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II. CADRE CONCEPTUEL

2.5. L’évaluation d’une compétence

La notion de compétence constitue le socle de l’actuel Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Elle est à la fois objet d’enseignement et d’évaluation. Cette notion peut servir, dans un premier temps, à mettre en lumière une autre dimension d’une épreuve ministérielle censée juger de la compétence à écrire des élèves. Nous devons en effet comprendre la dynamique de l’évaluation d’une compétence pour apprécier correctement la façon dont l’évaluateur s’acquitte de cette tâche. En second lieu, cela peut permettre de situer l’évaluation de l’écriture à travers les époques, car il n’a pas toujours été question de compétence dans les programmes qui se sont succédé pendant les cinquante dernières années au Québec.

2.5.1 Savoir-agir et savoir-faire

La définition « triple » de la compétence à écrire faite par le groupe DIEPE suggère qu’il s’agit là d’un acte complexe, mettant en jeu à la fois les dispositions internes de l’individu face à l’écrit, un processus et des contraintes au niveau du produit (DIEPE, 1995). Au-delà de l’écrit, toute compétence implique un processus complexe de mobilisation de différentes ressources. Le MELS définit le concept de compétence comme un savoir-agir : elle « dépasse la simple addition ou juxtaposition d’éléments. Elle se manifeste dans des contextes d’une certaine complexité et son degré de maîtrise peut progresser tout au long du parcours scolaire et même au-delà de celui-ci » (MELS, 2006, p.9).

Tardif (2006) reprend également cette notion de savoir-agir. Celui-ci « prend appui sur la mobilisation efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (p.22). Cette notion peut être mise en opposition à un savoir-faire, qui constitue plutôt une action ou une séquence d’actions qu’il est possible de « circonscrire et stabiliser de manière définitive » (p.24). L’auteur qualifie ainsi cette démarche d’« algorithmique » (p.24). À force de répétition, un savoir-faire peut devenir automatique et s’opérer de manière décontextualisée, comme il en irait d’un élève qui connaît et maîtrise les règles d’accord dans le groupe du verbe lors d’exercices. Un savoir-agir, toujours contextualisé, ne peut pour sa part s’automatiser puisqu’il entre en jeu dans des situations toujours uniques. Une multitude d’éléments compose chacune d’elles et l’apprenant doit leur donner un sens selon le contexte donné. L’élève qui effectue avec aisance des exercices d’accords grammaticaux aura peut-être plus de difficulté à en appliquer les règles lors d’une production écrite. Il aura en effet, dans cette situation, à gérer quantité d’informations : intention d’écriture, contexte de production, organisation textuelle et toutes les

autres contraintes de la langue. Un savoir-agir tel que l’écriture d’un texte implique donc la mise en commun de plusieurs savoir-faire, comme les connaissances relatives à l’orthographe d’usage et grammaticale, à la syntaxe ou au lexique (Tardif, 2006).

2.5.2 Les caractéristiques de la compétence et de son évaluation

L’auteur reconnaît cinq caractéristiques à une compétence (Tardif, 2006). Elle a en premier lieu une qualité intégratrice, car elle mobilise une multitude de ressources. Elle revêt un caractère combinatoire dans la mesure où ces ressources s’orchestrent de façon différente dans chaque situation. Développementale, elle progresse continuellement, car « les apprentissages qui permettent la maîtrise progressive d’une compétence sont étalés dans le temps » (p.30). Comme nous l’avons vu, elle est contextuelle puisqu’elle entre en jeu dans des situations chaque fois différentes. La compétence est finalement évolutive, puisqu’elle « peut intégrer de nouvelles ressources et soutenir nombre de combinaisons de ces ressources avec celles que maîtrise déjà une personne », ce qui assure par ailleurs sa pérennité (p.35).

Évaluer l’acquisition d’une compétence, c’est savoir tenir compte de ce caractère évolutif. Tardif souligne que cette évaluation devrait permettre de rendre compte de trois éléments (p.104):

1. le niveau de compétence de l’élève;

2. son « degré de maîtrise des ressources internes et externes »; 3. l’étendue des situations dans lesquelles il investit ces ressources.

Une grille censée servir à évaluer le niveau de développement d’une compétence doit comporter ce que Tardif appelle des rubriques, soit des « échelles descriptives » qui « permettent à l’évaluateur de connaître les éléments de performance les plus importants » (Tardif, 2006, p.189). Pour juger de ces éléments, des niveaux de performance doivent être définis à l’aide de « descripteurs » (p.235). Ceux-ci ont pour avantage de garantir une certaine fidélité entre les évaluateurs puisqu’ils portent sur des aspects identiques, permettant ainsi une certaine uniformité de jugement (Tardif, 2006). Notons par ailleurs que l’auteur insiste pour que les descripteurs en jeu dans l’évaluation d’une compétence soient créés de façon à « représenter la complexité des apprentissages et [à] être partagés par une communauté de pratique » (p.236).

2.5.3 Perspectives pour la recherche

Au Québec comme ailleurs, nous supposons sans trop de risque qu’une épreuve ministérielle centralisée est au diapason des programmes de formation en vigueur, que ceux-ci reposent ou non sur un paradigme de compétences. Si l’on s’intéresse de manière longitudinale à de telles

épreuves, nous devons tenir compte des réformes des programmes d’études en vigueur dans la période étudiée afin de constater les changements de paradigmes et comprendre ainsi ceux observés au sein des épreuves.

En effet, dans une perspective d’enseignement et d’évaluation de compétences, une épreuve d’écriture sert à évaluer le niveau de la compétence à écrire d’un élève prise dans sa globalité. Sa correction implique par conséquent une observation ciblée de ses composantes discursive, textuelle et linguistique. Autrement dit, elle évalue le savoir-agir de l’élève en observant sa maîtrise de différents savoir-faire qu’elle répertorie dans les grilles de correction. Il se peut toutefois que cet usage ait évolué en fonction des paradigmes d’enseignement et d’évaluation. Dans le contexte d’un enseignement visant davantage l’atteinte de connaissances ou d’objectifs d’apprentissage, nous pourrions imaginer qu’une épreuve centralisée s’attarde davantage à la capacité de l’élève à mettre en œuvre des savoir-faire (ou ressources) pris individuellement. Chacun pourrait être évalué pour lui-même, dans une tâche tenant moins compte de leur caractère intégrateur et combinatoire.

Deux éléments peuvent être riches en renseignements pour qui veut savoir si une épreuve ministérielle centralisée s’inscrit ou non dans un paradigme de compétences. Les programmes de formation, en premier lieu, permettent d’avoir accès à la philosophie qui sous-tend l’enseignement et l’évaluation des matières scolaires. Deuxièmement, on peut observer les tâches demandées, qui peuvent nécessiter ou non l’intégration des différents savoir-faire. S’agit-il d’une tâche intégratrice de différentes ressources ou, au contraire, de multiples exercices évaluant de façon individuelle leur mise en œuvre?

Dans le cas spécifique de l’évaluation de la compétence, il peut être intéressant de s’attarder aux rubriques et aux descripteurs qui composent les grilles de correction. Les rubriques présentent les savoir-faire dont tiennent compte les évaluateurs alors que les descripteurs, qui servent à définir le degré de maîtrise de l’élève à chacune des rubriques (Tardif, 2006), ajoutent de la perspective aux résultats des élèves. De plus, l’évaluation est une démarche complexe qui se pratique de façon individuelle et personnelle et dont il faut admettre la subjectivité (Laurier et al., 2005). Dans le cas de l’évaluation de la compétence, Tardif estime que des descripteurs uniformes « garantissent que des évaluateurs différents énoncent le même jugement par rapport à une production complexe », les descripteurs participant à la « fidélité entre les évaluateurs » (Tardif, 2006, p.235). Il conviendrait alors d’observer si une grille de correction uniforme existe pour tous les correcteurs

d’une épreuve centralisée ainsi que toute autre mesure d’encadrement de la correction6. Cela ajouterait également de la perspective aux résultats des élèves.

En conclusion, la présente section nous a permis de souligner les caractéristiques que doit revêtir l’évaluation de la compétence en général. Il nous faut maintenant nous arrêter à la notion plus ciblée d’évaluation de la compétence à écrire.