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Chapitre 2 : Cadre théorique et conceptuel

2. Les théories institutionnalistes et la diversité des capitalismes

2.2 La théorie de la régulation

2.2.3 L’évolution de la théorie de la régulation

Les premiers travaux d’Aglietta (1976) et de Boyer (1986) sont classés parmi les travaux de la première génération (TR1) (Montalban, 2007). Les chercheurs de la première génération analysent le fordisme et les facteurs liés à sa crise et cherchent un nouveau mode de régulation de son régime d’accumulation. À la fin des années 1990, l’élargissement du champ de la recherche de la TR1 a touché quatre niveaux d’analyse : la sphère politique, les formes institutionnelles, les organisations et les individus et leurs comportements (Mantalbon, 2007 ; Billaudot, 2009).

Hollingsworth et Boyer (1997) et Boyer (2000), en tant que premiers régulationnistes de la première génération, se concentrent sur les formes institutionnelles. Avec une structure institutionnelle capitaliste contemporaine dominée par l’idéologie néolibérale, ils ont proposé de tester l’hypothèse de la complémentarité institutionnelle et celle de la hiérarchisation des formes institutionnelles (Mantalbon, 2007 ; Billaudot, 2009 ; Boyer, 2015 ; Élie, 2017). Hollingsworth et Boyer (1997) constatent que les formes institutionnelles ne sont ni indépendantes ni identiques. Leur dépendance résulte de la complémentarité et de la hiérarchisation institutionnelles qui sont liées intrinsèquement aux arrangements institutionnels nationaux. À ce chapitre, en se rapprochant du néo-corporatisme et de la sociologie économique, Hollingsworth et Boyer (1997) proposent, au-delà des marchés et de l’État, d’autres arrangements institutionnels, appelés également formes intermédiaires. Il s’agit des associations, du réseau, des communautés et des sociétés civiles et des firmes. Cette nouvelle conceptualisation a élargi le rôle des formes institutionnelles. Situées au niveau méso-économique, ces formes sont devenues des formes de causalité, établissant un lien entre le niveau macro et micro (Chanteau et al., 2016 ; Boyer, 2015).

Cette nouvelle conceptualisation a été complétée par l’intégration de nouvelles formes de coordination entre les divers arrangements institutionnels. Pour Boyer (2015 :

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116), les formes institutionnelles devraient être vues comme des « molécules composées » qui composent une configuration institutionnelle. Chaque configuration institutionnelle est conçue pour faciliter la coordination entre les différents arrangements institutionnels. En ayant recours aux sciences politiques, à l’histoire économique, à la sociologie bourdieusienne et à la théorie coasienne et ses prolongements (Coase, 1937 et Williamson, 1975), Boyer (2015 : 118-121) distingue six configurations, à savoir l’ordre constitutionnel, les institutions, les organisations, les routines, les conventions et les habitus. Pour lui, une institution peut être « une procédure immatérielle permettant de structurer les interactions

entre les organisations (et individus) » (idem : 119). Elle a pour objectif de réduire ou

d’éliminer l’incertitude relative aux comportements stratégiques des agents économiques. Elle encadre à la fois les sphères économique et politique. En outre, afin d’expliquer le comportement des agents économiques, les régulationnistes ont recours au concept clé de la sociologie de Bourdieu, comme alternative à la théorie des choix rationnels, soit l’habitus (Montalban, 2007). Ce dernier est défini comme « l’ensemble de comportements incorporés

dans les individus, forgés au cours du processus de socialisation d’un individu » (Boyer,

2015 : 119). De ces habitus émane le conflit d’intérêts entre les agents, impliquant ainsi la nécessité du politique comme médiation (Montalban, 2007 ; Billaudot, 2009).

Donc, une des principales différences entre la première et la deuxième génération de la TR est l’intégration de la sphère politique et l’analyse des conflits d’intérêts dans la dynamique socio-économique (Montalban, 2007 ; Lahille, 2013). Dès lors, les régulationnistes invitent les chercheurs à repenser l’ordre social et les comportements des acteurs, et ce, à partir d’une véritable sociopolitique d’ensemble (Boyer, 2015). L’amendement alors de la première génération est « passer de la régulation de l’économie

(par des [formes institutionnelles] de la sphère économique) à la régulation du conflit social » afin de comprendre les modes de régulation contemporains (Billaudot, 2009 : 5.) En

somme, la médiation politique est considérée, par les régulationnistes, comme étant la principale cause des changements institutionnels. À ce sujet, Montalban (2007 : 230) note que « cette représentation est cohérente avec l’approche proposée par Amable et

Palombarini (2005) d’une économie politique néo-réaliste ». Il ajoute que « le modèle de l’économie politique néo-réaliste repose sur l’hypothèse d’une société fortement

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différenciée, où les acteurs ont donc des intérêts potentiellement contradictoires, qui sont les produits des contextes locaux différenciés » (idem : 230).

Selon Amable et Polombarini (2009), après chaque changement politique, les agents économiques s’organisent afin de répondre au nouvel équilibre politique, tout en changeant leur comportement. Par ailleurs, ils avancent l’hypothèse selon laquelle le changement politique ne peut avoir lieu qu’en présence d’un « bloc social dominant » (BSD). Par définition, un BSD est une alliance entre des groupes socio-économiques ayant, généralement, des intérêts différents, mais conciliables au détriment d’autres groupes socio- économiques minoritaires et leurs « demandes sont prises en compte dans la définition des

politiques publiques, forment dans une telle situation un « bloc social dominant » (Amable

et Palombarini 2009 : 129). Donc, le BSD peut assurer le soutien politique au gouvernement pour instiguer ou éviter un changement institutionnel et politique et établir le lien entre les équilibres à la fois institutionnel et politique (Montalban, 2007).

Par ailleurs, il convient de noter que le changement de la structure institutionnelle et de l’équilibre politique peut se produire non seulement après un renouvellement ou un repositionnement de l’ancien BSD, mais aussi après l’émergence d’un nouveau BDS (Amable et Palombarini 2009). Cependant, l’émergence d’un nouveau BSD se produit à la suite d’une crise politique et une « crise systémique ». Selon Amable et Palombarini (2009), la crise politique fait référence à l’éclatement d’un BSD, alors que la « crise systémique » fait référence à l’incapacité des acteurs politiques à mettre en place des stratégies pour agréger le BSD et contrecarrer ainsi sa domination.

En réalité, l’existence de plusieurs BSD possédant des intérêts différents est le déterminant principal de la divergence institutionnelle entre les pays (idem). Sur ce point, Boyer (2015 : 204-205) concentre ses dernières analyses sur l’imbrication du politique et de l’économique pour comprendre les sociétés contemporaines et les principales causes de la diversité des formes de capitalismes. Par ailleurs, à l’instar des auteurs de l’approche de la

VoC de Hall et Soskice (2001) et des auteurs de l’approche de l’économie politique néo- réaliste d’Amable et Palombarini (2005, 2009), les auteurs théoriciens de la troisième

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dans l’explication des causes de la diversité des formes de capitalismes. Boyer (2015) avance l’idée selon laquelle pour comprendre le monde contemporain, il faut analyser conjointement la sphère économique et la sphère politique. Selon lui, « le politique traite de la question du

pouvoir sur des individus résidant sur un territoire ; l’économie s’intéresse à la circulation des marchandises et des richesses, qui en permanence tend à traverser les frontières fixées par le politique » (idem : 172).

La complémentarité institutionnelle est une hypothèse très importante à ce chapitre (Montalban, 2007 ; Amable et Palombarini, 2009 ; Darcillon, 2013 ; Boyer, 2015 ; Élie, 2017). Comme nous l’avons déjà démontré ci-dessus, les institutions se complètent. Le changement d’une forme institutionnelle conduit à un changement du contenu et du fonctionnement des autres formes institutionnelles. À titre d’exemple, le changement de l’État en tant que forme institutionnelle a généré un changement du régime monétaire à l’échelle nationale, qui était encadré par les politiques keynésiennes, et à l’échelle internationale, qui était encadré par l’accord de Bretton Woods. Il est clair que la complémentarité institutionnelle est un facteur à la fois de résilience et de convergence (Hall et Soskice, 2001 ; Boyer, 2015). Dans la présente étude, cette hypothèse sera utile. Elle pourra nous aider à définir tout d’abord des catégories d’investisseurs institutionnels et ensuite à observer les effets potentiels de leur importance sur le pouvoir de négociation syndicale et par voie de conséquence, sur la qualité de l’emploi dans des contextes différents.

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