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3. C ADRE THÉORIQUE

3.4 É TUDES DE RÉCEPTION ET LA NOTION DE « PUBLIC »

Comme mentionné dans le cadre contextuel, nous sommes dans une ère de personnalisation du divertissement et de l’écoute sur demande. Les contenus créés par les producteurs doivent plaire aux publics qui les regardent. D’ailleurs, depuis les années 1930-1940, les chercheurs essaient de comprendre la réception des émissions de radio, puis de la télévision, par leurs publics (Breton &

publicitaires qui veulent un portrait des téléspectateurs et auditoires pour des fins économiques. D’abord perçus passifs, puis actifs, les publics sont vus comme des sujets interprétants. À travers cette interprétation, le public actif sait sélectionner et filtrer les messages qui lui sont offerts. Leader des Cultural Studies issues du Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS) dans les années 1970, Stuart Hall publie un position paper en 1973 à propos de l’encodage et du décodage d’émission de télévision (Breton & Proulx, 2006).

« Son principal argument se fonde sur le postulat d’une “lecture prescrite” que les structures institutionnelles des médias, portées par le contexte plus large des rapports sociaux de pouvoir, réussiraient à inscrire (encodage) dans la forme et les contenus des messages médiatiques » (Breton & Proulx, 2006, p. 228-229).

Cet encodage mène donc à une lecture prescrite qui, selon les circonstances et la personne, est acceptée, négociée ou rejetée.

Dayan (2000) soutient que l’expérience de la réception télévisuelle n’est pas vécue individuellement. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, le téléspectateur, même s’il est seul devant la télévision, imagine un collectif plus large de téléspectateurs. Pour lui, un public est d’abord la manifestation d’une présentation de soi : « La notion de public consiste non seulement à voir, mais à être vu. Tout public renvoie alors à un autre public qui le regarde » (Dayan, 2000, p. 431). Ce sont d’ailleurs ces confrontations à d’autres publics qui engagent les membres à vouloir défendre des valeurs et opinions en lien avec leur univers symbolique ou un bien commun (Dayan, 2000). Dayan parlait de ce rapprochement entre les téléspectateurs avant même que les plateformes d’écoute en ligne, que nous connaissons aujourd’hui, ne voient le jour. Internet vient dorénavant rapprocher les utilisateurs (Jenkins, 2008). Ce que Jenkins appelle la « convergence » est définie comme :

« […] the flow of content across multiple media platforms, the cooperation between multiple media industries, and the migratory behavior of media audience who will go almost anywhere in search of the kinds of entertainment experiences they want. Convergence is a word that manages to describe technological, industrial, cultural, and social changes depending on who’s speaking and what they think they are talking about » (2008, pp. 2‑3).

Les nouveaux et anciens médias se rencontrent et fragmentent l’auditoire qui, lui, est à la recherche de divertissement. De plus, par son amour pour l’objet en question, un public sera capable de formuler ses goûts aux producteurs d’une série. Il devient donc un demandeur de contenu, de styles, de genres, etc. Mayer, Banks et Caldwell (2009) parlent également du téléspectateur comme producteur de sens dont la consommation est façonnée par son identité.

One place these academic strands weave together more complex tales about media is in the study of consumers and audiences as interpretative communities. Treating television viewers or romance book fans as “producers” of meaning, audience studies have mined the ways that people talk about their consumer practices as formative of their identities as well as how identities shape ways of consuming and talking about consumption. (Mayer

et al., 2009, p. 3).

Ce qui, au départ, était une relation avec un seul point de connexion (la radio ou la télévision, par exemple), s’est transformé en une relation multiplateforme. À travers ces nouvelles connexions, occasionnées par le développement du numérique, le public peut dorénavant s’engager plus massivement avec la communauté en ligne et donner directement son opinion, peu importe le sujet.

Jenkins parle déjà de culture participative en 1992 dans son livre Textual Poachers (Jenkins, 1992). Bien qu’au départ sa réflexion cible davantage les communautés de fans, son discours a par la suite porté sur les publics ayant des moyens de communiquer (Jenkins et al. 2017, p. 34). Jenkins et ses collègues décrivent ainsi cette nouvelle culture participative :

La culture participative est une culture dont les barrières à l’expression artistique et à l’engagement civique sont relativement faibles. Elle favorise grandement la créativité et le partage des créations, ainsi qu’un certain degré de mentorat informel permettant aux plus expérimentés de transmettre leurs connaissances aux novices. Dans la culture

et ils ressentent entre eux une forme de connexion sociale (au minimum ils se soucient de ce que les autres pensent de leurs créations). (Jenkins et al., 2017, p. 34).

Jenkins et ses collaborateurs avancent donc que le numérique aide à la croissance du nombre de personnes qui fabriquent et s’échangent des créations en lien avec leur contenu de prédilection (les fan fictions, par exemple). Ainsi, les usagers non seulement commentaient, mais avaient un désir prononcé de participer aux créations qui animaient leur passion.

Cette participation n’est certes pas totalement nouvelle. Déjà dans les années 1950, la poste permettait aux téléspectateurs de communiquer et d’échanger avec les maisons de production, avec en arrière-plan la difficulté à séparer la réalité de la fiction (Boulanger, 2016). Une chronique d’Hugo Dumas (2012), dans La Presse, jette la lumière sur un phénomène entourant la série Unité 9 où des téléspectateurs écrivent sur la plateforme Web directement aux détenues comme si elles existaient dans la vraie vie. Dans une entrevue avec le chroniqueur, Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM, explique :

À l’époque de Séraphin, les gens avaient une connaissance très faible des médias. La télé, c’était encore une nouveauté. Et les gens qui croyaient que c’était la réalité étaient culturellement un peu plus pauvres, avec un niveau d’éducation assez bas. Près de 60 ans plus tard, les gens sont tout à fait conscients qu’il existe un gars des vues, mais nous assistons au retour d’une certaine confusion (Dumas, 2012).

Ainsi, ce contact direct se fait dorénavant avec des plateformes numériques (médias sociaux, sites Web, etc.) qui constituent un endroit tout indiqué pour s’exprimer librement. Cette participation est intéressante en ce sens que les téléspectateurs peuvent dorénavant commenter en direct les émissions et donner une rétroaction synchrone aux producteurs, qui décident, ou non, de considérer ces commentaires dans leurs prises de décision.

Cette culture participative estompe la frontière entre le rôle des producteurs et des consommateurs (le premier crée, le deuxième visionne) pour laisser la place à une interaction

entre les deux, régie par un ensemble de règles encore difficile à comprendre (Jenkins, 2008). Les producteurs pourraient se laisser influencer par les publics, qui sont la raison première de la diffusion de leur contenu. Les publics détermineront la demande, qui génèrera l’offre. Or ce modèle, selon Boudon et Sonet (2017), relaye la créativité au second plan pour plaire d’abord aux spectateurs. Bien que cette relation entre le producteur et les publics soit connue, il faut tout de même comprendre comment le tout s’articule dans l’espace numérique. Voyons maintenant comment se comportent les téléspectateurs dans l’espace virtuel.