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L'information relative aux groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique

Le groupe d'experts a constaté un double manque d'information à l'égard:

des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique. Ce problème;

est lié à l'enseignement laïc, d'une part, et à l'absence de connaissances:

quant à la réalité du phénomène sectaire, d'autre part.

1. Le

problème de l'enseignement laïc

L'école publique genevoise est laïque, conformément à l'article 163 Cst. gen.

qui fixe l'obligation de séparer l'instruction religieuse des autres parties de l'instruction. Dans ce sens, l'article 6 de la Loi sur l'instruction publique49 impose à l'enseignement public de garantir le respect des convictions poli-tiques et confessionnelles des élèves et des parents.

Les auditions effectuées par le groupe d'experts ont mis en évidence une certaine relation entre le déficit culturel résultant du caractère strictement

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laïc de l'enseignement et le développement de l'influence des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique auprès des jeunes adultes, voire des adolescents.

En effet, l'école laïque n'assure aucune instruction en matière religieuse. De plus, afin de garantir le respect de la laïcité, l'enseignement historique ou philosophique ne porte généralement pas sur les valeurs de notre société judéo-chrétienne qui sont liées à la religion. A l'inverse, paradoxalement, les enfants ou les adolescents peuvent avoir des cours sur la philosophie ou les religions orientales dans la mesure où cela ne heurte pas l'attente des parents quant au respect de la laïcité. Enfin, les Eglises, qui palliaient autrefois l'ab-sence d'enseignement religieux à l'école, ont aujourd'hui de moins en moins d'influence et ne remplissent plus efficacement cette fonction.

La conséquence de cet état de fait est que la plupart des jeunes ne reçoivent au cours de leur formation obligatoire que peu ou pas de cours sur la culture judéo-chrétienne qui forme la base de notre société occidentale. Il s'ensuit que ces jeunes n'ont aucun bagage culturel qui leur permettrait de développer un esprit critique à l'égard de la religion ou des différents groupements à carac-tère religieux. Bien au contraire, en l'absence de référence religieuse et donc d'esprit critique dans ce domaine, ils sont intrigués et attirés par les différents groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique avec lesquels ils peuvent entrer en contact. Ces groupements sont d'ailleurs conscients de ce fait et font fréquemment du prosélytisme chez les jeunes adultes.

Dès lors, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la laïcité à l'école, dans la mesure où elle exclut tout enseignement historique ou philosophique qui pourrait avoir un lien avec les religions judéo-chrétiennes, favorise l'attrac-tivité des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique auprès des jeunes.

Une politique de prévention à l'égard du phénomène sectaire devrait inté-grer un volet de formation à l'intention des adolescents, afin de leur donner un certain niveau de connaissance quant aux fondements de la culture judéo-chrétienne. Cette formation permettrait non seulement de développer un esprit critique des adolescents ou des jeunes adultes à l'égard des doctrines prônées par les différents groupements en leur donnant des éléments de référence et de comparaison, mais aussi de favoriser la compré-hension de notre propre société50.

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Cette préoccupation du groupe d'experts, liée au phénomène sectaire, rejoint et appuie des initiatives prises depuis plusieurs mois dans le canton de Genève. D'une part, depuis la fin de l'année 1994, un groupe d'experts formé par Madame la Conseillère d'Etat Martine Brunschwig-Graf étudie la question de l'introduction de cours sur l'histoire des religions. D'autre part, dans sa séance du 10 octobre 1996, le Grand Conseil genevois a accepté la motion 1079 concernant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton.

2. Absence de véritable connaissance du phénomène sectaire

L'étude de l'étendue du phénomène sectaire à Genève a mis en évidence la difficulté d'obtenir des informations fiables si l'on prend en compte les critiques formulées par les représentants des différents groupements. Or, la Recom-mandation N° 1178 du Conseil de l'Europe suggère aux Etats de diffuser large-ment dans le grand public une information sur la nature et les activités des sectes ou des nouveaux mouvements religieux. La Recommandation insiste sur le fait que des organismes indépendants devraient être crées pour collecter et diffuser cette information.

Selon le groupe d'experts, cette recommandation devrait être suivie dans la mesure où il n'existe à l'heure actuelle pas de politique d'information à l'égard des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique. Or, en l'absence d'information, le public a tendance à considérer tout groupement qui a une activité particulière comme une secte, soit avec une vision très péjorative. Les personnes ont toujours une certaine réticence face à l'inconnu. Dans le climat de crainte actuel, à la suite des drames de l'OTS, cette réticence se transforme souvent en une condamnation immédiate et sans jugement.

Dans les cas les plus graves, les anciens adeptes ou les familles d'adeptes se tournent vers les associations de défense et peuvent alors obtenir des éclair-cissements sur les mouvements. Toutefois, compte tenu de leur rôle et du fait qu'elles n'ont parfois pas une véritable connaissance des mouvements en cause, ces associations peuvent fournir des indications qui ne correspondent pas entièrement à la réalité et présenter un groupement comme une secte dangereuse alors qu'il ne l'est en fait pas.

Face à cette situation, il semblerait opportun de créer un organe

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diffuser de manière neutre des informations sur les groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique.

En particulier, cet organisme pourrait prendre des contacts avec les diffé-rents groupements afin d'entendre leurs responsables, d'obtenir leurs statuts ainsi que des explications sur leurs croyances et leur fonctionnement. Dans la mesure où l'organisation du groupement, notamment en matière admi-nistrative et financière, est transparente, les responsables de celui-ci ne devraient pas avoir de difficulté ou de réticence à fournir les informations requises. Bien au contraire, face à un organisme indépendant, ils dispose-raient de garanties quant à l'utilisation des informations.

Le même organisme aurait également pour fonction d'entendre les témoi-gnages d'anciens adeptes ou d'autres personnes liées aux groupements de manière à disposer d'une information complète et diversifiée. Cet organisme pourrait bien entendu avoir aussi des contacts avec les autorités ainsi qu'avec les associations venant en aide aux victimes. Ces associations pourraient participer à son fonctionnement.

Pour pouvoir fonctionner et rester indépendant, un tel organisme devrait probablement recevoir une aide de l'Etat, ce qui est admissible au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral 51, dans la mesure où elle ne constitue pas une intervention directe dans une controverse religieuse ou métaphy-sique. C'est le cas lorsque l'organisme en cause ne s'en prend pas à des conceptions ou à des communautés religieuses en tant que telles, mais vise seulement à mettre en garde contre les méthodes illicites ou répréhensibles utilisées par certains groupements dans leurs relations avec leurs membres ou pour rechercher de nouveaux adeptes. En particulier, selon le Tribunal fédéral, l'information et le conseil sont des moyens légaux, adéquats et usuels, qui peuvent être soutenus pour protéger des abus en matière de pratiques religieuses et pour aider les personnes à se déterminer librement au sujet de leurs convictions. Dans un tel cas, l'intervention de l'Etat n'est qu'indirecte.

Pour assurer l'indépendance de cet organisme, il serait important que ses organes comprennent des représentants de tous les milieux. Ainsi, il faudrait en tout cas avoir des représentants des principales religions, des religions minoritaires, des associations de défense des familles et du monde politique.

Dans cette optique, il serait probablement utile d'avoir un représentant de la

La protection des victimes de dérives sectaires 43

FIREPHIM, la Fédération internationale des religions et philosophies mino-ritaires, créée par Monsieur Claude Vorhillon, plus connu comme Raël, et regroupant plus d'une quinzaine de groupements, dont la Scientologie, les Raëliens, les Témoins de Jéhovah et Shri Chimnoy.

Sur la base de l'ensemble des éléments, cet organisme serait à même de fournir une information objective, conformément à ce qui est requis par la Recommandation N° 1178.

VI. La protection des victimes de dérives sectaires

Le groupe d'experts a constaté que les victimes de mouvements à caractère sectaire dangereux rencontrent de nombreuses difficultés lorsqu'elles quit-tent le mouvement et quit-tentent de faire valoir leurs droits.

Il est relativement fréquent que ces victimes s'adressent à la police ou à la justice. Or, ces autorités ne sont généralement pas formées pour faire face à la situation très spécifique des anciens adeptes. En effet, les déclarations de ces personnes quant aux pratiques des mouvements qu'elles ont quittés et le parcours qu'elles ont pu suivre pendant un temps plus ou moins long sont souvent perçues comme peu crédibles et ne reposant sur aucune preuve objective. Le seul appui que ces victimes peuvent trouver sont les témoi-gnages d'anciens membres du groupement qui sont eux-mêmes jugés peu crédibles, car ils ont eux-mêmes été des adeptes.

Il s'ensuit généralement une certaine incompréhension et une incrédulité qui sont très mal perçues par les victimes. Celles-ci se considèrent comme rejetées, et leur situation personnelle a alors tendance à empirer.

Les auditions d'anciens adeptes par le groupe d'experts ont également mis en évidence ces phénomènes. Au premier abord, le cheminement intellectuel qui conduit à l'adhésion inconditionnelle à un mouvement semble très surprenant. Mais, dans une seconde étape, en étant à l'écoute des anciens adeptes, il est plus facile de l'appréhender et d'admettre, par exemple, qu'une personne puisse aboutir à vénérer une femme gourou à force de méditer matin et soir devant sa photo et à ressentir, du fait de cette médita-tion, des vibrations silencieuses donnant de légers courants d'air au bout de

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François Bellanger, Partie générale

possible de comprendre ce qui les amène plus tard progressivement à douter et à remettre en cause la toute-puissance du gourou.

Dans ce cadre, les associations de défense des victimes ont un rôle extrême-ment important à jouer. Comme leurs membres connaissent les problèmes des dérives sectaires, ils sont beaucoup plus aptes à écouter et comprendre le témoignage des adeptes. Ils connaissent les mécanismes subtils par lesquels certains groupements entraînent progressivement leurs adeptes dans une soumission complète avec, parfois, une perte totale de leur libre arbitre. Ces personnes sont donc à même d'écouter les victimes, de les comprendre et de les aider à se réinsérer dans notre réalité. Cela est d'autant plus important lorsqu'il est question de manipulation mentale.

De plus, ces associations servent également de conseil pour les familles d'adeptes qui sont souvent perdues face à l'inconnu et à la rupture de contact avec l'adepte. Les problèmes rencontrés le plus fréquemment dans ce cadre sont le changement de comportement de l'adepte qui se désinté-resse de la famille et la remplace par le groupement. Lorsque la famille essaie d'intervenir, la situation empire généralement, car elle est représentée comme un élément très négatif au sein du groupement à caractère sectaire, lui-même idéalisé. Parfois, la famille fait l'objet de menaces de la part du groupement en cause pour qu'elle renonce à essayer de faire sortir l'adepte.

Cette fonction des associations privées devrait être soutenue de manière à permettre aux victimes ou à leurs parents de disposer en permanence d'un véritable soutien en cas de difficulté. Le cas échéant, l'aide aux victimes pourrait être liée à la diffusion d'information.

VII. Conclusions

L'étude du phénomène sectaire à Genève a mis en évidence plusieurs lacunes générales du système juridique.

En premier lieu, les groupements à caractère religieux, spirituel ou ésoté-rique disposent en principe de la liberté religieuse et, en toute hypothèse, de la liberté de pensée. Toutefois, ces garanties constitutionnelles n'autorisent pas n'importe quel comportement. Tout d'abord, elles ne protègent que les

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croyances religieuses. Ensuite, les pratiques religieuses et le mode de fonc-tionnement du groupement doivent rester dans le cadre légal. En particulier, sous le couvert de la liberté religieuse ou de pensée, il n'est pas admissible de commettre des actes illicites. Enfin, les groupements doivent strictement respecter le droit de leur adepte de quitter à tout moment l'organisation. Ils ne peuvent user de contrainte pour conserver leurs membres, dès lors que toute personne a le droit de croire comme de ne pas croire et doit pouvoir choisir librement d'appartenir ou non à une organisation.

En deuxième lieu, la police ne dispose pas d'un personnel suffisant pour détecter et prévenir les actes illicites de mouvements à caractère sectaire dangereux. Il serait opportun de renforcer les effectifs de la sûreté dans ce domaine. Dans le même sens, il serait probablement judicieux de mettre en place une structure de collaboration avec les services de police français dans la mesure où la plupart des manifestations des dérives sectaires à Genève revêtent un caractère transfrontalier.

En troisième lieu, les informations à disposition du public ne sont pas suffi-santes. Cette lacune devrait être comblée de deux manières.

D'une part, l'introduction de cours sur l'histoire des religions et la culture judéo-chrétienne à l'école apparaît comme une nécessité si l'on veut que les adolescents et les jeunes adultes puissent juger des produits proposés par les groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique à l'aune des valeurs qui forment la base de notre société.

D'autre part, un organe indépendant d'information devrait être mis en place de manière à assurer la diffusion dans le public d'une information neutre et objec-tive sur les pratiques et croyances des différents groupements. Cet organisme pourrait également être consulté le cas échéant par des organismes administra-tifs qui ont à l'heure actuelle peu ou n'ont pas de sources d'information sur les problèmes sectaires. Cet organisme serait probablement également à même de disposer de statistiques fiables sur les mouvements à caractère sectaire et de dénoncer les actes illicites constitutifs de dérives sectaires.

Enfin, les organisations d'aide aux victimes pourraient bénéficier d'un soutien de la part de l'Etat dans la mesure où elles ont une fonction très importante pour assurer la réinsertion de personnes ayant subi des atteintes à leur intégrité physique ou psychique.

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