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Les grandes phases de construction

Dans le document Temples et monastères de Mongolie-Intérieure (Page 168-171)

Le nombre de lieux de culte a connu une croissance rapide depuis la deuxième moitié du XVIe siècle jusqu’à son apogée à la fin de l’ère Qianlong (1796) : 18% de 273 monastères datés156 sont édifiés sous le

règne de Kangxi et 26% sous le règne de Qianlong. Malgré la faible importance des fondations mandchoues en Mongolie même, un souffle nouveau fut sans doute donné aux fondations privées par le financement de restaurations et d’agrandissements de nombreux monastères, par les prébendes des moines pourvus d’un certificat et par les nombreuses constructions impériales à Chengde, Pékin et au Wutai shan.

En Mongolie qalqa, le pouvoir politique et religieux, ainsi que les hautes études académiques sont concentrés à Yeke Küriye. La situation semble beaucoup plus décentralisée en Mongolie méridionale, où chaque groupe, chaque bannière peut compter au moins un monastère rassemblant de 500 à plusieurs milliers de moines.

La densité de monastères est plus importante dans les premières régions converties. Les fondations suivirent une croissance identique dans les différentes régions, mais de façon décalée dans le temps. Les premières se situent chez les Tümed qui connurent un à deux siècles de constructions soutenues avant de voir leur rythme ralentir. La moitié des fondations de Kökeqota et des environs sont le fait d’Altan qan et de ses descendants (1575-1627), mais cette impulsion initiale fut fortement freinée après le passage dévastateur de Ligdan qan à Kökeqota (1632). Des monastères furent fondés à nouveau sous Shunzhi et surtout sous Kangxi (27% des monastères). Mais à la fin de l’ère Qianlong, Kökeqota n’est plus la capitale du bouddhisme en Mongolie méridionale.

L’étude des fondations n’explique qu’une partie de l’activité architecturale : les monastères sont sans cesse restaurés et agrandis, parfois détruits, reconstruits ou déménagés. Les restaurations ou reconstructions sont difficiles à apprécier. Dans les monographies locales chinoises, le même mot xiu ؞, « arranger », signifie aussi « reconstruire » ou « réparer ». Tous les cinq ans, les monastères procédaient à des réparations mineures (entretien des toitures, peintures extérieures) et tous les soixante ans en moyenne, à des restaurations majeures. La majorité des grands monastères sont restés actifs et ont été restaurés depuis la date de leur fondation jusque dans les années 1930-1950.

Au XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle, les constructions se maintinrent à un rythme plus lent.

De nombreux monastères tombèrent en ruine et des moines retournèrent à la vie laïque quand la situation

156 Dans notre inventaire des monastères, 273 sont datés par les monographies locales, ce qui représente environ 20% du nombre total de monastères en Mongolie-Intérieure.

169 économique de la Mongolie-Intérieure se dégrada au milieu du XIXe siècle. D’autres furent reconstruits

après les destructions causées par les rébellions des musulmans du Shaanxi et du Gansu dans l’ouest du pays (Alashan, Ordos) de 1862 à 1878. Pendant la période républicaine, les temples furent occupés et dévastés par les armées qui sillonnaient le pays. Pourtant, on continua à édifier de nouveaux monastères dans les bannières les moins sinisées jusque dans les années 1930-1940, notamment à l’occasion de la venue du IXe Panchen lama.

Dans le sud et l’est de la Mongolie-Intérieure à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous la

pression de l’immigration chinoise qui faisait reculer la « frontière » vers le nord, les princes vendirent leurs terres aux colons pour tenter de rembourser des dettes considérables. Les Mongols furent contraints d’abandonner leurs lieux de culte (dans la partie méridionale du Caqar, intégrée aujourd’hui dans le Shanxi, et dans le Tümed oriental, qui fait maintenant partie du Liaoning) et de les reconstruire plus au nord157.

Les Japonais, qui occupèrent la partie orientale de la Mongolie-Intérieure (Mandchoukouo, 1933- 1945), recensèrent la population religieuse qu’ils regroupèrent dans les plus grands monastères, au détriment des petits158. À la même époque (fin des années 1930) le patrimoine religieux de la jeune

République populaire de Mongolie sous influence soviétique fut presque totalement détruit, à l’exception (officielle) de cinq monastères.

Après 1949, les mesures anticléricales couplées à la « politique des minorités » du régime communiste atteignirent le patrimoine religieux. Dans les années 1950, la politique d’assimilation forcée des « ethnies minoritaires » accéléra l’immigration chinoise. Les éleveurs furent repoussés vers des terres inhospitalières, les mariages interethniques encouragés, la sédentarisation des pasteurs nomades forcée et les exploitations d’État étendues. Parce qu’il « est comme un ulcère qui absorbe la bonne sève du peuple et l’empêche de fleurir » (édit affiché sur un temple en 1950), et plus particulièrement pour être partie intégrante de la culture mongole, le bouddhisme est condamnable. Comme dans toute la Chine, les cultes et les fêtes religieuses furent abolis, les moines rendus à la vie laïque et les terres des monastères nationalisées.

Cinq cents temples et monastères (d’après les statistiques officielles) étaient encore recensés avant la révolution culturelle (1966-1976), bientôt responsable de purges d’une ampleur inégalée et de la destruction d’une part considérable du patrimoine artistique, littéraire et architectural. Les peintures et les textes religieux furent abandonnés aux flammes des grands bûchers allumés dans les cours des monastères, pendant que les statues en terre étaient détruites et le mobilier en métal refondu. Les historiens chinois, au

157 Citons par exemple le Sine süme (« déplacé » en 1814) et le Beise süme (« déplacé » en 1952) dans les bannières des BaJarin, le CaJan suburJa süme (« déplacé » en 1930 [135]), le Yongbao si et le Yangdi miao [92] (« déplacé » en 1921) dans la bannière Kesigten, le Qiujiu si (bannière Aru qorcin, « déplacé » deux fois), etc.

158 Sur la politique religieuse du Mandchoukouo en Mongolie-Intérieure, voir Li Narangoa, 1998 ; sur les recensements du Mandchoukouo et du Mengjiang (régime indépendantiste du prince De, rallié aux Japonais) : Delege, 1998, p. 452-453.

170 goût particulier pour la comptabilité, énumèrent par exemple : « Le 28 août 1968, 200 gardes rouges détruisent le grand monastère Gegen süme [149], mettent le feu aux sûtras, emportent 5 073 statues bouddhiques en métal, détruisent 35 statues en pierre, 500 statues en terre et deux lions de pierre et chassent les moines. Il ne reste que quelques murs ». À la fin du XXe siècle, une quarantaine de grands

monastères et une petite centaine d’autres159, survivaient tant bien que mal à ces destructions massives.

La grande diversité des groupes qui peuplent la Mongolie-Intérieure, l’acculturation de certaines, le caractère ancien ou récent de leur conversion, leurs relations avec les Mandchous, leur proximité avec l’Amdo, la Chine ou la Mongolie qalqa, expliquent en partie l’hétérogénéité de l’histoire et de la répartition géographique des monastères ainsi que leurs différents degrés de perméabilité aux influences chinoises et tibétaines tant dans leur administration que dans leur architecture ou dans leur liturgie.

On attribue le déclin démographique mongol au célibat des moines, la ruine économique à la concentration de richesses dans les monastères aux dépens du peuple écrasé d’impôts et endetté, enfin la dégradation sociale et morale, voire la propagation de maladies vénériennes, à la mauvaise conduite d’un clergé itinérant ou vivant hors monastère, réputé paillard, ignorant et irresponsable160. À tel point qu’à la

fin du XIXe et au début du XXe siècle, des voyageurs et des missionnaires prédisent la disparition de la race

mongole161. Il faut cependant nuancer la responsabilité du bouddhisme dans cette dégradation de la

deuxième moitié du XIXe siècle : seules institutions à proposer des écoles et à former des médecins, à la

fois maisons de retraite et pôles économiques, les monastères étaient le foyer d’une haute culture littéraire, artistique et scientifique.

Tandis que les empereurs mandchous et l’aristocratie mongole, par leurs fondations, développaient la relation patron-maître spirituel – l’une des clés du maintien de la paix –, s’élevaient les grands monastères académiques, preuve que l’Église prenait racine dans la culture mongole et y jouait un rôle déterminant. Ces universités monastiques atteignirent au milieu de la dynastie Qing des dimensions impressionnantes.

159 Ces chiffres sont des estimations. Il n’existe aucun inventaire précis pour l’ensemble de la Mongolie-Intérieure, en dehors des monastères officiellement protégés. Voir Introduction, note 48.

160 Par exemple Gerbillon : « un de ces fourbes de Lamas, lequel se dit un Fo vivant, et se faisoit adorer en cette qualité » (Du Halde, 1736, vol. IV, p. 46).

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Chapitre IV : Construire un monastere

On ne saurait concevoir la construction des monastères de Mongolie-Intérieure sans l’apport culturel et technique des pays limitrophes : la Chine et le Tibet. Les échanges permanents entre la Mongolie et ses voisins, en particulier grâce aux réseaux tissés par les moines bouddhiques, ont favorisé dès la fin du XVIe siècle des vagues de construction sans précédent. Les commanditaires, laïcs ou religieux, durent s’adapter à un ensemble de contraintes et de règles imposées par le milieu naturel, la tradition, la politique, les techniques et la religion, héritées de ces trois cultures et brassées à chaque fondation nouvelle. Peut- on dès lors parler d’une architecture propre à la Mongolie-Intérieure ?

Dans le document Temples et monastères de Mongolie-Intérieure (Page 168-171)

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