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L’économie des monastères

Dans le document Temples et monastères de Mongolie-Intérieure (Page 159-162)

Les monastères étaient théoriquement placés sous l’autorité du jasaJ de la bannière (à l’exception de ceux de la bannière Siregetü küriye et du BadJar coiling süme [63]) mais leurs relations se limitaient à des formalités administratives. Ils étaient exemptés de taxes et possédaient leur juridiction propre. Ils apportaient parfois un soutien financier au gouvernement dont ils dépendaient.

Les grands monastères tiraient leurs revenus de l’exploitation des troupeaux, des taxes payées par les

shabinar, des dividendes de sommes prêtées, du paiement des services (prières, rituels), du commerce, du

transport de marchandises... ; à quoi s’ajoutaient les donations privées et collectives, éventuellement les subsides impériaux, et les sources de revenu locales, comme l’exploitation des mines de charbon et des mines de craie du BadJar coiling süme ou la collecte de la taxe de l’embarcadère du fleuve Jaune payée par les Tümed au BoJutu juu [66] de Baotou. Les moines pratiquaient l’impression de livres, la peinture, la sculpture et la manufacture d’objets destinés à la vente.

Au début du XXe siècle, les petits monastères possédaient en moyenne une dizaine d’hectareset quelques dizaines de têtes de bétail ; les monastères de taille moyenne, entre 50 et 500 hectares et 100 à 300 têtes de bétail ; les monastères de plus de 500 moines, entre 500 et 20 000 hectares et 10 000 têtes de bétail en moyenne110, capital constitué par donation ou par emprunt. Les chiffres regroupent en général

les propriétés du monastère et celles du qubilJan, souvent d’importance semblable. Dans les années 1930- 1940, le IVe *anjurwa nom-un qan détenait 30 000 têtes de bétail et son monastère, le BadJar coiling

süme [63], comptait 21 600 têtes pour 41 000 hectares111, ce qui en faisait pour l’époque l’un des

monastères les plus fortunés de Mongolie méridionale avec le Morui-yin süme [145] qui possédait à la même époque plus de 10 000 chevaux, des milliers de moutons et 13 000 hectares112. Avec la colonisation

chinoise pendant la période républicaine, les biens de nombreux monastères ont été confisqués, notamment chez les Ordos.

109 Damdinsüren, 1970, p. 15-30.

110 Voir le recensement des monastères de la bannière de gauche des BaJarin (Juu-uda) en 1935 (Yexing Gaolibu, 1985, p. 554) ; des monastères de la bannière des Aoqan sous la République (Zhang Naifu, 1991) ; des monastères de la région de Fuxin en 1952 (XiangFusheng éd., 1991, p. 97-100). Miller (1959, p. 101) pour les propriétés de monastères du Jirim. Delege (1998, p. 275-277) recense les propriétés du BadJar coiling süme [63], de la bannière Siregetü küriye [98-100], du Siregetü juu [2], du Morui-yin süme [145] et d’autres.

111 Hashimoto Kôhô, 1942, p. 210 ; Jin Shen, 1982b, p. 174. 112 Zhang Bingkui, 1986, p. 123-128.

160 « Donnés » par un prince à un monastère – ou à un qubilJan – ou bien placés de leur plein gré sous administration religieuse pour être exemptés de la conscription et acquitter des impôts moins lourds qu’en territoire de bannière113, les shabinar faisaient paître le bétail ou cultivaient les champs des monastères ou

du qubilJan en échange d’une redevance annuelle en nature114. Ils devaient aussi participer à des corvées

(en moyenne vingt à quarante jours de travaux par an) comme la construction d’édifices religieux ou la conduite de caravanes d’animaux loués par le monastère à des commerçants, et contribuaient aux dépenses exceptionnelles. Cinquante à cent familles de shabinar assuraient le revenu d’un monastère115 et lorsque

leur nombre augmentait, il fallait rechercher de nouvelles terres pour les y installer. Recueillies lors des fêtes ou par des trésoriers ambulants, les contributions des shabinar sont évaluées entre 100 et 500 liang d’argent116 par an pour les monastères de petite ou de moyenne taille et s’élèvent à plusieurs milliers de

liang pour les plus grands (5 000 liang au Gegen süme [149]), montants auxquels s’ajoutaient les

contributions en nature117. Les revenus totaux des monastères devaient être équivalents à 200 diao118 par

an pour les petits119, à 20 000 ou 30 000 diao pour les plus grands120. Ces revenus comprennent également

les sommes données par les bannières ou par le Lifan yuan ainsi que les profits commerciaux, réalisés surtout pendant les festivals. Les deux principaux monastères de la bannière de droite des BaJarin [128,

129] recevaient par exemple chaque année 20 000 liang du gouvernement de la bannière à l’occasion de

leur grand festival.

Les monastères possédaient souvent leurs propres caravanes, louaient du bétail et des terres cultivables et monnayaient des emplacements ou des maisons qu’ils prêtaient aux négociants et banquiers chinois

113 Jagchid, 1988 [1974], p. 43 ; Lattimore, 1962, p. 5 et 100-138.

114 Ils gardaient pour eux un pourcentage des produits d’élevage (laine, lait, agneaux…) et pouvaient par ailleurs posséder leur propre bétail. Sur les shabinar : Delege, 1998, p. 268-275.

115 Pozdneev, 1978 [1887], p. 29. Voir aussi les chiffres donnés pour les bannières des Qaracin par Chifeng fengqing (1987, p. 236-242). La bannière Siregetü küriye disposait ainsi de 2 000 familles en 1904, le Siregetü qutuJtu de Kökeqota, d’un millier ; le qubilJan du Sira mören süme [77], de 2 000 ; le Bandida gegen süme [88], de 147 (Hedley, 1910, p. 307 ; Egami Namio, 1948 ; Miller, 1959, p. 96-97, n. 7). Voir Delege, 1998, p. 268-269 pour le recensement des shabinar des grands

qubilJan en 1894.

116 Les variations de valeur des différentes monnaies utilisées sous les Ming et les Qing en Mongolie (le liang ou taël chinois, les dollars mexicains, ou yuan, etc.) sont telles, d’une année sur l’autre et de province à province, qu’il est inutile de tenter de les convertir. Le liang d’argent n’est pas une pièce mais une unité de valeur égale à une once d’argent pur, et en théorie à un

diao, c’est-à-dire à 45-50 cents américains en 1907 (voir Miller, 1959, p. 104 et n. 5 et 6). Sous les Qing le liang d’argent fut

réévalué. Pour donner un ordre d’idée, un liang d’argent équivaut à la valeur d’achat d’un hectolitre de riz à la fin du règne de Qianlong. Les princes inféodés recevaient par an 150 à 1 000 liang, les taiji (petite noblesse) 80 à 100 liang sous Qianlong (DaQing huidian Lifan yuan shili, article « fenglu », juan 987), et les moines ayant un dudie, jusqu’à 62 liang d’argent. En 1908, on achète dans les Ordos un bon chameau pour 40 à 50 liang d’argent, un bon cheval pour 10 à 15 liang, un mouton pour un liang (Lesdain, 1908, p. 17, 34).

117 En Mongolie qalqa, un mouton sur vingt était donné au monastère (Pozdneev, 1978 [1887], p. 30 ; également Miller, 1959, p. 107). Le BadJar coiling süme [63] percevait la moitié de ses revenus totaux en nature (Jin Shen, 1982b, p. 174).

118 Un diao est une ligature de mille sapèques (voir supra, note 116).

119 Sans terres ni shabinar, les petits monastères locaux tiraient leurs revenus des contributions des fidèles : Pao Kuo-yi, 1970- 1971, p. 664-666.

161 désireux d’établir leurs bureaux dans l’enceinte du monastère. À la fin du XIXe siècle, le Huizong si et le

Shanyin si [80, 81] de Dolonnor exploitaient 200 bâtiments pour un loyer annuel de 7 000 à 8 000 liang d’argent ; les monastères de Kökeqota collectaient par ce biais 3 500 à 10 500 liang de revenus annuels121,

mais perdaient dans le même temps les moyens de réparer les sanctuaires avec l’effritement de leurs revenus habituels.

Gérées à la fois par le magasin – ou trésor – du monastère (coJcin jisa) et par le magasin (sang) de chaque département122, les finances étaient affectées à l’achat de nourriture et de combustible distribués

aux moines, à la confection et à l’achat d’objets nécessaires aux rituels et à la maintenance des bâtiments. Les donations étaient partiellement distribuées aux moines123. Souvent, une part des revenus finançait des

prêts, au gouvernement de la bannière ou aux particuliers, à taux d’intérêt élevé mais courant à l’époque (10, voire 25 à 35% par an)124. Malgré l’importance de leurs ressources, les monastères se trouvaient dans

l’incapacité d’autofinancer les chantiers les plus lourds, comme la construction et la réparation des temples. Aussi organisaient-ils des collectes auprès de la population de la bannière ou augmentaient-ils les taxes parmi les shabinar.

Même si tous les moines ne jouissaient pas de sa prospérité de manière équitable, le monastère leur procurait, ainsi qu’aux shabinar, une existence plus facile que celle des simples éleveurs grâce à la diversité de ses activités qui les protégeait des catastrophes naturelles et économiques. Comme l’a montré Li Anzhe pour Labrang en Amdo125, le monastère était un corps politique en perpétuelle expansion,

préservé a priori de toute détérioration (sauf accident, guerre...) et supérieur par son prestige aux autres entités politiques. Son gouvernement procédait d’une sélection contrôlée, plus démocratique à certains égards que dans la société laïque. Formés dans le monastère, les qubilJan étaient « choisis » dans des familles d’éleveurs ou de princes (à l’exception de ceux que l’on devait rechercher au Tibet). Contrairement aux princes mongols, leur pouvoir apparemment arbitraire n’était jamais absolu. Figures quasi-divinisées, leurs lignées surpassaient les lignées héréditaires de l’aristocratie par leur continuité, leur prestige et leur « efficacité ». Les monastères étaient des « organisations politiques supralocales126 », quasi

121 Pozdneev, 1977 [1896-1898], p. 47.

122 On comptait 14 sang au Bandida gegen süme [88], 22 à Dolonnor (dont 13 appartenant aux qubilJan), 8 au BadJar coiling süme [63], 6 au Shongquru-yin süme [144] (Miller, 1959, p. 87-88, 98 ; également Delege, 1998, p. 259-261).

123 La propriété collective était en théorie partagée à parts égales entre les moines pleinement ordonnés et inscrits sur la liste du monastère. En pratique, chaque moine recevait annuellement 3 à 5 moutons contre 25 à 100 pour les lamas haut placés (Lattimore, 1962, p. 100). Ces « revenus » représentaient en moyenne la moitié du budget d’un moine, l’autre étant constituée d’argent de la famille, du salaire d’un poste officiel ou du paiement de services effectués pour les laïcs. Sur les dépenses des monastères, Delege, 1998, p. 287-291.

124 Bleichsteiner, 1950, p. 125. 125 In Nakane Chie éd., 1982, p. 108. 126 Miller, 1959, p. 137.

162 internationales, qui éduquaient une élite privilégiée respectée même par les descendants de Gengis Khan.

Trop orientés « vers l’accumulation pour tourner [leur] énergie vers des techniques de production dans le but de développer l’économie127 », comme on le leur a reproché, les monastères jouèrent cependant un

rôle de premier plan dans les échanges commerciaux et financiers. Leurs activités, leurs festivals et leurs juridictions sur les shabinar, en catalysant le commerce et la finance, ont engendré des centres économiques et administratifs qui appelèrent un mode d’existence plus sédentaire. On estime que les monastères contrôlaient près de la moitié de l’économie mongole. Cette prospérité prit fin avec l’effondrement de l’économie chinoise, dans les années 1840. Sans subsides du Lifan yuan ni des bannières, les monastères impériaux durent rechercher d’autres sources de revenus128. Dans les années

1930, les statistiques de la Mongolie qalqa insistaient encore sur les possessions démesurées de l’« Église Jaune, que la République populaire s’efforcera de liquider : « L’Église contrôlait 50% de la richesse nationale de la Mongolie Extérieure » et « 20 à 25% du bétail en 1920129 ». À titre de comparaison, dans

le Tibet de 1917, l’Église absorbait 42% du revenu national tibétain, le gouvernement 37% et la noblesse 21%130.

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