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3. Chapitre 3 : Horizons théoriques du projet 50

3.17 L’éthique empirique intégrée 75

L’approche de l’éthique empirique intégrée favorise une interdépendance entre les faits et les valeurs, entre le descriptif et le normatif [8]. Cette éthique n’est ni complètement descriptive, ni complètement prescriptive. Elle essaie d’intégrer la théorie morale et les données empiriques pour en arriver à des conclusions prescriptives qui guideront l’action dans une pratique donnée [4]. Les recherches en éthique empirique intégrée peuvent aussi examiner les points de vue normatifs à partir des conséquences observables de ces positions [6].

L’éthique empirique intégrée se base sur le fait qu’il n’y a pas de distinction fondamentale entre fait et valeur en tant qu’entités distinctes. De nombreuses recherches empiriques ont prouvé l’interdépendance entre fait et valeur [4]. L’éthique empirique intégrée reconnaît que les valeurs épistémiques de la discipline du chercheur colorent les faits. À l’inverse, les théories morales sont aussi basées sur un arrière-plan empirique.

Puisque fait et valeur sont liés, il y ainsi une possibilité d’associer « ce qui est » à « ce qui devrait ». L’éthique empirique intégrée mentionne notamment que le « devrait » implique le « peut », donc la connaissance de ce qui est [4]. De plus, cette approche porte un intérêt particulier à l’argument de la faisabilité. Il doit y avoir une possibilité d’application empirique dans une théorie morale. Une théorie exigeant des actions irréalisables n’a pas sa raison d’être. Cette forme d’éthique se rapproche de la sagesse aristotélicienne où la phronésis permet de choisir la bonne action dans un contexte donné [4; 6].

3.17.1 Caractéristiques de l’éthique empirique intégrée

Selon Molewickj et ses collègues, l’éthique empirique intégrée possède cinq caractéristiques inhérentes [4]. Ces caractéristiques sont présentées sous forme de lignes directrices à prendre en compte lors de son utilisation, en particulier dans le contexte de la recherche.

1. Les chercheurs doivent se concentrer sur la pertinence contextuelle de la théorie morale en fonction d’une pratique sociale particulière. Une conclusion normative via l’éthique empirique intégrée est basée sur des ajustements entre la théorie et les faits; 2. L’éthique empirique intégrée doit se préoccuper de différents types de normativité. On retrouve ainsi la normativité interne (les valeurs, les attitudes et les pratiques des acteurs au sein d’une pratique particulière), la normativité externe (les valeurs et la moralité extrinsèque à une pratique), la normativité du processus de recherche (le devis, l’analyse des données, etc.), la normativité des faits (les techniques, les

institutions) et la méta-normativité (les valeurs des disciplines prescriptives et descriptives) [4];

3. L’utilisation de données empiriques poursuit plusieurs buts : la description, l’interprétation, l’explication, l’évaluation, la réforme et le développement de théories morales ou de méthodologies. L’identification de ces buts s’avère importante et, dans un contexte de recherche empirique, aide à son élaboration. Cette approche exige d’être attentif aux faits, aux présomptions théoriques et aux valeurs disciplinaires. De là, va dépendre du choix des données pour la recherche. Il faut aussi porter attention à l’arrière-plan et aux valeurs impliquées dans la recherche;

4. Une solide collaboration interdisciplinaire doit caractériser l’éthique empirique intégrée;

5. Il doit y avoir une intégration entre la théorie morale et les données. L’interaction entre l’empirique et le normatif dépend évidemment du but de la recherche. Il y a deux phases dans lesquelles l’intégration prend place : pendant tout le projet et la collecte de données et lors de l’élaboration des conclusions normatives. L’interaction doit être continue [4].

3.17.2 Méthodes de l’éthique empirique intégrée

Tel que mentionné auparavant, l’éthique empirique intégrée sous-tend l’utilisation de données descriptives et normatives. Le passage entre le descriptif et le prescriptif demeure toutefois à préciser. Molewijk propose deux méthodes d’interaction pour y arriver. Il s’agit de l’équilibre réfléchi défini par John Rawls et de l’herméneutique pratique. L’équilibre réfléchi vise à balancer les intuitions morales, les jugements, les

principes et les théories avec un contexte particulier afin de trouver un juste équilibre. Cette méthode n’est ni déductive, ni inductive, bien que Molewijk et ses collègues avouent toutefois qu’elle reste à préciser. Quant à l’herméneutique, il s’agit d’une démarche qui vise à trouver un sens à l’expérience des personnes impliquées dans une pratique sociale. Le but est de rendre explicite l’orientation normative des pratiques quotidiennes et de mieux comprendre ce qui constitue une bonne pratique dans une situation donnée [4]. Enfin, d’autres auteurs, tels qu’Ebbersen et Perdersen, prônent l’intégration de ces méthodes que sont l’équilibre réfléchi et l’herméneutique pratique [9].

3.17.3 Remarques finales sur l’éthique empirique intégrée

En conclusion, l’éthique empirique intégrée représente une approche extrêmement intéressante pour les recherches en bioéthique. Elle vise à associer, voire intégrer le descriptif (faits) au prescriptif (valeurs). L’élaboration de conclusions normatives visant à guider l’action dans une pratique donnée prend assise sur l’étude et l’analyse des faits empiriques entourant cette pratique précise, comme celle de la transplantation rénale. Il ne faut toutefois pas oublier que l’analyse même des faits se teinte de valeurs, notamment celles de la discipline du chercheur. Il y a ainsi une constante interdépendance entre faits et valeurs.

Malgré des débuts promoteurs, ce courant est encore en développement. Plusieurs éléments de l’éthique empirique intégrée restent à définir, dont son élément central, soit la méthode permettant le passage du descriptif au prescriptif. Le but de cette

méthode consiste à tenter de rendre explicite toute l’orientation normative des pratiques quotidiennes, voire des pratiques encore non implantées dans un milieu donné afin d’étudier ce qui constitue une bonne pratique dans une situation et de répondre à l’importante question éthique du « Comment faire pour bien faire? ». Enfin, l’éthique empirique intégrée démontre également toute l’importance de l’interdisciplinarité dans les recherches en bioéthique (union des méthodes issues des sciences sociales et de l’éthique) et la richesse que cette dernière peut apporter aux recherches dans ce domaine.

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