• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. C ONTEXTE GÉNÉRAL

1.3.4 L’εNd comme traceur océanique à l’actuel, application au bassin méditerranéen

Les premières analyses de l’εNd sur l’eau de mer actuelle ont commencé avec les travaux pionniers de G. Wasserburg au California Institute of Technology (Piepgras et al., 1979 ; Jacobsen et Wasserburg, 1980 ; Piepgras et Wasserburg, 1980, 1982, 1985 ; Stordal et Wasserburg, 1986 ; Spivack et Wasserburg, 1988). Depuis ces premiers travaux, l’intérêt porté par la communauté scientifique n’a pas cessé de croître afin de contraindre les échanges pouvant se faire entre les continents et les océans (par ex.

Siddall et al., 2008 ; Molina-Kescher et al., 2014), comprendre les sources et les puits des éléments des terres rares dans l’océan (ex. Tachikawa et al., 1999 ; Jeandel et al., 2007 ; Arsouze, 2008 ; Rempfer et al., 2011 ; Yu et al., 2017, 2018), restituer l’hydrologie actuelle (par ex. Tachikawa et al., 2017 ; Dubois-Dauphin et al., 2019) et dans le passé, sur des périodes allant du Quaternaire au Jurassique (par ex. Pucéat et al., 2005 ; Gourlan et al., 2008 ; Colin et al., 2010, 2019 ; van de Flierdt et Frank, 2010 ; Charbonnier et al., 2012 ; Dauphin, 2016 ; Yu et al., 2018 ; Cornuault et al., 2018 ; Dubois-Dauphin et al., 2019 ; Wu et al., 2019).

Les croûtes d’oxydes de fer et de manganèse ont constitué la première utilisation du traceur εNd pour tenter de tracer les masses d’eau (O’Nions et al., 1978 ; Piepgras et al., 1979 ; Goldstein et O’Nions, 1981), avant que l’analyse des eaux elles-mêmes soit réalisée en routine dans les laboratoires du fait des faibles concentrations en Nd caractérisant l’eau de mer. Depuis ces travaux pionniers, les analyses de la composition isotopique du Nd réalisées dans l’eau de mer ont été très nombreuses et des compilations des résultats obtenus dans l’océan ont été faites par Lacan et al. (2012)

qui recense 880 points de données réparties sur 280 stations réparties dans tous les océans du globe. L’ensemble des données compilées par Lacan et al. (2012) vérifie que les masses d’eaux peuvent être correctement tracées à travers l’εNd de l’eau de mer (à travers les données de Piepgras et Wasserburg, 1987 ; Jeandel, 1993 ; Von Blanckenburg, 1999).

Plus récemment, la compilation NEOSYMPA a permis d’élargir cette base de données (Tachikawa et al., 2017). Il en ressort que la variabilité en εNd est plus importante aux profondeurs inférieures à 500 m, dans l’Atlantique, le Pacifique et l’Indien. Les εNd des masses d’eaux profondes de l’Atlantique montrent une tendance à des valeurs plus radiogéniques du nord vers le sud avec des valeurs de -13 dans l’Atlantique Nord (50-75°N), intermédiaire (-12) pour l’Atlantique tropicale et de ~-9 dans l’Atlantique Sud. Dans le Pacifique, les valeurs de l’εNd présentent également un gradient sud-nord le

41 long de la circulation thermohaline avec des valeurs de ~-8 à 260 ° S, et ~-4 entre 0-75°N.

Les signatures isotopiques en néodyme des masses d’eaux méditerranéennes sont connues à travers les travaux de Spivack et Wasserburg (1988), Henry et al. (1994), Scrivner et al. (2004), Tachikawa et al. (2004), Vance et al. (2004), Dubois-Dauphin et al. (2017) ainsi que de données non publiées de Montagna et al (communication personnelle). Les eaux méditerranéennes ont un εNd qui traduit leurs relations génétiques avec les sources très contrastées que sont la province sédimentaire soumise aux apports du Nil (εNd ≈ -3 à +3) (Frost et al., 1986 ; Freydier et al., 2001 ; Weldeab et al., 2002a), du Golfe du Lion (εNd = -11,4 à -12,4, Grousset et al., 1990 ou -10,4, Henry et al., 1994, mêmes échantillons ré-analysés) et de l’Atlantique Nord (εNd ≈ -11) (Spivack & Wasserburg, 1988). Le Nd dissous dans la Méditerranée se caractérise alors par des valeurs d’εNd très contrastées avec un gradient est-ouest dans la distribution spatiale de ces valeurs bien marquées (Fig. 15). La MAW, sous influence des apports de l’Atlantique Nord, se caractérise en mer d’Alboran par les valeurs d’εNd les plus négatives du bassin, comprises entre -9 et -10 (Dubois-Dauphin et al., 2017 ; Tachikawa et al., 2004). Dans l’est du bassin Levantin, les eaux de mer ont au contraire une signature isotopique très radiogénique pouvant atteindre jusqu’à -4,8 (Tachikawa et al., 2004 ; Vance et al., 2004). La mer Ionienne, la mer Égée et le détroit Siculo-tunisien présentent des valeurs d’εNd intermédiaires, de l’ordre de -7 à -8 (Tachikawa et al., 2004 ; Montagna et al., données non publiées).

Comme vu dans la section sur l’hydrologie globale de la Méditerranée, celle-ci peut être simplifiée comme un bassin avec une circulation cyclonique avec en surface une intrusion d’eau Atlantique au niveau du détroit de Gibraltar qui circule progressivement vers l’est de la Méditerranée pour être transféré par advection verticale à des profondeurs intermédiaires principalement dans le bassin Levantin (LIW). Ces masses d’eau intermédiaire (LIW) recirculeront vers l’ouest et participeront pour partie à la formation d’eau profonde principalement dans l’Adriatique et le Golfe du Lion avant de ressortir de la Méditerranée via le détroit de Gibraltar. Les valeurs d’εNd connues en Méditerranée seront donc décrites dans ce paragraphe d’ouest en est pour les eaux de surface, puis d’est en ouest pour les eaux plus profondes. La SAW entre dans le Golfe de Cadix, avec des valeurs d’εNd comprises entre -11,8 et -9,9 (Spivack et Wasserburg, 1988). Entrant dans le détroit, les valeurs d’εNd des 30 premiers mètres de la colonne d’eau sont comprises entre -10,1 et -9,4 (Tachikawa et al., 2004). Arrivée en mer d’Alboran, la Modified Atlantic Water (MAW) est caractérisée par des valeurs de -10,8 à -9,4 (Spivack et Wasserburg, 1988 ; Tachikawa et al., 2004; Dubois-Dauphin et al., 2017). À l’est du bassin nord-occidental, en mer Ligure, la MAW a une valeur moyenne de -9,7 (Henry et al., 1994). Dans le bassin Levantin, la composition

42

isotopique du Nd ne permet plus de distinguer clairement une composante atlantique, les valeurs de la masse d’eau de surface étant alors de l’ordre de -5 (Tachikawa et al., 2004 ; Vance et al., 2004).

Cette valeur très radiogénique des eaux de surfaces levantines est alors transférée par advection verticale en profondeur dans les masses d’eaux intermédiaire (LIW) et profonde (EMDW) du bassin Levantin. La LIW (200 – 800 m) se caractérise ainsi à l’est du basin Levantin par des valeurs d’Nd comprises entre -4,8 et -5,7 (Tachikawa et al., 2004 ; Vance et al., 2004). Avant de s’écouler par le détroit Siculo-tunisien, la signature isotopique en Nd de la LIW est alors contrainte par une seule valeur d’εNd de -7,7 (analysé sur un échantillon à 375 m de profondeur) (Henry et al., 1994). A ouest du détroit Siculo-tunisien, la LIW présente une valeur d’εNd moyenne de -9,2 entre 200 et 500 m dans la mer Ligure (Henry et al., 1994). Enfin en mer d’Alboran, la LIW chemine vers le détroit de Gibraltar avec une signature isotopique en Nd moyenne de -9,6 (Tachikawa et al., 2004), qui se rapproche de la gamme haute des valeurs de surface de l’Atlantique entrant par le détroit. La MOW a une signature isotopique dans le détroit de Gibraltar de -9,4 (Tachikawa et al., 2004 ; Dubois-Dauphin et al., 2017).

En ce qui concerne les eaux profondes, supérieures à 1000 m, la composition isotopique en Nd est assez homogène dans chacun des bassins oriental et occidental. En accord avec la tendance des eaux sus-jacentes qui forment ces masses d’eau profonde dans leur bassin respectif, l’EMDW se distingue de la WMDW par des εNd plus radiogéniques. Ainsi, la composition isotopique dans le bassin oriental aux profondeurs supérieures à 1300 m (EMDW) est comprise entre -6,4 et -7,8 (Tachikawa et al., 2004). Dans la zone la plus proche de l’embouchure du delta du Nil, les apports volcaniques apportés par celui-ci induisent des valeurs radiogéniques pouvant atteindre -5 à la base de la colonne d’eau (Vance et al., 2004). Au contraire, la WMDW est caractérisée par des valeurs de -10,2 en mer Ligure (Henry et al., 1994) et de -10,7 en mer d’Alboran (Tachikawa et al., 2004).

43

Figure 15 Distribution suivant une section longitudinale de la Méditerranée (WOA 13 1 ° 1955-2012) (a) de la salinité (PSU) (b), de la température (°c) (c), et de l'εNd de l'eau de mer (d, Tachikawa et al., 2012 ; Montagna et al., en préparation). Le diagramme (e) reporte la salinité aux profondeurs de la LIW versus εNd pour toutes les stations sur la section reporté en (a).

44

1.3.5 Les archives sédimentaires permettant de restituer l’Nd des masses d’eau