces incompréhensions dans la manière de procéder provoquent des tensions entre les acteurs de projet qui considèrent l’acceptabilité sociale davantage comme un outil, tandis que les chercheurs ont tendance à l’envisager comme un processus ou un résultat. De plus, une des principales critiques à son égard est sa légitimité et la manière dont certains acteurs l’emploient pour catégoriser les opinions réfractaires d’un public comme obstacles à lever. Sans questionner la mise en œuvre parfois problématique des projets concernés, il peut également s’agir d’une recherche d’acceptation active des populations de la part des pouvoir publics, ce qui est plus largement décrié (Granier, 2016). Ce questionnement nécessaire doit prendre en compte les possibles modifications que peut provoquer la mise en place d’un système technologique sur les pratiques sociales dans un territoire (Pigeon, 2015).

Certains chercheurs souhaitent utiliser d’autres termes pour éviter les confusions et mieux mettre en avant certains concepts, comme la réception sociale de l’urbanisme (Semmoud, 2007) ou encore la faisabilité socio-technique (Zélem, 2012). Semmoud relève que les professionnels de l’aménagement, impliqués dans les projets technologiques, considèrent souvent que l’espace conçu, l’espace vécu ou l’espace perçu ne font qu’un. Ainsi, lors de la reconfiguration de l’aménagement d’un espace, leurs pratiques peuvent se retrouver en confrontation avec celles des usagers qui vont essayer d’ajuster cet espace à leurs attentes. Ils peuvent en conséquence construire un « contre-espace » plus adapté aux besoins individuels.

35 Ces comportements peuvent être renforcés dans le cas de transformations liées à une technologie, qui nécessitent que la technologie puisse être ajustée et réappropriée. Zélem préfère alors le terme de « faisabilité sociotechnique » d’une technologie, partageant les responsabilités entre une dimension technico-politique et une dimension sociale incluant adoption et usage. Cette faisabilité est préalable à l’insertion sociale des énergies renouvelables car elle peut mettre en évidence un décalage entre les attentes du public et ce qui lui est véritablement proposé. Granier (2015) complète cette vision en parlant d’« expérimentation sociotechnique » comme moyen de production de l’acceptabilité sociale d’un projet, et non pour « faire accepter » ce dernier.

Pour Oiry (2015), les confrontations évoquées par Semmoud proviendraient du fait que l’acceptabilité sociale est un produit de stratégies de finances et de communication de la part des porteurs de projet qui n’inclue que peu les acteurs du territoire. Elle associe l’acceptabilité à une gestion des conflits et des mécontentements, opposant différents imaginaires autour d’un même objet. Elle donne ainsi l’exemple des énergies marines sur le littoral maritime, sources d’usages pour les uns, paysage à préserver pour les autres et source de production d’énergie renouvelable pour les industriels. Ainsi, des aménagements peuvent perturber le paysage et les usages présents, alors que les nouvelles installations peuvent être de leur côté sources d’emplois et de revenus. Oiry propose donc, à l’instar de Raufflet (2014), de distinguer l’acceptabilité sociale du point de vue des acteurs du territoire de celle du point de vue des porteurs de projet. Pour les acteurs du territoire, il s’agirait d’un processus par lequel ils donnent un consentement à des projets d’aménagement, en amont, sur la mise en place d’usages ou d’infrastructures sur un territoire. Pour les porteurs de projet, il s’agirait davantage de s’assurer que la population locale ne s’oppose pas au projet envisagé. Selon Oiry, l’acceptabilité sociale nécessiterait vigilance et même méfiance, car elle serait ainsi considérée comme un moyen de prévenir, en amont, ou de résorber, en aval, un conflit, en fonction du bénéfice économique que peuvent en retirer les populations locales, réduite à un rôle de consommateur.

Granier (2015) pense, en revanche, que la notion d’acceptabilité sociale n’est pas à disqualifier. Il avance qu’elle peut encore être davantage définie. Pour cet auteur, les remarques négatives qui lui sont conférées sont en fait plutôt associées à la représentation que les acteurs qui mobilisent cette notion en ont. Cet avis est partagé par Pigeon (2015) qui ajoute une dimension de compromis et d’influences entre une identité locale dans un territoire donné et les choix des décideurs au sujet d’une technologie. Moula, Maula, Hamdy, Fang, Jung et Lahdelma

36 (2013) soutiennent également la pertinence de la notion d’acceptabilité sociale. Dans le cas des problèmes liés aux énergies renouvelables, ils indiquent que le grand public n’a pas la même vision que des techniciens spécialisés. Il est, pour eux, nécessaire d’étudier davantage les connaissances des personnes sur ces technologies, en considérant toutes les variables connectées à l’acceptabilité sociale. Pour qualifier ce besoin de définition et d’études, Granier (2015) prend l’exemple de projets utilisant des technologies d’information et de communication avancées, où les usagers sont impliqués et leurs opinions concentrées sur l’aspect scientifique, même si ceux-ci n’ont pas forcément un fort pouvoir de décision quant aux débouchés d’un projet. Enquêter dans les conditions énoncées par Granier et envisager d’évaluer l’acceptabilité sociale nécessite de réfléchir aux variables à prendre en compte et aux méthodes à utiliser.