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L'étendue du phénomène sectaire à Genève

L'étendue du phénomène sectaire à Genève

II est très difficile d'apprécier l'ampleur réelle du phénomène sectaire à Genève. En effet, il n'existe aucune statistique officielle du nombre de grou-pements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique, ni des mouvements sectaires à caractère dangereux installés ou actifs dans le canton. Cette situa-tion s'explique par plusieurs motifs.

En premier lieu, Genève ne dispose pas d'un service de police équivalent aux Renseignements généraux français, dont la seule fonction est de collecter des informations sur le terrain. A titre de comparaison, les Renseignements généraux français disposent d'une section «secte» depuis quinze ans. Cette unité est particulièrement active depuis environ cinq ans. Sa méthode de travail se fonde essentiellement sur la surveillance et les contacts officieux.

A l'heure actuelle, à Genève, seul un inspecteur de la sûreté, chargé des enquêtes administratives, s'occupe de manière accessoire des questions liées aux sectes. Il ne peut donc pas surveiller l'ensemble des mouvements à caractère dangereux. Il mène des enquêtes et est parfois contacté par des groupements ou d'anciens adeptes. Il obtient des informations auprès des organismes privés qui, d'une part, ont des contacts plus nombreux avec d'anciens adeptes ou des familles d'adeptes et, d'autre part, entretiennent des relations avec des associations analogues dans d'autres pays. Au surplus, il participe à des réunions intercantonales informelles permettant l'échange d'information entre des policiers s'occupant de ces problèmes.

En revanche, en dehors des dispositions prises dans le cadre de la Commission Transports et Sécurité du Comité régional franco-genevois à l'initiative du Département de Justice et Police et des Transports, les autorités de police genevoises n'ont aucun contact institué avec leurs homologues fran-çais dans le domaine général de la prévention des dérives sectaires.

Il convient enfin de relever qu'en l'état actuel du droit, les groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique, qui bénéficient de la liberté de croyance comme de culte, ne peuvent donc faire l'objet d'enquêtes préven-tives. Les autorités de police doivent limiter leur action aux faits qui

risque-34 François Bellanger, Partie générale

En deuxième lieu, le phénomène sectaire ne peut pas être apprécié unique-ment à l'échelle de Genève. Il faut prendre en considération le contexte régional, car de très nombreux groupements sont installés en France voisine ou dans les cantons romands tout en ayant des adeptes à Genève. Une analyse du mouvement sectaire doit donc se fonder sur une approche globale en fonction non seulement de la localisation d'un groupement à Genève, mais de l'influence qu'un groupement installé en France voisine ou dans un autre canton peut avoir. Ainsi, le groupement EIJA nous a été présenté comme étant très actif des deux côtés de la frontière.

En troisième lieu, le domaine des groupements à caractère religieux, spiri-tuel ou ésotérique est en constante évolution. Chaque semaine voit l'appa-rition ou la dispal'appa-rition de groupements. Des organisations étrangères tentent régulièrement de s'implanter à Genève, notamment en organisant des conférences. Le succès de ces opérations semble toutefois limité. Par exemple, le groupement «Sant Kirpal Singh - Unity of Man>) a organisé le 7 août 1996 une conférence gratuite sur le thème «Dangers de la guérison spirituelle, du yoga et des pouvoirs occultes», mais n'a eu au plus qu'une dizaine de participants, dont trois représentants des associations de défense des familles.

En quatrième lieu, les mouvements à caractère dangereux utilisent fréquem-ment des changefréquem-ments de nom ou de structure juridique pour échapper aux attaques dirigées contre eux. Ils se servent également de nombreuses couver-tures, soit d'organisations, apparemment sans lien avec leur mouvement, pour faire du prosélytisme, accroître leurs ressources financières ou déve-lopper leur influence dans les milieux politiques ou économiques. L'absence de transparence dans ce domaine rend souvent assez difficile l'identification des commanditaires réels de ces organisations. De surcroît, lorsqu'un lien direct est mis au jour, les responsables n'hésitent pas à transformer leurs structures, soit en créant une nouvelle organisation, soit en changeant le nom de celle qui a été identifiée.

Compte tenu de ces éléments, il est difficile de comparer les informations à disposition pour tenter d'apprécier la portée du phénomène sectaire à Genève. Les seules statistiques établies par les autorités sont approximatives.

Selon la sûreté, il existe à l'heure actuelle environ 80 groupements à carac-tère religieux, spirituel ou ésotérique à Genève et en France voisine. Ce chiffre évolue toutefois constamment.

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Le Ministère public ne dispose quant à lui d'aucune statistique spécifique aux procédures pénales liées à des phénomènes sectaires, car les registres nominatifs sont tenus en fonction des personnes physiques concernées et non pas selon les groupements auxquels celles-ci appartiennent.

Par ailleurs, deux associations de défense des familles sont actives à Genève et en Suisse romande: le Groupement de Protection de la Famille et de !'Individu (GPFI) et l'Association Suisse de Défense de la Famille et de

!'Individu (ASDFI). Ces deux associations effectuent un travail important de recherche sur les mouvements sectaires et leurs activités à Genève et en Suisse romande. Elles disposent également d'un réseau de relations sur le plan international qui leur permet d'obtenir des informations ou des docu-ments sur des mouvedocu-ments déjà implantés dans d'autres pays ou sur les événements importants relatifs à des mouvements internationaux qui ont une présence à Genève. Ces relations donnent à ces deux associations accès à des informations dont ne peut pas disposer la sûreté, dès lors que son acti-vité est purement locale. Elles ont remis au groupe d'experts leurs statis-tiques et leurs analyses relatives au phénomène sectaire.

Le gro'upe d'experts reproduit ci-après, uniquement à titre d'infor-mation, ces statistiques et ces analyses sans se prononcer sur leur fiabilité et leur contenu ni quant à la qualification des différents groupements.

Selon les données fournies par Monsieur et Madame François Lavergnat, le GPFI aurait recueilli des informations concernant une soixantaine de grou-pements actifs à Genève et dans la région. Ils considèrent qu'une trentaine d'entre eux seraient dangereux dans la mesure où ils pratiqueraientJa mani-pulation mentale et viseraient la.jeunesse. A l'intérielir de ce sous-groupe,

!'Association va jusqu'à considérer qùe treize organisations seraient particu-lièrement dangereuses, à savoir:

La Scientologie;

Les Témoins de Jéhovah;

Le Mouvement Raëlien suisse;

Moon (Suisse);

L'Eglise Universelle du Royaume de Dieu;

La Mère divine, les Missionnaires, IVI;

La Nouvelle Acropole;

La Soka Gakkai suisse;

T 'D~J;n~ ,-l,. ~~~~ . . - ·

36 François Bellanger, Partie générale

Pierre Vivante, dite Eglise Evangélique du Réveil;

La Méditation Transcendantale;

• Mahatayana;

EIJA.

Le GPFI déclare porter une attention particulière à l' AMORC (Ordre Rosi-Crucien et Ordre Martiniste Traditionnel) qui aurait plus de six millions de membres dans le monde. Il s'inquiète d'autres associations qui n'auraient pas de doctrine spéciale, mais pourraient conduire leurs adeptes vers le sectarisme.

Il cite Narconon qui s'occupe des toxicomanes et est liée à la Scientologie. Il mentionne également le Patriarche etVita Nova qui sortiraient les jeunes de la drogue pour les rendre ensuite dépendants de leur organisation.

Enfin, le GPFI relève le danger des mouvements pédophiles et sataniques, d'une part, et des pratiques chamaniques, découlant de coutumes indiennes, qui se développeraient dans les squats, d'autre part.

S'agissant de l'ASDFI, les statistiques à disposition se fondent sur le nombre d'appels quel' Association a reçus de la part d'adeptes ou de leur famille. Les données au 30 juin 1996 sont les suivantes, sur une base de 211 appels télé-phoniques ou lettres:

Groupes chrétiens . . . 31

Témoins de Jéhovah . . . 12

Scientologie . . . 16

Vente Pyramidale (Herbalife, Amway, NSA) . . . 20

HUE (Energie Universelle et Humaine) . . . 4

Fraternité Blanche Universelle . . . 2

Mahatayana . . . 2

Mahikari . . . 5

Osho (Bhagwan) . . . .5

Mouvement Raëlien . . . 9

Rose Croix (en général) . . . 4

Rose Croix d'or (Lectorium Rosicrucianum) . . . 5

Sahaja Yoga (Shri Mataji) . . . 3

Soleil (Fondation, Dr. Tal Schaller) . . . 3

Templiers . . . 3

Autres groupes faisant l'objet d'un unique appel . . . 48

Demandes d'ordre général . . . 38

Appels erronés . . . 1

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Par ailleurs, cette association insiste sur deux problèmes particuliers qui ne ressortent pas des statistiques. D'une part, selon elle, les sectes guérisseuses présentent des dangers importants, notamment lorsqu'elles utilisent des médecins, des thérapeutes ou des naturopathes pour recruter leurs adeptes.

D'autre part, les responsables de cette association auraient été confrontés à deux cas de violence, l'un concernant une secte satanique et l'autre une secte évangélique.

Il est important de relever que lors des auditions des représentants de cinq groupements cités, soit par le GPFI ou l' ASDFI, les personnes entendues par le groupe d'experts ont vigoureusement protesté contre le qualificatif de ((secte» qui leur est généralement attribué.

Les représentants des Témoins de Jéhovah, de l'Eglise de Scientologie et du Mouvement Raëlien suisse ont exposé que leur groupement est une religion.

A l'appui de cette information, des membres de l'Eglise de Scientologie nous ont notamment remis une abondante documentation, comprenant des attes-tations d'experts sur les questions religieuses et un avis de droit d'un avocat genevois, selon lequel la Scientologie est une religion, dont le but est de créer une société sans guerre, criminalité ou démence. Ils se réfèrent également à la reconnaissance de la Scientologie comme religion dans plusieurs pays, dont notamment le Canada, l'Italie, l'Autriche et l'Afrique du Sud.

Le caractère extrêmement onéreux de la formation scientologue est contesté. Le coût de la formation complète pour un OTVIII serait de Fr. 150 000 à Fr. 200 000 selon le GPFI, alors que les représentants de l'Eglise de Scientologie affirment qu'une formation complète coûterait environ Fr. 15 000 sur cinq ans. A l'appui de ces affirmations, ils nous ont remis le 11 octobre 1996 une liste des prix des cours qui va dans le sens de ce dernier montant.

Par ailleurs, il y aurait à Genève 1 OO membres actifs à plein temps au sein de la Scientologie (2 000 membres sur le plan suisse), 400 membres actifs à temps partiel (5 000 membres sur le plan suisse). 10 000 personnes auraient par ailleurs été contactées à Genève par ce mouvement.

Les Témoins de Jéhovah ont mis en garde les membres du groupe du travail contre les déclarations faites par des gens déçus ou les attaques des médias.

Ils estiment que leur activité religieuse est parfaitement transparente et

insis-tPnt ""'" ],, f<>it n11P tcn1tP nPr.,nnnf" nf"nt lihrf"mf"nt 011itter les Témoins.

38 François Bellanger, Partie générale

Certes, les personnes qui sortent du mouvement perdent tout contact avec celui-ci, mais il s'agit d'une conséquence de leur choix. Celle-ci n'est pas imputable au mouvement lui-même. Les Témoins compteraient 19 congré-gations à Genève.

Les représentants des Raëliens, quant à eux, ont insisté sur la nécessaire tolé-rance à l'égard des nouvelles religions. Ils se sont plaints de ce qu'ils consi-dèrent comme un racisme à leur encontre. Du point de vue financier, ils contestent les attaques formées contre eux. Certes, les membres du mouve-ment sont appelés à verser de 3 à 7 % de leur revenu net à celui-ci, mais ils ne sont pas obligés de le faire. Au surplus, la structure du mouvement, une association, est bénévole. A Genève, le mouvement raëlien aurait environ 200 membres.

Quant aux autres groupements, les deux membres du Lectorium Rosicrucianum entendus par le groupe d'experts ont insisté sur le caractère spirituel de leur groupement. Il s'agit d'une école spirituelle appartenant au mouvement gnostique chrétien, qui compterait environ 80 membres à Genève et 800 membres en Suisse. Ces personnes ont notamment insisté sur la transparence de leur organisation ainsi que sur le caractère très modique des cotisations. Ils ont mis en évidence les dangers de l'amalgame: ils ne veulent pas être confondus avec la Rose-Croix AMORC qui compterait 200 000 adhérents en France.

Le représentant de HUE, Energie Universelle et Humaine, a également contesté toute qualification de son organisation comme secte. Il a expliqué que la structure associative était parfaitement transparente et sans but lucratif. Il s'agit uniquement de transmettre un savoir sans prétention de vouloir guérir des maladies. Les documents qui ont été remis au groupe d'experts allaient également dans ce sens.

Enfin, le Président du groupe d'experts a été contacté par un membre du groupe EIJA qui a exposé que ce groupement, désormais dissous en Suisse, n'est pas une secte. Selon cette personne, il s'agit d'une organisation trans-parente sur le plan financier qui se limite à faire des travaux de méditation dans un but bénéfique. En particulier, les membres du groupe suisse auraient médité en commun de manière à envoyer des énergies permettant de purifier l'eau du lac Léman.

Au terme des auditions, le groupe d'experts a acquis la conviction qu'il faut être extrP.mPmPn't n1·T1rL:,,nt- rl<:inc 1'".lnrihr1:1.::i. rlcw rl~f"f"I....,.c....-..+-...., """..,.,...,,,,._,...,....,...,+"' ;::..

L'information relative aux groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique

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caractère religieux, spirituel ou ésotérique. Selon les sources, les informa-tions peuvent être complètement différentes, et il est difficile d'avoir une image réelle de la nature ou des modes de fonctionnement d'un groupe-ment. D'une part, les associations de protection des familles dépeignent généralement les groupements de manière très négative, sur la base d'infor-mations parfois fragmentaires, de témoignages d'anciens adeptes ou de plaintes de parents. D'autre part, les groupements tâchent de donner la meilleure image possible de leur activité.

Dans ce contexte, les membres du groupe d'experts n'ont pu que constater la difficulté d'obtenir une information objective. Pour apprécier la réalité des faits, il apparaît impératif d'effectuer un travail important, de manière à récolter le maximum d'informations, tant auprès des associations de défense que des groupements eux-mêmes. En toute hypothèse, il faut éviter les amalgames.

L'information relative aux groupements

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