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5. P RÉSENTATION DES RÉSULTATS

5.2 L ES FACTEURS D ’ INFLUENCE DU NUMÉRIQUE SUR LA CRÉATION

5.2.2 L A PLATEFORMISATION RÉINVENTE LA CRÉATION

Bien plus que les commentaires en lignes sur les réseaux socionumériques, c’est la plateformisation des contenus qui influence le plus la création. En effet, nous avons découvert que par son internationalisation, son format et ses multiples possibilités techniques, la plateforme vient modifier le travail des producteurs.

Pendant plusieurs années, les contenus numériques étaient créés par obligation des diffuseurs et des Fonds. Les producteurs devaient faire des contenus convergents pour ajouter une valeur à leurs productions et développer un site Web pour chaque projet. Certains producteurs l’ont vu comme un mal nécessaire et croisaient les doigts pour que le vent tourne ; d’autres ont embrassé ce courant et en ont profité pour faire des contenus accrocheurs et pertinents.

Le numérique, ça nous permet de trouver des façons différentes de bonifier nos projets. Ça, c’est le fun. […] Moi, je trouve qu’un volet numérique qui est pertinent, c’est un volet qui peut donner un second souffle à l’histoire. Si t’as accès à du contenu que tu n’aurais pas accès nécessairement juste en écoutant la série. […] Fait que, pour moi, le numérique, c’est le fun quand c’est vraiment complémentaire, quand ça permet de pousser un peu l’univers de la série. (Producteur de séries pour adolescents).

Depuis, les contenus convergents ne sont plus obligatoires et sont beaucoup moins financés qu’au début de cette tendance, en 2010. Cependant, les producteurs ont continué de travailler avec le numérique, mais pour des plateformes déjà établies où ils peuvent rejoindre leur public. La plateforme, que ce soit Tou.TV, Netflix, Facebook, YouTube ou autres, apporte son lot de défis techniques et de nouvelles façons de faire. Des contenus plus courts pour des médias sociaux (YouTube, Facebook, Instagram, etc.) semblent être la stratégie en vogue.

C’est sûr que tout est pensé et écrit en pensant à la plateforme aussi, parce qu’en Web, faut plus vite que tu sois dans l’action, faut que tu sois plus punché. Les longues intros, ça ne marche pas ; les génériques d’ouverture qui finissent plus, tu ne fais pas ça en Web. (Productrice généraliste à l’innovation).

Le processus créatif est modifié pour se coller à ce rythme expéditif. Il faut trouver le moyen de garder le spectateur engagé dès les premières secondes de la vidéo.

Dans le rythme créatif d’une série ou d’un épisode, on doit s’assurer que, dès les quinze premières secondes, l’accroche est là pour que la personne reste intéressée à ce qu’on fait. Donc, ça change complètement le processus créatif parce que tu n’as pas le temps d’installer quelque chose. […] Sinon, la vidéo suit le cours de ton fil d’actualité normal sur Facebook. (Productrice de séries jeunesse).

Quant à la qualité des productions, il y a, selon certains producteurs, un nouveau standard dans l’industrie internationale.

Tu sais le nouveau standard, c’est Netflix et HBO, mais je te dirais que Netflix, c’est vraiment rendu dans tous les domaines. Ils en font tellement que tu te dis : « est-ce que c’est un calibre Netflix ce qu’on fait ? » […] Puis ça, tu sais, ça remonte la barre. […] Je pense que, de nos jours, si tu veux survivre et être encore là dans 10 ans, il faut que tu sois du calibre Netflix. Tu sais, il faut que tu fasses des affaires qui a un attrait universel. Mon histoire a beau être québécoise, elle peut intéresser un Suédois ou quelqu’un de Madagascar parce que, justement, c’est une vraie histoire, ce n’est pas juste des petits sujets insignifiants. (Producteur de séries documentaires Web et télé).

La propagation des contenus à l’international fait en sorte que les producteurs ont de nouvelles histoires à découvrir, mais aussi de nouvelles façons de faire ou des nouveaux formats de diffusion à développer.

Tu vois des nouveaux formats sur ces plateformes-là. Tu vois des durées que tu n’as pas vues, des shows de 12 minutes, tu vois des façons de faire du documentaire. Quand j’ai vu Making a murderer, je me souviens, je me disais : « wow ! Comment ils ont utilisé les archives téléphoniques, c’est incroyable. » Tu sais, y a des astuces et je trouve qu’ils font monter la barre. Ils donnent des bons budgets aux créateurs et ça fait en sorte que tout le monde doit suivre cette puck-là. (Producteur de séries documentaires Web et télé).

Ce besoin d’atteindre la qualité dite « Netflix » permet à des plateformes québécoises, comme

Club Illico ou Tou.TV, d’investir dans des émissions plus nichées auxquelles ils n’auraient jamais

télé conventionnelle, on fait des shows conservateurs. On fait des shows qu’on pense que tout le monde va aimer. […] ils (les propriétaires de plateformes) achètent aussi des séries plus audacieuses parce que la population est différente. T’as toujours 25 % de la population qui sont games d’en prendre ; 50 % qui sont dans la courbe normale du

mainstream puis l’autre 25 %, souvent, c’est des gens qui sont orphelins de télévision :

ils se promènent à gauche et à droite. Si tu veux être capable de prendre les goûts de tous ces groupes-là, il faut que t’offres toutes sortes de produits. (Producteur de séries fictives grand budget).

En définissant leur public cible, les diffuseurs peuvent ensuite commander des contenus qui sortent du cadre et, ainsi, nourrir la créativité des équipes de production.

En numérique, on accepte que les cibles soient mieux définies. Ça, ça m’allume parce qu’on peut essayer des affaires qu’un grand diffuseur n’aurait pas nécessairement faites en heure de grande écoute. (Productrice généraliste à l’innovation).

Le problème reste toujours qu’au Québec, les budgets ne sont pas compétitifs avec ceux des États-Unis et que produire sur le Web ou à la télé ne changerait pas vraiment le processus.

Mais, tu sais, pour nous, du côté de la production, c’est exactement la même chose. On n’a pas un budget plus grand ou moins grand parce que c’est sur le Web en premier. (Producteur de séries pour adolescents).

Le numérique agit donc, parfois, comme un prétexte pour tester des sujets, des façons de raconter des histoires et, surtout, pour ajouter de la pression afin d’augmenter les standards de qualité des productions pour rivaliser avec les compagnies internationales. En se dirigeant vers ces plateformes de diffusion et en consommant des contenus plus nichés, les téléspectateurs, sans s’en rendre compte, créent une demande de nouveaux contenus. Leurs usages sont analysés et utilisés par les producteurs, comme nous le verrons plus tard.

Le numérique permettrait également de « parler de n’importe quoi, avec jugement et délicatesse », raconte la productrice de séries fictives populaires. Elle ajoute : « Moi, je dis toujours qu’il faut foncer, il faut parler des tabous, il faut ouvrir, il faut avoir les horizons larges. » Ce que le numérique lui permet de faire grâce à la diversité, à la quantité et à la qualité des contenus qu’on y trouve.

En étant sur des plateformes disponibles au public, les commentaires des téléspectateurs arrivent beaucoup plus rapidement qu’avant et il faut faire la part des choses afin de ne pas se perdre dans le tourbillon d’opinions souvent divergentes.