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L’absence d'un véritable droit d'alerte au profit des associés

Section II: L'absence d'effet véritable des techniques d'alerte

2- L’absence d'un véritable droit d'alerte au profit des associés

2- L’absence d'un véritable droit d'alerte au profit des associés

241. L’institution par la loi du 1er mars 1984 du droit d alerte au profit des associés ou les actionnaires pourrait se justifier par leur détention du pouvoir sociétaire de nommer et de révoquer les dirigeants sociaux et du pouvoir de faire adopter les mesures nécessaires au rétablissement de la situation. Ce pouvoir énorme dont ils disposent devrait leur permettre de jouer un rôle fondamental lorsque la société dans laquelle ils sont associés ou actionnaires connaisse des difficultés pouvant compromettre la continuité de son exploitation449 .Et pourtant le constat d ailleurs regrettable est que ce droit d alerte n'est pas une véritable alerte450. Certains auteurs l'ont même qualifié de « mini alerte » ou de «petite alerte»451qui se limite à la possibilité de poser des questions écrites aux dirigeants lorsqu'ils constatent des « faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation ». Leur droit d'alerte s'arrête là car ce sont les commissaires aux comptes ou le comité d'entreprise qui déclenchera effectivement l'alerte.

447 Ph. Roussel Galle, Les acteurs de la prévention des difficultés des entreprises, Entretiens de la sauvegarde, 29 janv. 2007, Dict. perm. Diff. Ent. , Bull. 279, 8 févr. 2007, p. 4664.

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I. Rohart. Messager, La prévention par les présidents des tribunaux, art. préc. p.5.

449 Ph. Roussel Galle, «Les acteurs de la prévention des difficultés des entreprises, Entretiens de la sauvegarde, 29 janvier 2007, Dict. perm. Diff.ent., Bull.279, 8 février 2007, p.4664.».

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I. Rohart. Messager, La prévention par les présidents des tribunaux, art. préc. p.5.

121 Plus concrètement, le droit d'alerte des associés n a aucune portée véritable, en outre, le domaine et le principe de cette alerte sont limités. En effet, les titulaires de ce droit sont spécifiquement définis par la loi. Il s’agit des associés minoritaires uniquement pour les sociétés anonymes452. Il résulte que ce droit d’alerte n’existe pas pour les autres sociétés commerciales. Cela dit, les associés de ces sociétés ne pourront pas demander des explications aux dirigeants s'ils constatent des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. On peut considérer cette exclusion comme un oubli de la part du législateur, car rien objectivement ne justifie cette exclusion. De plus surtout que l'alerte, lorsqu'elle est déclenchée et quelque soit sa portée, constitue toujours un clignotant permettant d’appréciablement la situation économique ou financière de l'entreprise.

242. En outre, il y a lieu de relever que dans les sociétés anonymes et les autres sociétés par actions, seulement un ou plusieurs représentant au moins 5°/° du capital social peuvent mettre en œuvre ce droit d'alerte. Ces derniers peuvent poser des questions écrites que deux fois par exercice. Cette restriction du domaine de l'alerte des associés est révélatrice du manque d'influence de cette alerte en matière de prévention détection. Une autre limite résulte du fait que les textes ne prévoient pas de forme particulière aux questions posées par les associés, ni aux réponses qui leur sont données par les dirigeants sociaux. Les questions doivent être posées par écrit. En revanche, aucune modalité d'envoi de ces questions écrites n a pas été prévue. On peut donc préconiser aux associés le choix de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou en cas de dépôt des questions au siège social de la société, l’exigence d'accusé réception en mains propres. Quant au contenu des questions posées et en l absence de précision des textes, il semble opportun de faire figurer dans la question la qualité d associé et le nombre d’actions ou de parts détenues. Quelle que soit la forme utilisée, les associés doivent se ménager la preuve de l’envoi des questions. La réponse aux questions des associés minoritaires doit se faire par écrit, elle est d'ailleurs obligatoire. L'article 225-232 du code de commerce souligne que la réponse est communiquée au commissaire aux comptes. Aucun texte ne prévoit en revanche si la réponse doit être adressée personnellement à l'actionnaire ou à l'associé qui a posé la question ou si elle doit être consulte au siège social. En tout état de cause, les dirigeants qui ne répondraient pas aux questions engageraient leur responsabilité civile et commettraient le délit d'entrave s'ils ne faisaient pas parvenir leur réponse au commissaire aux comptes.

122 243. A ce niveau déjà, les conséquences de la réponse ou de l'absence de réponse des dirigeants mettent en lumière les limites et l'insuffisance de cette procédure d'alerte comme moyen de prévention des difficultés de l'entreprise. On constate d'ailleurs que l'alerte instituée par les articles 2253-36 et 225-232-2 du code de commerce ne comporte qu'une seule phase. C’est la preuve du peu d intérêt que lui porte le législateur contrairement à l'alerte du commissaire aux comptes qui comporte plusieurs phases. Aussi ces textes ne permettent pas aux associés minoritaires de saisir le conseil d’Administration ou le conseil de surveillance ou encore l'assemblée des associés ou les actionnaires, pour que ces organes prennent les mesures appropriées à la situation.

244. Cela dit, pour que le droit d’alerte constitue une véritable mesure d’alerte, des palliatifs au dispositif légal actuel s'imposent453. Ainsi, lorsque les associés minoritaires constatent une absence de réponse de la part des dirigeants ou, s ils estiment les réponses non satisfaisantes, ils devront utiliser d autres voies non prévues par les textes actuels afin d'alerter les associés ou les actionnaires majoritaires, pour qu'ils prennent des mesures appropriées.

245. Parmi ces moyens de poursuite de la procédure d'alerte par les associés, il y a la possibilité de communiquer les questions posées et les réponses obtenues à l'assemblée générale des associais ou des actionnaires. Il y a également la cessibilité pour les minoritaires de provoquer la convocation d’une assemblée générale et de proposer des projets de résolution à cette assemblée. L'expertise de gestion pourra être aussi déclenchée par les associés ou actionnaires minoritaires. Ces actions peuvent être cumulées dans la mesure où leur champ d'application est différent. En revanche, il ne faut pas que leur utilisation présente un caractère abusif. En outre, les associés ou les actionnaires minoritaires peuvent également tenter de faire relayer leur action par d’autres acteurs notamment le commissaire aux comptes, le comité d entreprise et même par le président du tribunal de commerce.

246. La procédure d'alerte des associés de droit OHADA est limitée pour deux raisons. D'abord elle revêt un caractère limitatif et ensuite elle est limitée dans le temps. Le législateur OHADA s'est contenté de reconduire le droit d'alerte des associés tel que prévu en droit français sans aucun effort de correction. Les mêmes lacunes ont été logiquement reproduites dans la zone juridique de l'espace OHADA. On ne pouvait donc pas espérer grand chose cette procédure.

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123 247. Il ressort des dispositions des articles 157 et 158 de l'AUDSCGIE que tout associé ou tout actionnaire peut adresser par écrit des questions au gérant ou au principal dirigeant de la SA, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. Ces deux dispositions comportent certes des innovations louables, mais il n'en demeure pas moins que la procédure d'alerte des associés reste fragilisée en raison de son caractère facultatif. En effet, il ressort des articles précités, que les associés ont simplement un droit et non le devoir de déclencher l'alerte. Ce n'est donc pas une obligation pour les associés de déclencher l'alerte. A la différence des commissaires aux comptes, les associés ne sont pas obligatoirement tenus, en cas de constat des indices de difficulté, d’enclencher la procédure d'alerte. On peut alors penser qu'ils ne se préoccuperont véritablement de l'alerte que lorsqu'ils sentiront leurs intérêts véritablement menacés. N'étant pas tenus de déclencher l'alerte parce que ne disposant pas à proprement parler d'un droit d’alerte454

. La conséquence logique de cette faculté est que les associés ne pourront en aucun cas également voir leur responsabilité engagée pour abstention. Inversement, leur responsabilité ne pourra être engagée pour alerte non fondée. Aussi peut-on craindre des actions menées par simple complaisance ou de manière irresponsable. C'est certainement pour éviter d’éventuelles actions superflues que le législateur a limité les possibilités d'alerte par les associés, ce qui n'est pas de nature à favoriser son efficacité.

248. En plus d'être facultatif, le droit d'alerte des associés doit s'exercer dans un délai temporel bien défini c'est à dire deux fois par exercice. Or contrairement aux commissaires aux comptes qui doivent déclencher l'alerte toutes les fois que la situation de l'entreprise est préoccupante, les associés sont dans l'obligation d'exercer leur droit que dans ce délai précis. Autrement dit, au-delà, de ce délai, l'associé ne sera plus recevable dans sa demande d'explication, sauf à l'occasion des assemblées générales où il pourra toujours poser par écrit des questions aux dirigeants455. Pourtant les faits « de nature à compromettre la continuité de l'exploitation » peuvent se manifester à tout moment de la vie sociétaire et toutes les fois qu'un acte inopportun est posé par les dirigeants. Il est donc possible qu'une fois les deux possibilités d'exercice de leur droit d'alerte épuisé, même s'ils dispensent d'informations qui indiquent clairement que la situation de l'entreprise risque d'être compromise dans son exploitation, ils ne peuvent pas déclencher une alerte.

454 C. Saint-Alary-Houin, op. cit. p. 163 ; OHADA, sociétés commerciales et GIE, ouvrage collectif op.cit. p. 163.

124 249. Dans un tel cas, il va falloir que les associés espèrent que le commissaire aux comptes veuille bien exercer son droit d'alerte afin de porter l'information aux dirigeants sinon la situation de l'entreprise pourra se dégrader rapidement. C'est pour cette raison que la procédure d'alerte est qualifiée de subsidiaire456 par rapport à l'alerte du commissaire aux comptes qui lui sert en quelque sorte de relais. La limitation des pouvoirs de contrôle de la société par les associés est assez curieuse quand on sait que dans plusieurs sociétés de droit OHADA, il n'existe pas de commissaires aux comptes chargés d'assurer un contrôle suivi des comptes. Les associés n'ont donc pas les mains libres comme les commissaires aux comptes en matière d'alerte. A la différence de ces derniers, qui ont le pouvoir d'inviter les dirigeants de la société anonyme à faire délibérer le conseil d'administration ou l'administrateur général à se prononcer sur les faits relevés en cas d'insatisfaction457les associes n'ont nullement cette possibilité.

250. Bien plus, le commissaire aux comptes peut établir un rapport spécial qui est présenté à la prochaine assemblée générale en cas d'inobservation par les dirigeants de leurs obligations face à l'alerte, ou si en dépit des décisions prises, la continuité de l'exploitation reste compromise. Ce sont des choses que l’associé ne peut décider dans le cadre de l'exercice de son droit d'alerte. Tout au plus, devra-t-il obligatoirement passer par le commissaire aux comptes s'il veut aboutir à de tels résultats458. On peut donc penser que les commissaires aux comptes ont un droit de regard sur les résultats de l'alerte obtenus par les associés dans la mesure où ils ne convoqueront le conseil d'administration ou l’assemblée générale qu’après s’être assurés de la réalité de la menace.

251. Au regard de tout ce qui précède, le constat est que la procédure d'alerte par les associés est d'une efficacité limitée. Il est à craindre qu'elle ne permette en fin de compte à l’associé que de prendre date, en montrant qu'il a eu connaissance des difficultés qu'a rencontrées l'entreprise à un moment donné. Toutes les critiques ici faites ne sont pas méconnues du droit français459. Le seul mérite du législateur OHADA à propos de l'alerte des associés comme de l'alerte du commissaire aux comptes est d'avoir institué des mécanismes de détection dans la zone OHADA. Mais il a fait preuve de paresse législative en reprenant sans les ignorer, les mêmes lacunes déjà présentes et critiquées en droit français. Même si certains auteurs français semblent faire l'apologie de l'alerte des associés en se référant à sa

456 A. S. Alghadi, op. cit. p. 51. 457 Art. 155 AUDSCGIE. 458

Voir Art156 et 158 AUDSC et G.I.E.

125 finalité et à son contenu460. Il faut convenir que l'alerte des associés en droit OHADA et en droit français demeure “le parent pauvre de la prévention461

. Les associés peuvent toutefois solliciter du président de la juridiction compétente la désignation d'un expert chargé de réaliser plusieurs opérations de gestion. Il en résulte que même si la prévention des cessation des paiements n'est pas acquise par l'effet de l'alerte, les associés disposent d'autres moyens pour contrôler la gestion des dirigeants, puisque dans le cadre du droit d'alerte des associés, le nombre d'alerte se fait par associés et non globalement462. Ce qui pourrait permettre en fonction du nombre d’associé, d’avoir plusieurs possibilités d’alerte.

252. En conclusion, les textes relatifs à l'alerte des associés sont insuffisants pour parvenir à la mise en place de mesures propres destinés à pallier aux difficultés de l'entreprise, avant qu'il ne soit trop tard. Le droit d'alerte dont bénéficient les minoritaires, procède plutôt de l'information que d'une véritable prévention dans la mesure où ce droit se limite à poser des questions aux dirigeants sociaux et que la procédure s'arrête à ce stade, qu'il soit répondu ou non aux minoritaires par les dirigeants, et que les réponses qu'ils auront obtenues soient ou non satisfaisantes. Ainsi cette procédure ne permet pas de saisir les organes qui ont le pouvoir de mettre en œuvre une véritable prévention si cela est nécessaire. Il est regrettable que les différents législateurs ne soientt pas allé au-delà de l’information dans les prorogatives qu'il a accordées aux minoritaires. C'est en cela, que cette procédure ne répond pas pleinement à l’objectif de prévention pour lequel elle a été instituée.

3- L’incertitude quant au devenir des groupements de prévention agréée

253. Le code de commerce à travers l'article L.611-1 a institué un droit d'alerte au profit des groupements de prévention agréée. Aux termes de cette disposition, lorsque le groupement relève des indices de difficultés, il en informe le chef d entreprise et peut lui proposer l’ intervention d’un expert. Leur raison d'être repose sur l'idée que les petites entreprises ne disposent pas généralement de moyens nécessaires pour se procurer les services d’un homme de chiffre afin d’analyser la situation de l'entreprise et prendre, le cas échéant, les mesures utiles463.

460

F. Perochon, op. cit. p. 52 ; C. Saint -Alary –Houin, op. cit. p. 109.

461 Y. Guyon, Droit des affaires, T2, Entreprises en difficultés, Economica, 9 è éd. 2003, p. 69. 462 A. S. Alghadi, Perfectible droit, op. cit., p. 57.

463

P. Scotto Di Carlo, « Les mécanismes juridiques de l alerte, in La prévention des difficultés des entreprises », art.préc. pp.55 et s.

126 254. Plus précisément, les groupements de prévention ont été institués afin de fournir à leurs adhérents de façon confidentielle une analyse des informations comptables et financières qu’ils s’engagent à lui transmettre régulièrement. Or il y a lieu de faire observer que cette adhésion n est pas obligatoire pour le chef d’entreprise, il peut donc s’en passer, ce qui montre le manque d'emprise véritable de ce droit d’alerte dans le système français de prévention détection. Par ailleurs même quand le chef d’entreprise décide d y recourir, le groupement ne dispose pas de moyen de coercition pour obliger ce dernier traiter les difficultés qu'il lui a révélées. Evidemment, le traitement de ces difficultés ne se fera pas dans le cadre de la prévention détection, le système de prévention détection ne disposant pas d'outils juridiques de traitement des difficultés, leur rôle se limitant strictement à un objectif d'information du débiteur. La mission du groupement lorsqu'elle est sollicitée s'analyse donc en une simple mission d information, le débiteur demeurant libre de ne pas donner suite à la proposition qui lui est faite, de même d'ailleurs, qu'il lui est loisible de ne pas réagir aux informations que lui a données le groupement de prévention. On comprend à juste titre qu'elle soit qualifiée par un auteur de “mini alerte464

.

Selon un auteur, les groupements de prévention ont été un échec465. La première raison de cet échec est liée à la réticence des chefs d'entreprises à autoriser ce qu'ils estiment être une surveillance de leur gestion, voire une ingérence par les dits groupements dans leurs affaires. Ensuite, il y a la concurrence dont ils font l'objet. En effet, les entreprises disposent désormais de plusieurs sources d'informations sur leur situation, cela a fait dire un auteur466 que les groupements de prévention agréée sont pratiquement inutiles dans le dispositif actuel. Objectivement, le rôle de ces groupements de prévention n'est plus indispensable, malgré les amendements tendant à accroitre leur mission, d'ailleurs rejetés467. Leur portée reste largement faible, surtout que de plus en plus certains professionnels libéraux comme les avocats sont sollicités par les entreprises en matière de détection des difficultés468. Dans l'ensemble, toutes ces techniques servent de relais à l'alerte du commissaire aux comptes.

464 C.Saint- Halary- Houin, op.cit. p. 110.

465 P. Scotto Di Carlo, « Les mécanismes juridiques de l alerte, in La prévention des difficultés des entreprises », op.cit. pp.55 et s.

466 T. Bellot in table ronde, art. préc. pp. 49 et s. 467C. Saint-Alary-Houin, ouvrage op.cit. 110. 468

M. Bollet, in la prévention des difficultés des entreprises, Analyses des pratiques juridiques, sous la direc. G. Blanc, art. préc.. p. 139 et s.

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