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Chapitre 2 : Le bien-être dans la profession infirmière

2.2 Indicateurs du bien-être au travail considérés

2.2.4 L‘épuisement émotionnel

Selon Demerouti et Bakker (2011), le modèle JD-R est un modèle global qui combine les résultats positifs et négatifs de la santé et du bien-être des employés en un seul modèle global. Bédard et Duquette (1998) cités par Canoui (2003, p. 102) indiquent que : « la souffrance des soignants est particulière dans le sens où elle est liée à un épuisement émotionnel dans un contexte de relation d’aide. Or, si celle-ci devient impossible, alors le métier de soignant n’existe plus, le travail n’a plus de sens ». Cet énoncé illustre bien la proéminence de l‘épuisement émotionnel dans la profession infirmière qui représente un réel problème et une menace pour le système de soins de santé. D‘ailleurs, plusieurs études font état d‘énormes fardeaux émotionnels, physiques et psychologiques que la profession suppose entrainant, autour du monde, des taux élevés d'épuisement émotionnel, plus particulièrement chez les infirmier-e-s qui travaillent dans le milieu hospitalier (Poghosyan, Clarke, Finlayson, & Aiken, 2010 ; Poghosyan & Sloane, 2009 ; Adali & Priami, 2002 ; Sahraian, Fazelzadeh, Mehdizadeh, & Toobaee, 2008 ; Benyahia & Mehenni, 2013 ; Xie, Wang, & Chen, 2011). Les taux d'épuisement émotionnel chez les infirmier-e-s sont plus élevés que chez les autres professionnels de la santé (Khamisa, Peltzer, & Oldenburg, 2013). Une récente revue de littérature confirme que dans la plupart des études examinées, une dégradation du bien-être dans la profession infirmière et de la qualité des soins étaient associés à des niveaux élevés d'épuisement professionnel (Hall, Johnson, Watt, Tsipa, & O‘Connor, 2016). Cette mise en relation de l‘épuisement émotionnel à la dégradation du bien-être dans la profession infirmière découle d‘un constat avéré par rapport aux conséquences négatives de ce syndrome sur plusieurs facettes du travail infirmier comme l‘intention de quitter la profession (Laschinger, Leiter, Day, & Gilin, 2009 ; Leiter & Maslach, 2009), des plaintes

50 psychosomatiques (Jourdain & Chênevert, 2010), la qualité des soins (Poghosyan et al., 2010), les comportements proactifs au travail (Cropanzano, Rupp, & Byrne, 2003 ; Halbesleben & Bowler, 2005) et le bien-être au travail (Qu & Wang, 2015 ; Laschinger & Fida, 2014).

Conceptuellement, l‘épuisement émotionnel constitue l‘une des trois dimensions de l‘épuisement professionnel qui fait l'objet de nombreux débats. Bien que plusieurs chercheurs le conceptualisent comme un construit à trois dimensions : épuisement émotionnel, dépersonnalisation et accomplissement personnel (Leiter, 1993), d'autres conceptualisent l‘épuisement professionnel comme comprenant seulement l'épuisement émotionnel et la dépersonnalisation (Schaufeli & Taris, 2005) ou encore comme un construit tridimensionnel comprenant le burnout personnel, lié au travail et lié au client (patients, détenus, enfants, résidents, étudiants, élèves, etc.) (Kristensen, T. S., Borritz, Villadsen, & Christensen, K. B. 2005). Cependant, le modèle tridimensionnel et son échelle MBI « Maslach Burnout Inventory » de Maslach & Jackson (1981, 1983) semble conserver une certaine notoriété malgré des dissidences parmi les chercheurs (Shirom, 2005). Élaboré comme un syndrome psychologique, l‘épuisement professionnel représente une réaction prolongée aux facteurs de stress interpersonnels chroniques liés au travail caractérisé par un épuisement émotionnel, une dépersonnalisation et une diminution de l‘accomplissement personnel et pouvant se développer chez des personnes travaillant dans le secteur de l‘aide aux personnes (Maslach & Leiter, 1997). Truchot (2016) explique que l‘épuisement émotionnel se réfère à une dépense excessive des ressources, un sentiment d'être vidé émotionnellement et de ne plus pouvoir faire face aux demandes et aux facteurs de stress. Quant aux deux autres dimensions (la dépersonnalisation et la diminution de l‘accomplissement personnel), elles représentent la réponse d'adaptation ou des mesures défensives face à l‘épuisement émotionnel. La dépersonnalisation ou désinvestissement comme son nom l‘indique, est une tentative de mettre la distance entre soi et les destinataires de services, caractérisée par la déshumanisation relationnelle. Elle se manifeste par des sentiments de cynisme qui représentent des réponses négatives à divers aspects d'un travail. Le cynisme renvoit aussi au négativisme qui traduit un comportement égoïste ou sans pitié dirigé vers les personnes, le travail ou les situations. Les personnes soufrant de dépersonnalisation perçoivent le travail comme n'étant pas significatif et ne méritant pas d‘efforts. L‘accomplissement personnel se réfère à un manque de sentiment d'accomplissement relatif à l‘évaluation négative de la performance au travail. En effet, il est difficile d'avoir un sentiment d'accomplissement quand on se sent épuisé ou lorsqu'on aide les personnes envers qui on se sent indifférent. En outre, des sentiments d'inefficacité peuvent conduire à des sentiments d'inadéquation. Avoir un sentiment d'inadéquation peut amener une personne à perdre confiance en soi et en sa capacité de bien faire le travail (Maslach & Leiter,

51 1997). Actuellement, parmi les mesures de l‘épuisement professionnel, le « Maslach Burnout Inventory for human services professions » (MBI-HS) de Maslach, Jackson et Leiter (1996) reste l‘outil le plus valide et le plus utilisé dans le domaine infirmier à travers plusieurs cultures (Loera, Converso, & Viotti, 2014 ; Vanheule, Rosseel, & Vlerick, 2007 ; Lee, Chien, & Yen, 2013 ; Kanste, Miettunen, & Kyngäs, 2006 ; Boufera & Benmoussa, 2009). Le (MBI-HS) a aussi été validé en langue française par Truchot, Lheureux, Borteyrouet, & Rascle (2012).

En général, peu importe la conceptualisation de l‘épuisement professionnel, il est admis que l‘épuisement émotionnel en constitue la dimension centrale (Berry, Barrowclough, & Haddock, 2011 ; Taris, LeBlanc, Schaufeli, & Schreurs, 2005 ; Halbesleben & Demerouti, 2005 ; Lee & Ashforth, 1996 ; Leiter, 1996). Ces dernières années, différentes études ont montré que les infirmier-e-s sont exposés à de hauts niveaux d'épuisement émotionnel (Laschinger & Finegan, 2008 ; Laschinger & Leiter, 2008). Cette prévalence est causée par une série de facteurs situationnels, organisationnels ou interpersonnels caractéristiques de l'environnement hospitalier. Parmi les facteurs les plus cités dans la littérature figure par exemple : la surcharge quantitative, l'ambiguïté et le conflit de rôle, la charge physique, le conflit travail famille et l'hostilité des patients (Truchot & Borteyrou, 2010 ; Jourdain & Chênevert, 2010 ; Adriaenssens et al., 2017 ; Koekemoer & Mostert, 2006). L‘étude de Stordeur, Vandenberghe et D‘hoore (1999) révèle que les pressions au travail, le manque de soutien, les conflits entre les collègues et avec la vie privée, le travail à temps plein par rapport au temps partiel et la souffrance et la mort des patients représentent les principaux facteurs mis en cause dans la survenue de l‘épuisement émotionnel. L‘épuisement émotionnel dans l'environnement hospitalier est également lié aux exigences professionnelles élevées où le soignant est dans l‘obligation d‘actualiser régulièrement ses connaissances professionnelles pour demeurer performant dans un milieu en perpétuelle évolution (Demerouti et al., 2000 ; Lim, Kim, E. K., Kim, H., Yang, & Lee, 2010). Le rôle de la dissonance émotionnelle dans le développement de l‘épuisement émotionnel des infirmier-e-s se trouve aussi, à travers la littérature, de plus en plus mis en évidence (Andela & Truchot, 2016 ; Bakker & Heuven, 2006 ; Dal Santo et al., 2016 ; Kinman & Leggetter, 2016). Par ailleurs, les chercheurs ont identifié plusieurs ressources du travail, ainsi que des ressources personnelles, qui peuvent prévenir ou du moins, diminuer la prévalence de l‘épuisement émotionnel dans la profession infirmière, comme le soutien du superviseur et des collègues, l‘autonomie et le contrôle sur le travail (Hu, Schaufeli, & Taris, 2016 ; Weigl, Stab, Herms, Angerer, Hacker, & Glaser, 2016 ; Laschinger, Grau, Finegan, & Wilk, 2012 ; Gray-Stanley & Muramatsu, 2011). D‘autres plaident pour les ressources personnelles comme l‘optimisme (Garrosa et al., 2011 ; Halbesleben, 2010), l'empathie (Lee, H., Song, Cho, Lee, G. Z., & Daly, 2003). De récentes

52 études défendent la position des stratégies de régulation émotionnelle comme des ressources personnelles face aux interactions émotionnellement exigeantes du travail (Bai, Lin, & Wang, 2016 ; Van Gelderen, Konijn, & Bakker, 2017). Ces ressources sont plus pertinentes dans le milieu hospitalier ou, les études nous renseignent que la régulation en profondeur serait plus susceptible de promouvoir la santé et le bien-être du personnel infirmier par rapport à la régulation dite en surface (Bassal, Czellar, Kaiser, & Dan-Glauser, 2016 ; Diefendorff et al., 2011).

Synthèse

Le bien-être au travail s‘avère, à l‘heure actuelle, un véritable défi pour les chercheurs et les gestionnaires hospitalier. Concilier performance, qualité des soins et bien-être au travail apparait dans les conjonctures actuelles de restructuration organisationnelle et restriction budgétaire l‘un des leviers accessibles aux gestionnaires pour palier aux difficultés qui caractérisent le secteur hospitalier, sa mise en œuvre est relativement facile mais conditionnée par l‘implication effective de tous les acteurs de l‘organisation. La littérature émergente et innovante laisse à penser que de nouvelles voies s‘ouvrent, de l‘approche « Planetree » centrée sur la personne aux hôpitaux magnétiques vue par Brunelle (2009) comme un hôpital où il fait bon vivre et où il fait bon se faire soigner, le bien-être au travail est mis en avant pour repenser la manière d‘appréhender la place de l‘individu dans l‘organisation (pour une revue, voir has-sante.fr ; Schaufeli & Taris, 2014). Ainsi, une orientation basée exclusivement sur la souffrance au travail n‘est plus indiquée du fait des multiples difficultés d‘intervenir sur les exigences du travail, d‘où l‘orientation vers une vision globaliste traduite notamment par le modèle des exigences et des ressources du travail de Demerouti et al. (2001) qui, comme nous allons voir dans le chapitre suivant, plaide pour une intervention axée sur les ressources (personnelles ou professionnelles) afin de palier les répercussions négatives des demandes du travail sur le bien-être des travailleurs. En accord avec le principe de la pertinence de la prise en compte de la spécificité du contexte, nous avons voulu à travers la présente étude, identifier des demandes et des ressources spécifiques à la profession infirmière afin de proposer un modèle de recherche expliquant le bien-être au travail illustré par quatre indicateurs (la satisfaction au travail, l‘engagement au travail, l‘engagement organisationnel affectif et l‘épuisement émotionnel).

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Chapitre 3 : les ressources dans la professioninfirmière