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Chapitre I : De la création de la CED

B) L’évolution du couple franco-allemand sous Kiesinger

L’Allemagne le fera un jour, elle aussi. Des pays comme les nôtres ne peuvent indéfiniment vivre dans un système où ils ne disposent pas d’eux-mêmes. À la longue, ils n’ont pas confiance en eux ces gouvernements qui ne résistent pas si ces pays ne sont pas indépendants c’est pourquoi nous prenons la disposition de nous mêmes. Nous sommes pour l’alliance. Mais nous ne pouvons pas accepter, en France une intégration sous commandement américain. »339.

Cette décision de quitter le commandement intégré de l’Alliance a été diversement interprétée, mais ce qui en ressort est que, pour des questions stratégiques et pour la fidélité aux principes d’indépendance de la France, la décision gaullienne s’inscrivait dans la logique de sa politique. De Gaulle avait très vite compris que l’indépendance ne se décrète, ni ne se demande, il faut se battre pour l’imposer, surtout face à ces nations aussi fortes aussi bien sur la plan militaire que politique.

B) L’évolution du couple franco-allemand sous Kiesinger.

En 1966, lâché par les libéraux, Erhard dut quitter la chancellerie. Le chancelier Kiesinger avait comme ministre des affaires étrangères un certain Willy Brandt, il avait réservé sa première visite en tant que chancelier à la France. Au cours de cette visite, il affirma clairement sa volonté de poursuivre les dispositions du traité de l’Élysée en ces termes « Je ne viens d’ailleurs pas en demandeur, mais comme un homme qui a été heureux de la signature du traité d’amitié franco-allemand, mais peu satisfait des résultats acquis. Je suis prêt à rattraper avec mon gouvernement ce qui a été omis (Cela dans les limites des conditions qui me sont posées) et aussi à réaliser le fond de ce traité. »340.

Le départ de Erhard n’a pas trop déplu au général de Gaulle, car son successeur, même en étant atlantiste lui aussi, ne pouvait avoir des positions aussi dogmatiques que celles du chancelier Erhard. Il comptait sur Kiesinger pour donner un souffle nouveau à ce couple franco-allemand qui, pour le moment, était une structure fragile ; les réalisations étant modestes eu égard aux espoirs qui y étaient placés. Il est

339 DDF 1966, Tome I ( 1er janvier-30 Mai), n° 168, p.423

340 Documents diplomatiques français 1967, Tome I (1er janvier-1er juillet), Bruxelles, PIE Lang, 2008, n° 18, p.64

vrai que le nouveau chancelier n’avait pas du tout la même conception des relations franco-allemandes que son prédécesseur, mais tout de même, pourra t-il contribuer à un nouveau rapprochement franco-allemand ? A t-il l’intention de donner plus de crédit à la relation franco-allemande que Erhard ne l’a fait ? Où placera t-il la coopération franco-allemande par rapport aux relations que Bonn entretient avec Washington ?

Le gouvernement de Kiesinger comptait venir à bout les griefs que beaucoup d’Allemands (surtout les gaullistes allemands) faisaient à Erhard, c’est-à-dire le délaissement des relations franco-allemandes au profit de l’entente avec Washington. C’est la raison pour laquelle dans sa déclaration de politique générale le nouveau Chancelier fit la part belle à la France en ces mots : « l’Europe, qui doit parler d’une seule voix, comme les hommes d’État américain l’ont demandé, suppose un accord politique encore plus étroit entre l’Allemagne et la France »341 . Le nouveau Chancelier paraissait plus disposé à coopérer, plus souple même avec la politique de ces prédécesseurs concernant les pays de l’Est, cependant il conserve les options libérales de sa philosophie politique. C’est pourquoi au cours d’un de leur entretien, le Chancelier Kiesinger ne manqua pas de souligner au général que la majorité des hommes d’affaires allemands souhaitaient l’entrée de la Grande Bretagne dans l’Europe lors même que le général continuait d’y opposer une fin de non recevoir à cette demande d'entrée.

La disparité des vues franco-allemandes, ajoutée à l’impossibilité d’un véritable accord entre les deux pays, avait fini par placer le couple franco-allemand dans une situation de quasi léthargie. En dépit de la bonne volonté et les déclarations de Kiesinger, aucun accord de fait ne fut signé. Il y eut certes, des échanges d’unités militaires ou des stagiaires, mais rien de particulier qui puisse servir de soubassement pour la mise sur pied d’une stratégie de défense commune entre les deux pays. Dès lors, le constat était alarmant mais réel. Depuis la tentative du traité de l’Élysée freinée par le préambule, il n’y avait concrètement rien de nouveau sous le soleil du couple franco-allemand.

En 1969, suite à un référendum manqué, de Gaulle quitta le pouvoir. Cependant si

341 André Fontaine, Un seul lit pour deux rêves, histoire de la détente, Paris 1962 -1981, Paris, Fayard, 1981. p. 84

nous devions faire le bilan des années de vie du couple franco-allemand ; comme dans tout couple, il y a eu des hauts et des bas. Sans nul doute le moment qui marquera à jamais la vie des deux peuples et leurs relations diplomatiques sera la signature du traité de l’Élysée qui, si elle n’a pas été le moment fort de la vie des deux pays, constitue un point de repère aussi bien dans le domaine politique économique que militaire. Après la démission du général, on entamait une seconde phase des relations de ces deux pays symbolisée par la venue au pouvoir de Georges Pompidou et de son homologue allemand Willy Brandt.

Avec la mort de Konrad Adenauer le 19 avril 1967 et la démission de Charles de Gaulle deux ans plus tard se tournait une page de la vie politique de couple franco-allemand. Konrad Adenauer, au-delà du symbole qu’il représentait, avait tenu à ancrer son pays dans un dispositif militaire piloté par les Américains. Mais il n’a toujours tenu à ce que la défense européenne soit être le versant de cette Alliance atlantique. « Ce qui a été le plus révolutionnaire, dira Françoise Knopper, c’est la dynamique sécuritaire qui consistait à définir l’identité de la nouvelle Allemagne avec l’aide de l’amitié des autres États européens et occidentaux, lesquels ont choisi de diviser la souveraineté et d’ajourner le traité de paix. »342.

Avec sa sortie des structures militaires de l’Alliance, Paris pose un autre débat : celui de la présence des Forces Françaises en Allemagne sur le territoire allemand. En réalité, Bonn s’inquiétait du statut des troupes françaises sur son territoire. Les F.F.A allaient-elles rester après ce retrait ? Bonn souhaitait certes, pour sa sécurité, le maintien des F.F.A, mais cette mesure était accompagnée d’exigences : « d’abord la conclusion d’arrangements précis entre la France et l’OTAN pour le commandement et les plans d’opération des forces françaises en cas de guerre. Bonn voulait être sûre que ces forces participeraient effectivement à la défense commune le cas échéant et ne se contenteraient pas de couvrir les approches du territoire français. D’autre part, la RFA estimait que le retrait du commandement intégré faisait que la France ne pouvait plus se réclamer des accords de 1954 pour définir le statut de ses forces en Allemagne. Un nouveau statut devrait donc être négocié, et il devrait affirmer

342 Françoise Knopper, « La République fédérale, agent ou objet de la construction européenne ? in

Politique européenne et question allemande depuis la paix de Westphalie, Toulouse, Presses Universitaire du Mirail, 2000, p.175.

clairement la souveraineté de la RFA et en particulier, à la différence des accords de 1954, ambigus sur ce point, préciser que le stationnement des troupes françaises était subordonnée à l’autorisation de Bonn »343.

Il régnait une atmosphère de double jeu dans la décision de Bonn : d’une part, soucieuse de sa sécurité, la RFA ne voulait pas par ses manœuvres contribuer à affaiblir l’Alliance atlantique déjà affectée par la décision de retrait de la France de ses structures militaires. D’autre part, elle comptait profiter de cette situation pour pouvoir améliorer la question de la souveraineté de son territoire. C’est la principale raison qui pousse les Allemands à vouloir revoir avec la France les accords de 1954. Du côté Paris, les choses étaient beaucoup plus claires, « si les Allemands souhaitaient le maintien des forces françaises, ils devraient le manifester clairement sinon les forces françaises seraient évacuées dans un délai d’un an. »344. En outre, pour l’Élysée, le retrait du Commandement intégré ne devrait en aucune manière affecter les accords de 1954. En réalité, la France conditionnait le maintien de ses troupes au statu quo concernant le statut des F.F.A. Pour des raisons évidentes, la France souhaitait que ces négociations aient lieu entre le général Ailleret, chef d’état major des armées et le général Lemnitzer commandant en chef de l’OTAN en Europe. De son coté, Bonn souhaitait des négociations entre la France et l’OTAN. Les accords entre la France et l’OTAN en août 1967 plus connus sous le nom de Accords Ailleret - Lemnitzer entérinent la volonté de coopération de la France et l’OTAN concernant l’attitude à adopter en cas de conflit. Cet accord traduit également la volonté toujours assumée du général de Gaulle, après le retrait de la France des structures militaires de l'OTAN, de coopérer avec l’Alliance atlantique et non de subir toutes les décisions qui émaneront d’elle. Dans son article I, le point 2 dit ceci : « Tant que le gouvernement français n’aura pas jugé de la situation et prit la décision d’intervenir militairement, les forces françaises ne participeront pas à des opérations militaires actives en coopération avec les forces de l’OTAN »345. De ce fait, Paris réaffirme sa volonté de coopérer, mais elle ne voulait pas être sous commandement américain et souhaitait avoir une liberté totale quant à ses choix des

343 Georges-Henri Soutou, L’Alliance incertaine, op.cit. pp.293-294.

344 ibid

décisions. Puisqu’avec le retrait de la France des structures militaires de l’OTAN, l’Allemagne de l’Ouest s’inquiétait encore de la présence des troupes françaises dans son territoire. L’accord prenait également en compte la question du stationnement des forces françaises en Allemagne. Pour Georges-Henri Soutou, « le rôle des F.F.A seraient celui de réserve opérationnelle, chargée d’une contre-offensive groupées au profit des forces engagées dans la défense de l’avant du secteur Centre-Europe. »346

L’auteur poursuit son propos : « Incontestablement, tout en affirmant très clairement l’indépendance totale de Paris dans le choix d’engagement de ses forces et en limitant strictement en volume et en durée cet engagement, l’accord assurait une continuité avec le rôle précédemment dévolu aux F.F.A avant mars 1966 »347.

Pour Willy Brandt, la politique que menait le Chancelier Konrad Adenauer donnait à voir une Allemagne coupable, pas assez conquérante et qui n’était pas prête à prendre toute seule son envol. Mais à la décharge de Konrad Adenauer, on peut dire que la situation de l’Allemagne d’après guerre ne fut nullement celle des années 1960. L’Allemagne d’après guerre avait besoin d’exister en tant que nation d’abord et ensuite en tant qu’interlocuteur fiable au sein de l’Europe et de la Communauté internationale. Le nazisme avait ruiné tous les cordons qui liaient l’Allemagne aux autres nations occidentales. L’urgence était donc de consolider d’abord les alliances. Il lui fallait d’abord entraîner « son pays sur la double voie communautaire et atlantiste pour forger des alliances sûres. Sa politique est une option claire en faveur d’un lien triple, mais solide avec l’Ouest : l’appartenance à une communauté de valeurs (Conseil de l’Europe), l’intégration économique (C.E.C.A., EURATOM, CEE), l’intégration militaire (le projet de la CED, OTAN, UEO). Cette politique constitue ainsi une rupture fondamentale avec la politique de puissance traditionnelle avec la Schaukelpolitik (politique de bascule) entre l’Est et l’Ouest. La nouveauté introduite par Adenauer était d’autant plus intéressante que son approche n'était pas fondée sur la situation de l’Allemagne au centre de l’Europe, mais sur une démarche atlantique et ouest-européenne, et, en cela sa politique étrangère était en adéquation

346 Georges-Henri Soutou, L’Alliance incertaine, op.cit. p.296.

avec la situation mondiale 348.

Ce que déplorera de Gaulle dans ce rapprochement franco-allemand fut le préambule rajouté au traité de l’Élysée qui le videra presque de toute sa substance. Mais l’amitié entretenue par les deux hommes sera unique dans l’histoire des deux pays et des couples politiques tout court. Hermann Kusterer, témoin de tous entretiens entre les présidents français et les chanceliers allemands de 1958 à janvier 1971, dira concernant les deux hommes : « il faudra encore vingt ans avant que la justesse du jugement de de Gaulle et de Adenauer soit reconnue. Il est incroyable (au sens étymologique) de constater à quel point ils avaient vu juste. Ils étaient les seuls. Finalement, il n’y a qu’un homme à avoir compris de Gaulle : Konrad Adenauer. »349

En dépit des accrocs survenus dans cette coopération militaire, une chose est certaine : le traité de l’Élysée, même s’il n’est pas allé au bout de sa logique, du fait de ses implications au niveau politico-stratégique, a édifié un pont entre Français et Allemands. C’est probablement en cela qu’il continue d’être vu comme le premier jalon de l’amitié, mais aussi de la coopération militaire entre Allemands et Français.

348 Stephan Martens, « La République fédérale d’Allemagne, entre ancrage occidental et ouverture à l’Est » in Politique européenne et question allemande depuis la paix de Westphalie, op.cit. p.181