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L’énonciation, le corps et les dispositifs audiovisuels

Le cinéma et les médias audiovisuels participent ensemble d’un des domaines où l’extrapolation du concept linguistique d’énonciation a fait l’objet de discussions approfondies, où le transfert de la linguistique à la sémiotique audiovisuelle a soulevé maintes difficultés. En premier lieu le cinéma, qui a été conçu d’abord comme langage, « grammaire », code, etc., voire comme un système de signes, dont la définition des unités

minimales n’a pas été facile91. De cette première étape, est symptomatique l’expression

« parler cinéma », popularisée quelques années plus tard, et conçue comme la manière dont les « grands imagiers », les auteurs implicites et autres figures de la narratologie filmique, actualisent les possibilités immanentes d’une « langue », dans l’usage propre de la « parole filmique », à la manière saussurienne. À ceci près que la parole saussurienne, et surtout sous l’emprise de la « masse parlante », est bien plus qu’un usage : de multiples effectuations, des myriades d’exécutions continues dans le temps incompressible de l’action, soumise à des forces sociales, psychiques et sémiologiques. Quoi qu’il en soit, dans cette dualité langue / parole, la parole filmique revient alors à un énonciateur (le « sujet parlant » ou la « masse parlante »).

Peu après, le film a été vu comme un texte, une unité de sens plus vaste (par rapport au « signe »), un « ensemble signifiant » défini comme un univers semi-fermé, en dialogue avec l’institution cinématographique (entendue comme l’ensemble de tous les films, selon l’idée de

Christian Metz), à laquelle il appartient. Dans cette étape, les « films concrets »92 (les produits

des énonciations) sont conçus comme le résultat d’une « écriture »93, un travail de production

91 Même si la conclusion du fondateur de la sémiotique du cinéma, Christian Metz, à cette époque-là a été que le cinéma était un « langage sans langue », au début les discussions ont tourné autour des « articulations » d’un tel langage, sa « syntaxe » et, en général, sa « grammaire ». Voir, particulièrement (METZ, 1964).

92 C’est-à-dire, simplement, « les films pris (un à un) », chacun avec une organisation particulière de thèmes et motifs, et un « usage singulier qui y est fait des divers procédés cinématographiques », des « relations qui unissent cet usage au « contenu » du film, etc. » (METZ, 1971 : 53).

93 « On peut donc dire, en termes barthésiens, que le langage cinématographique a plus de points communs avec une écriture qu’avec une langue. Ce sont les cinéastes, non la population globale, qui ont fait le cinéma, comme ce sont les écrivains qui ont fait l’écriture. La langue appartient à tout le

CONDE Juan Alberto | Thèse de doctorat en Sciences du Langage | Université de Limoges | 2016 84 textuelle qui doit être interprété selon ses « logiques internes », et surtout, selon la tension entre systèmes (singuliers) et codes (généraux). C’est également l’époque de l’introduction des modèles communicationnels (des émetteurs et récepteurs) et sa traduction sémiotique dans les actants de l’énonciation : énonciateurs et énonciataires. Mais on sait bien aujourd’hui qu’un « film », pour être une effectuation « concrète », est plus qu’un texte, à moins d’englober au moins dans le texte en question un écran et un espace de projection et d’écoute, et qu’en matière de « communication » le film propose et transmet plutôt des positions et des rôles à adopter et à adapter.

Comme pour anticiper cette objection d’aujourd’hui, et simultanément (et avec des développements postérieurs) le mariage sémiologie – psychanalyse a donné lieu à cette même époque à la théorie du dispositif, moitié description d’un « medium » technique, moitié description d’une expérience (pré)configurée dans l’espace de projection, et portée par une disposition psychique du spectateur. Dans cette étape la bascule commence à pencher du côté de l’énonciataire (« réel » ou « simulé », selon la perspective théorique), après l’intérêt exclusif de la première narratologie pour l’énonciateur : il s’agit de décrire, au moins au niveau général, l´expérience des êtres humains réunis dans une salle de projection, qui

s’apparente aux états de rêve ou d’hypnose94. Le mouvement de bascule qui substitue ainsi

l’énonciataire à l’énonciateur apporte un complément, voire une compensation, mais ne résout pas pour autant la question sous-jacente, à savoir celle de leurs relations, interactions et échanges de positions.

Finalement, l’intérêt pour les énonciataires a donné lieu à différentes théories de l’expérience de réception et d’interprétation filmiques. Par exemple, Michel Chion a proposé le terme audiovision, défini comme une attitude perceptive, une activité déployée par le spectateur. Les médias audiovisuels, nous dit Chion, « ne s’adressent pas seulement à

l’œil »95. Et ajoute : « Ils suscitent chez leur spectateur –leur audio-spectateur– une attitude

perceptive spécifique, que nous proposons, dans cet ouvrage, d’appeler l’audiovision. Une

monde, le cinéma et l’écriture sont choses de « spécialistes », bien qu’ils ne se confondent pas avec les idiolectes propres à chacun d’entre eux. C’est pourquoi le langage cinématographique évolue considérablement plus vite qu’une langue, et que son évolution se déploie dans une temporalité qui n’est pas de même échelle que celle des diachronies linguistiques, et rappelle plutôt celle des diachronies littéraires ». (METZ, 1971 : p. 201).

94 Voir BAUDRY (1975) ; METZ (1975) et, plus récemment, BELLOUR (2009).

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activité qui, bizarrement, n’est jamais envisagée dans sa nouveauté ». Dans tout le livre que

cet auteur consacre au concept d’audiovision, seules quelques lignes (dans l’introduction) sont dédiées à la définition du terme. Dans un autre ouvrage, Chion propose un glossaire, où on peut trouver une telle définition : le terme audiovision « désigne le type de perception propre au cinéma et à la télévision, mais souvent aussi vécue in situ, dans lequel l’image est le foyer conscient de l’attention, mais où le son apporte à tout moment une série d’effets, de sensations, de significations qui souvent, par un phénomène de projection dit valeur ajoutée

sont portés au compte de l’image et semblent se dégager naturellement de celle-ci »96. Il s’agit

donc d’un « type de perception », une « activité perceptive ». Et, bien que cette activité soit activée par les images à l’écran et par les sons dans les hautparleurs, il s’agit de l’activité du spectateur. Le mouvement de bascule s’accentue, puisqu’il est ici utile de se demander s’il s’agit toujours d’un énonciataire, instance reconstruite à partir du film, ou d’un spectateur « réel » (même s’il reste générique).

Parallèlement, chez les théoriciens « cognitivistes » du cinéma, la question ne se pose plus : ils ont également privilégié le spectateur, mais bien le spectateur réel, en essayant de modéliser son activité interprétative selon les paramètres de la psychologie et les théories de la perception. Plus que les « textes filmiques », ce qui intéresse ici ce sont les « inférences », les « hypothèses » et les réactions des spectateurs, résultats de leur activité corporelle et neuronale. Dès lors, s’agissant des spectateurs « réels » dotés d’un psychisme, d’organes sensoriels et d’activités neurocognitives, la question de l’énonciation est mise de côté, ou

même rejetée comme non pertinente97.

Dans cette brève histoire, le concept d’énonciation apparaît de façon intermittente, et plus ou moins explicite. Ce concept a été lié à ceux de narration, de monstration, de "point de vue" et d'autres notions qui ont à voir avec le fait que le cinéma est un médium qui raconte, à travers des images et des sons, ainsi que des mots. Néanmoins, bien qu’il s’agisse d’un médium impliquant la perception, la dimension corporelle de l’expérience audiovisuelle a rarement - ou insuffisamment- été traitée. Nous voudrions donc aborder ici les problématiques

96 CHION (2003 : p. 413).

97 C’est principalement David Bordwell qui a questionné la pertinence de la théorie de l’énonciation appliquée au cinéma (BORDWELL, 1985). Cette position a été discutée, entre autres, par Jost et Gaudreault, en particulier en ce qui concerne la narration (GAUDREAULT & JOST, 1990). Voir aussi (JOST, 1992, p. 28). Ces auteurs accusent Bordwell de tomber dans l'animisme, en affirmant que c’est « l’histoire » qui « se donne » au spectateur.

CONDE Juan Alberto | Thèse de doctorat en Sciences du Langage | Université de Limoges | 2016 86 liées à la question de l'énonciation dans le cadre de la sémiotique du discours et de ses derniers développements : la sémiotique du corps et la théorie des pratiques sémiotiques qui proposent un cadre théorique de pertinence pour aborder la relation entre le corps et l’énonciation dans les dispositifs audiovisuels et les expériences qui s’y déroulent. Le rapide panorama qui précède met en évidence la nature du défi à relever : passer par la sémiotique des pratiques et la sémiotique du corps sans pour autant sortir du champ de l’énonciation !

Narration, monstration et énonciation

À la différence de la littérature, il est indéniable que les « textes filmiques » activent des expériences perceptives réelles, « en direct », voire « primaires », à partir desquelles le

spectateur doit construire un récit, une diégèse, un monde possible98. Et ce spectateur a un

corps ou, mieux, est un corps. Cette question n’est pas passée complètement inaperçue dans les théories de l’énonciation audiovisuelle. Pour ne citer que quelques exemples, on peut mentionner Francesco Casetti, Gianfranco Bettetini, André Gaudreault, Roger Odin et François Jost.

Dans son ouvrage, D’un regard l’autre : le film et son spectateur Francesco Casetti s’efforce de décrire l’activité du spectateur sans sortir d’un cadre structuraliste et énonciatif. Il parle d’une solidarité entre l’ « interlocuteur qui est anticipé par les images et les sons et l’interlocuteur dont le regard croise les regards venant de l’écran », bien qu’entre eux il y ait aussi des différences. Le corps de cet « interlocuteur » est, donc :

…le support et la réserve d’un rôle. Le support avant tout. Si les lignes de force qu’un texte filmique s’emploie à mettre en place, et qui définissent à leur tour les articulations fondamentales du texte, visent d’un côté à transformer des hypothèses en une opération effective et de l’autre à donner une certaine stabilité à des actions en partie variables, elles

98 Il y a une forte tendance à privilégier le composant narratif par rapport au composant visuel du cinéma. Chez le premier Metz, par exemple : « La dialectique histoire/image le règne de l' « histoire » va si loin que l'image, instance que l'on dit constitutive du cinéma, s'efface à en croire certaines analyses derrière l'intrigue qu'elle a elle-même tissée, et que le cinéma n'est plus qu'en théorie art des images. Le film, que l'on croirait susceptible de donner lieu à une lecture transversale, par l'exploration à loisir du contenu visuel de chaque « plan », est presque à tout coup l'objet d'une lecture longitudinale, précipitée, déphasée vers l'avant et anxieuse de la « suite ». La séquence n'additionne pas les « plans », elle les supprime » (METZ, 1964 : pp. 62 – 63).

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doivent s’appuyer sur quelque chose ou sur quelqu’un. En d’autres termes, une présence effective est nécessaire pour ajuster des lignes de conduite dans une action et pour agencer des points de vue perpétuellement fuyants autour d’un point fixe. Dans ce sens, un corps, face à un rôle, est comme une plaque photographique qui révèle avec précision les contours d’une image et qui, en même temps, fixe le mouvement dans une pose canonique : donc comme une surface qui se grave et qui immobilise. En plus d’être un support, c’est, comme nous l’avons dit, une réserve. La plaque est aussi un palimpseste où chaque inscription se superpose aux traces précédentes et où chaque trace demeurée devient l’occasion d’un souvenir. En effet, les lignes de force du texte, bien loin de rencontrer des présences inertes, puisent en quelque chose ou en quelqu’un de quoi les alimenter et les informer ; elles rencontrent le réceptacle d’une compétence. (CASETTI, 1990 : pp. 70 – 71)

Curieuse métaphore pour désigner un corps vivant, celle de la plaque photographique, comme si l’objet inorganique était le corps et pas le film… Peut-être le même auteur a-t-il noté la difficulté de sa métaphore et n’a pas hésité à en proposer une autre, plus « interactive » : « dans ce sens-là, un corps, face à un rôle, est comme un registre permettant d’établir le passif et l’actif d’un compte ; comme l’avaliseur d’un prêt, capable d’interrompre les frais s’il est à découvert, ou de le relancer si on lui paie ses intérêts » (CASETTI, 1990 : p. 71). En tout cas, la question de fond apparaît ici : si l’on cherche à situer le rôle du corps dans l’énonciation audiovisuelle, il faut également interroger l’ « intercorporéité », l’échange et la transmission entre les deux corps énonçants, celui du pôle énonciateur et celui du pôle énonciataire. Casetti semble envisager cette interaction sur le mode socio-économique : un compte ouvert par l’un, un don provisoire (un prêt), appelant une sorte de contre-don de l’autre.

Dans les théories du cinéma venant d’Italie, l’autre auteur qui a traité plus en détail la question du corps dans l’énonciation audiovisuelle est Gianfranco Bettetini, qui a résolu l’opposition entre le « corps textuel » et le « corps réel » de l’énonciataire avec le concept de « prothèse symbolique ». D’après Bettetini il n'y a pas contiguïté entre le corps du spectateur et les signes dans l'écran :

L’effet illusoire des signes filmiques satisfait l’activité de ses sens, l’organicité matérielle de son corps ; mais la connaissance de son immatérialité, de son manque de concrétion, fendille cette satisfaction et lance son activité psychique et, même plus, l’ordre du système symbolique inscrit aussi dans son corps (…). Le corps du spectateur est reproduit symboliquement dans un simulacre tendanciellement homogène, similaire à celle incorporée dans le texte par le

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sujet énonciateur et révèle, dans cet acte, toute sa nature relationnelle (…) Le corps du spectateur "prolonge" son action en devenant un "autre" corps de nature symbolique, en se construisant une véritable et propre prothèse symbolique. (BETTETINI, 1996, pp. 34 - 35)99

Bettetini comprend la prothèse dans un sens large, comme un dispositif qui étend la capacité d'action d'un organe en permettant de pénétrer des lieux exclus des possibilités naturelles du corps. Dans le cas du cinéma, il n’y a pas besoin de prothèses visuelles ou auriculaires proprement dites –puis les images et les sons arrivent directement aux organes sensoriels correspondants chez le spectateur dit « normal »-. Le sens du terme « prothèse » est ici particulier : l’image audiovisuelle s’impose au destinataire comme un monde apparentement ouvert à l’interaction corporelle ; néanmoins, le spectateur se rend rapidement compte que cette interaction est incomplète et illusoire : il manque la poli-sensorialité de l’expérience réelle (olfaction, gustation, etc.) et la spatialisation. Le spectateur, donc, « finit par se sentir auteur, en remplaçant l’impuissance sensorielle avec un dispositif symbolique qui remplace l’action des sens non stimulés : justement, avec une prothèse symbolique »

(35)100.

Cela nous renvoie au champ de l’énonciation énoncée : autour du « vu » et de l’ « entendu » par l’énonciateur le simulacre de l’énonciataire est construit, et la prothèse symbolique du corps du destinataire (réel) interagit avec ce simulacre :

…on peut dire que tout le corps du destinataire se prolonge dans une prothèse symbolique qui est poussée à souligner, en vertu du projet énonciatif immanent au texte, le simulacre symbolique du sujet de l'énonciation : les yeux, les oreilles, la synesthésie du corps absent devient les organes sensoriels du corps symbolique produit par le spectateur, avec tous les effets d’illusion et du feed-back sensoriel demandés au corps psychique par le manque des parties du corps physique et sa substitution avec la prothèse (p. 36).

De cela Bettetini conclut que le corps du sujet de l’énonciation peut être interprété sous la perspective d’un « savoir organisé », un ensemble d’informations pré-construites qui s’articulent dans le texte comme acte discursif. L’auteur parle d’une « encyclopédie

99 Pour la version originelle, voir (BETTETINI, 1979).

100 Dans une œuvre plus récente, Betettini s’occupe aussi du composant sonore des médias audiovisuels : Il timpano dell'occhio. Gli intrecci e i giochi dei suoni e delle immagini (BETTETINI, 2009).

CONDE Juan Alberto | Thèse de doctorat en Sciences du Langage | Université de Limoges | 2016 89 organique » qui s’offre à l’énonciataire, qui organise aussi sa propre structure symbolique, laquelle est née de la rencontre du savoir de l’énonciateur avec le sien. Le spectateur « voit le film et en même temps il l’aide à être texte, à être acte communicatif » (37).

Ainsi, le corps réel disparaît à nouveau sous l’ombre du simulacre : « l’échange est fermé dans un lieu immatériel où les corps sont absents et où une connaissance est produite, une acquisition du savoir, une incorporation symbolique… » (37). En tout cas, tant Casetti que Bettetini sont sensibles au tournant dit « pragmatique » des années quatre-vingt, qui a permis de commencer à parler de l’énonciation « en acte ». Un tournant qui met l'accent sur l'activité du spectateur et son expérience perceptive.

Dans les théories de l’énonciation depuis les années quatre-vingt, la question du corps a été cantonnée, au rôle discriminant des deux types de sensations sollicitées, en particulier depuis qu’on a commencé à faire la distinction entre la focalisation (relative au savoir) et

l’ocularisation et l’auricularisation101, rapportées à voir et entendre ; c’est-à-dire, la

distinction entre un faire cognitif et des faires perceptifs (JOST, 1987) ; (JOST, 1992) ; (GAUDREAULT & JOST, 1990).

On peut retrouver la distinction entre montrer et raconter (showing and telling, dans la tradition anglaise), comme l’a fait André Gaudreault (Gaudreault, 1999), jusque dans la distinction entre mimèsis et diègèsis de la tradition grecque. Et bien que pour ce théoricien la distinction la plus précise doit être entre diègèsis mimétique (comprise comme représentation scénique) et diègèsis non mimétique (la narration « directe » du « poète »), en réservant le terme mimèsis pour désigner la représentation poétique en général, la dichotomie narration vs

monstration, valable pour le théâtre et le cinéma, est une des catégories les plus importantes

dans son approche narratologique102. En ce qui concerne l’énonciation visuelle (pour le

théâtre, puis pour le cinéma), le terme monstration est le plus intéressant, car il dépasse la

101 Dans son ouvrage Les Espaces subjectifs (sur lequel nous reviendrons), Jacques Fontanille met en question la pertinence de ces distinctions. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.

102 D’après Gaudreault, il faut distinguer la narration scripturale de la monstration scénique. C’est dans la première qu’on peut utiliser le showing et le telling de la narration scripturale, tandis que dans la deuxième on utilise la distinction diègèsis mimétique / diègèsis non mimétique (GAUDREAULT, 1999 : pp. 86 – 89).

CONDE Juan Alberto | Thèse de doctorat en Sciences du Langage | Université de Limoges | 2016 90 discrimination sensitive. Chez Gaudreault, ce terme remplace le terme moins précis de « représentation » :

…j’ai suggéré, il y a quelque temps, l’utilisation systématique d’un terme, « monstration », déjà existant103 (quoiqu’il n’ait pas encore fait son entrée dans les dictionnaires) et qui commence à s’imposer, pour caractériser et identifier ce mode de communication d’une histoire qui consiste à montrer des personnages qui agissent, plutôt qu’à dire les péripéties qu’ils subissent, et pour remplacer ce terme trop marqué, trop galvaudé et par trop polysémique qu’est « représentation ». Le choix du terme de « monstration » m’apparaît aujourd’hui d’autant plus heureux qu’il m’a permis à l’époque de former le substantif « monstrateur », que je propose à nouveau ici pour identifier et singulariser cette entité théorique, équivalente du narrateur fondamental du scriptural, qui serait responsable de la communication du récit scénique (GAUDREAULT, 1999 : p. 87).

Dans le cas du cinéma, Gaudreault associe le travail du monstrateur à l'activité du tournage, et donc à l’appareil de prise de vues. Ce travail est paradoxal si on pense que le temps du tournage est le présent, défini par Benveniste comme « la coïncidence de l’événement décrit avec l’instance du discours qui le décrit », tandis que dans le temps de la projection (c’est-à-dire, le temps du spectateur) « l’événement décrit » par l’appareil est déjà passé : « L’illusion de présent que procure la vision du plan n’est donc, en définitive, qu’un simulacre de présent » (GAUDREAULT, 1999 : p. 105). En d’autres termes, d’après Gaudreault, le monstrateur filmique opère toujours un débrayage temporel. Mais loin de résoudre le paradoxe temporel que provoque la désynchronisation entre les deux pôles de

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