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Chapitre 1. C ONTEXTE GÉNÉRAL

1.3.3 Le cycle du néodyme dans l’océan global

Le néodyme est peu concentré dans l’océan (de l’ordre de quelques ppt) et est présent à 90-95% sous forme dissoute, le reste étant dans la phase particulaire (Jeandel et al., 1995). Les apports élémentaires de Nd à l’océan proviennent (1) des échanges existants entre l’eau de mer (absorption/désorption) et le matériel éolien apporté depuis les zones désertiques par les vents (Goldstein et al., 1984 ; Goldstein et Hemming, 2003 ; Rousseau et al., 2015) ; (2) des échanges existants entre l’eau de mer (absorption/désorption) et le matériel terrigène apporté par les fleuves ainsi que des apports dissous de Nd fluviatile (Goldstein et Jacobsen, 1987 ; Rousseau et al., 2015); (3) de processus dits d’échange à la marge appelé Boundary Exchange (Lacan et Jeandel, 2005 ; Singh et al., 2012 ; Stichel et al., 2012 ; Pearce et al., 2013) (Fig. 14). Les fleuves et les rivières transportent le Nd sous forme dissoute ou particulaire en quantité significative, bien que 70% du Nd dissous soit soustrait par les sédiments des estuaires (Elderfield et al., 1990 ; Sholkovitz, 1993 ; Ingri et al., 2000). Le flux total de Nd par les apports fluviatiles a été estimé entre 2,6.105 et 3,4.105 kg.an-1 (Goldstein et Jacobsen, 1987 ; Arsouze et al., 2009 ; Rempfer et al., 2012), l’abondance variant notablement localement selon l’altérabilité des terrains du bassin versant (Bayon et al., 2015). Il a été montré récemment que ces apports par les fleuves pouvaient dans certains contextes être importants et induire une saisonnalité dans la composition isotopique du Nd des mers marginales, comme cela a été mis en évidence dans le golfe du Bengale (Yu et al., 2018).

Le matériel éolien échange une faible proportion de son néodyme lors de la chute des particules dans la colonne d’eau. Les apports de Nd lithogénique à l’océan par les poussières éoliennes restent pour autant mal estimés avec des taux de dissolution du matériel éolien variant selon les études entre 2 et 50 % (Greaves et al., 1994 ; Henry et al., 1994 ; Jeandel et al., 1995 ; Tachikawa et al., 1999). Les estimations de flux dissous globaux d’origine éolienne se basent sur une proportion faible de dissolution du Nd particulaire, avec un flux de l’ordre de 1.108 à 2,6.108 g(Nd)/an (Arsouze et al., 2009 ; Rempfer et al., 2012).

Les apports hydrothermaux de Nd dissous sont très importants à l’aplomb des fumeurs noirs et des dorsales, avec des teneurs en Nd dissous pouvant atteindre jusqu’à 500 fois la teneur moyenne des océans (Chavagnac et al., 2006). Toutefois, les oxydes et hydroxydes qui précipitent à leurs abords sont de très bons puits pour le Nd dissous, et ces sources locales sont considérées comme des puits à plus large échelle (Goldstein et O’Nions, 1981 ; Piepgras et Wasserburg, 1985 ; German et al., 1990 ; Halliday et al., 1992).

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Ces sources de Nd lithogénique ne peuvent expliquer à elles seules la distribution des concentrations et des compositions isotopiques en néodyme de l’océan global. Il existe en effet une incohérence entre la distribution spatiale de la concentration en Nd dans l’océan et celle de la composition isotopique en Nd global (Bertram et Elderfield, 1993 ; Jeandel et al., 1995, 1998 ; Tachikawa et al., 1997, 1999 ; Lacan et Jeandel, 2001).

Elderfield et al. (1988) a montré que la concentration en néodyme augmentait avec la profondeur d’eau le long de la circulation thermohaline dans les divers océans, impliquant un comportement du Nd dissous voisin du celui des silicates dont le temps de résidence est d’environ 20 000 ans (Broecker et Peng, 1992). À l’inverse, la composition isotopique du Nd (Nd) indique des variations entre les différents bassins océaniques, suggérant un temps de résidence du Nd plus court (360 à 700 ans, (Tachikawa et al., 2003 ; Siddall et al., 2008 ; Rempfer et al., 2011) que le temps de brassage global des eaux océaniques estimé à environ 1000 ans (Broecker et al., 1982). Afin de réconcilier concentration et composition isotopique du Nd, l’existence d’interactions dissous/particulaire dans la colonne d’eau a été envisagée (Bertram et Elderfield, 1993 ; Tachikawa et al., 1999, 2003). A la surface des océans, le Nd dissous est soustrait par adsorption sur les particules marines (scavenging). Les particules alors exportées verticalement à de plus grandes profondeurs de l’océan où le Nd est partiellement remis en solution (« reminéralisation »). Le rôle majeur de ce cycle vertical a été confirmé par les tentatives de modélisation du cycle du Nd (Siddall et al., 2008). Cependant, toutes les études qui se penchèrent sur la quantification des flux du Nd n’ont pas permis d’équilibrer le bilan global du Nd dans l’océan en ne considérant que les apports fluviatiles et éoliens (Bertram et Elderfield, 1993 ; Tachikawa et al., 2003 ; van de Flierdt et al., 2004 ; Arsouze et al., 2007, 2009).

Lacan et Jeandel (2005) ont alors avancé dans la résolution de ce paradoxe en proposant un mécanisme supplémentaire d’interaction, cette fois entre le Nd dissous de l’eau de mer et le Nd des sédiments des marges continentales. Le sédiment jouerait ainsi un rôle de puits (absorption) ou de source (désorption et dissolution) de néodyme au cours du temps, avec des effets sur la signature en εNd de l’eau après cet échange à la marge (Boundary Exchange). Cet échange intervenant dans les masses d’eau de fond pourrait ainsi expliquer une modification de l’εNd d’une masse d’eau au contact d’une marge océanique sans en changer la concentration (Lacan et Jeandel, 2005). Lacan et Jeandel (2005) ont par ailleurs mis en évidence l’impact que pouvait avoir le phénomène de Boundary Exchange sur la composition isotopique de Nd des masses d’eau océanique en plusieurs endroits de l’océan. Les mécanismes en jeu dans les processus dits d’échange à la marge ne sont actuellement pas bien compris et font encore l’objet de débats dans la communauté scientifique, car de nombreuses marges semblent ne pas être une source significative de Nd à l’océan. Notamment, une étude

39 récente a montré que l’échange isotopique de Nd à la marge islandaise était limité aux abords des embouchures de fleuves, quand bien même la marge islandaise soit très riche en particules terrigènes volcaniques très altérables et de composition isotopique en Nd distinctes de la composition de l’eau de mer environnante (Morrison et al., 2019). De même, le Boundary Exchange semble être un phénomène local et limité, lorsqu’étudié dans la mer de Chine du Sud (Wu et al., 2015a) et dans le Golfe du Bengale (Yu et al., 2018) où les apports terrigènes sont très forts avec des compositions isotopiques de Nd contrastés à celles des océans environnants.

Néanmoins, les modélisations du cycle du Nd suggèrent que le Boundary Exchange est la source majeure de Nd dans l’Océan (Arsouze et al., 2007, 2009 ; Rempfer et al., 2011). Le flux de Nd libéré par les marges océaniques est estimé selon les auteurs entre 5,5. 109 et 1,1. 1010 g (Nd)/an (Arsouze et al., 2009 ; Rempfer et al., 2011), soit 90-95 % du flux total de Nd dans l’eau de mer (Arsouze et al., 2009 ; Rempfer et al., 2011). Le temps de résidence du Nd a alors été estimé entre 350 et 1000 ans (Tachikawa et al., 1999, 2003 ; Arsouze et al., 2009). Un tel temps de résidence est bien inférieur aux 1500 ans nécessaires pour le brassage des océans par la circulation thermohaline (Broecker et al., 1982).

En l’absence d’apports lithogéniques de Nd importants, le Nd peut être considéré comme un traceur conservatif de la circulation (Lacan et Jeandel, 2004). Ceci signifie que la composition isotopique du Nd pour une masse d’eau donnée ne sera modifiée que par mélange avec une masse d’eau de composition isotopique différente.

Figure 14 Sources et puits de néodyme dans les océans. Repris de GEOTRACES (URL : http://www.geotraces.org/science/science-plan#).

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1.3.4 L’εNd comme traceur océanique à l’actuel, application au bassin