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L’évolution des politiques publiques de la jeunesse

La manière dont l’action publique en direction de la jeunesse se structure est en partie liée aux représentations que l’on s’en fait. À partir notamment d’un ouvrage collectif sur les politiques de jeunesse (Becquet et al., 2012), Francine Labadie rend compte de l’évolution des conceptions sociologiques de la jeunesse et leur appropriation dans l’action publique (2012). Elle note que depuis les années 1980, la sociologie de la jeunesse en France et dans d’autres pays a permis de rompre avec une vision culturaliste dominante, qui consiste à voir la jeunesse comme un groupe social caractérisé par un mode de vie et des comportements spécifiques, alors que la jeunesse est hétérogène. Une nouvelle approche a ensuite considéré la jeunesse comme une étape du cycle de vie, entre l’enfance et l’âge adulte, dans un processus marqué par le franchissement de seuils : le passage de l’école à l’emploi stable ; l’accès à un logement indépendant ; la mise en couple ; l’allongement de la jeunesse. Cependant, ce processus n’est pas linéaire car les comportements sont complexes et les parcours réversibles. Cécile Van de Velde montre ainsi l’accumulation possible des caractéristiques de plusieurs âges de la vie à la fois (2015). Les limites de cette approche résident aussi dans le fait de se focaliser sur les trajectoires individuelles sans s’interroger sur ses déterminants structurels (contexte socio- économique actuel, configuration du marché du travail, ressources et perspectives existantes), de définir une action publique à partir d’une lecture naturalisante des difficultés des jeunes, en les considérant comme des effets d’âge et, en conséquence, d’apporter des réponses curatives de court terme, conjoncturelles. Les effets de telles politiques publiques ont été de contribuer à la fois à renforcer l’allongement de la jeunesse et à considérer les jeunes comme un groupe porteur de difficultés et de risques, relevant d’une action spécifique et non pas du droit commun.

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Pour plus de précision sur l’encadrement étatique de la jeunesse, voir Galland, 2007, p. 83-97. Au sujet de l’évolution des politiques locales de jeunesse, voir Patricia Loncle (2007, p. 12-28).

LE BAFA : QUELS EFFETS SUR LES PARCOURS D’ENGAGEMENT ET D’AUTONOMIE DES JEUNES ?

Ce traitement catégoriel et pathologisant des problèmes des jeunes résulte de trois dynamiques à l’œuvre depuis 30 ans (Lima, 2012, p. 129). Francine Labadie souligne d’abord la dynamique d’institutionnalisation (Lima, 2008). Elle désigne une diversification des formes d’intervention de l’État en direction de la jeunesse afin d’élargir l’accès aux études face à la montée du chômage, de favoriser leur insertion professionnelle, de prévenir les conduites à risques et de renforcer la socialisation des jeunes, en particulier dans le cadre de la politique de la ville. La deuxième dynamique présentée par Francine Labadie concerne le renvoi de la prise en charge des jeunes vers les familles, soit une dynamique de familiarisation du traitement des problèmes des jeunes, notamment avec l’allongement de la scolarité et les difficultés de stabilisation professionnelle. Par exemple, le revenu de solidarité (RSA) est réservé aux jeunes ayant au moins 25 ans. Depuis peu et sous conditions, il est accessible aux 18-24 ans : s’ils-elles sont parents isolés ou s’ils-elles justifient d’une certaine durée d’activité professionnelle (« jeunes actifs38 »). Les deux dynamiques précédentes ont engendré la troisième : la naturalisation de la jeunesse puisque celle-ci est devenue une catégorie générique de l’action publique et que l’âge est considéré comme la source des problèmes. Par exemple, le chômage des jeunes reste considéré comme un problème lié à l’âge et non comme la manifestation de transformations structurelles du système productif. Cette croyance génère la création de mesures et de dispositifs en direction des jeunes, censées répondre à leurs problèmes spécifiques et, à leur tour, ces dispositifs engendrent de nouveaux problèmes qui aggravent celui de l’emploi. C’est par exemple le cas du service civique. Il y a à la fois un renforcement de la tutelle étatique et un renforcement de la tutelle familiale sur ce fond de naturalisation de la jeunesse. L’émergence progressive d’une catégorie « jeunes » dans l’action publique s’est accompagnée de la montée en puissance de représentations négatives des jeunes et de la jeunesse, perçus de plus en plus comme porteurs de problèmes, voire comme facteurs de risques pour la santé et comme une menace pour la paix sociale.

Selon Francine Labadie, malgré l’émergence d’un nouveau regard sur les jeunes et sur la jeunesse repris par le Livre vert pour la jeunesse de 2009, avec un renouvellement du cadre théorique proposé, l’actualisation des politiques publiques demeure faible. Voici un extrait du livre vert39 : « La jeunesse est

une transition en permanente évolution, marquée par de multiples situations, des “allers retours” et des cumuls fréquents entre la formation, l’emploi, l’inactivité professionnelle, l’engagement non professionnel... Le tâtonnement est l’une des caractéristiques de la jeunesse. S’il faut faire des paris pour la jeunesse, mieux vaut courir le risque d’une jeunesse boulimique d’activité et de projets, que celui d’une jeunesse enfermée dans des trains qui ne mènent nulle part. Une politique de la jeunesse qui fonctionne doit être bâtie à partir de ce constat, et non tenter de segmenter ses publics. »

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Site officiel de l’administration française : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19775 39

INJEP NOTES & RAPPORTS/REVUE DE LITTÉRATURE