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Commanditaires, maîtres d’œuvre et artisans

Dans le document Temples et monastères de Mongolie-Intérieure (Page 171-174)

Plusieurs acteurs interviennent dans la construction d’un monastère : le commanditaire, dont le rôle varie selon ses compétences et son inclination, le maître d’œuvre quand il ne s’agit pas de la même personne, les artisans, ainsi que divers spécialistes religieux et para-religieux comme le géomancien. Ces différents acteurs se répartissent les responsabilités selon des schémas multiples qu’il convient d’étudier cas par cas1.

Les « fondateurs2 » laïcs, en général simples commanditaires, ne s’impliquaient pas dans les travaux,

même s’ils jouaient un rôle déterminant dans la décision de construire et dans le financement du projet. Pour diriger les charpentiers, les maçons et les autres artisans, ils faisaient appel à un maître d’œuvre, spécialiste laïc ou religieux.

Les fondateurs religieux étaient, selon les cas, maîtres d’œuvre ou simples commanditaires. Ils étaient les principaux responsables du choix des modèles et de la variété des styles3. Les moines instruits

possédaient suffisamment de notions d’architecture et de peinture pour superviser l’ensemble des travaux de construction d’un monastère. L’architecture n’était pas une discipline à part entière dans leur éducation. Le Vinaya (troisième partie du canon bouddhique portant sur la discipline) comportait des passages sur la disposition des bâtiments monastiques. Armés de ces notions, complétées par l’expérience, la tradition et la connaissance de différents monastères, les moines furent souvent les bâtisseurs de leurs propres monastères, en particulier pour les petits monastères locaux, comme le Toqui-yin juu [52] construit en 1752. Dans les années 1980-1990, de nombreux monastères situés dans des régions pastorales comme le

1 Les recherches futures sur les biographies de moines et les archives des monastères éclaireront certainement l’organisation des chantiers des fondations religieuses.

2 C’est-à-dire les personnes à qui les sources attribuent la fondation.

172 BaraJun keid [25] et le Gembi-yin süme [142], furent reconstruits par les moines avec l’aide de la population locale.

Certains moines, tels le Ier Jebcündamba Zanabazar, le Ve Noyan qutuJtu Danjin rabjai (1803-1856)

ou le lCang-skya qutuJtu Rol-pa’i rdo-rje, architecte des temples de l’empereur Qianlong, connurent la célébrité pour leurs talents en architecture comme en peinture ou en sculpture. Le IIe Bandida gegen

(fl. 1799) du Bandida gegen süme [88], le Ier Doingqur bandida du BadJar coiling süme [63], le VIe JarliJ-

un gegen (m. 1944) du Decin süme [126], le gegen du Morui-yin süme [145] etc. dessinèrent eux-mêmes les plans et dirigèrent personnellement les artisans. D’autres lamas fondateurs préférèrent déléguer les aspects pratiques de la construction. Le grand missionnaire Neici toin se cantonna à des rôles passifs : recevoir un temple en donation ou charger le général des Tümed de gérer la restauration des monastères de Kökeqota. Lorsqu’ils n’avaient pas de compétences en architecture, les lamas fondateurs élaboraient le projet d’ensemble mais laissaient la direction du chantier au maître d’œuvre. Comme en Chine, où le travail du bois était prééminent, ce dernier était en général un charpentier-menuisier. Il était assisté de maçons, de couvreurs, de peintres, de terrassiers, et recrutait la main-d’œuvre locale non-qualifiée, mongole ou chinoise.

Le nombre des maîtres d’œuvre et des artisans mongols semble avoir été dérisoire par rapport aux charpentiers chinois qui semblent avoir tenu le quasi-monopole de la construction en Mongolie méridionale. Le Caqar blama juu [13], le Bandida gegen süme [88] et le *anjuur süme [152] par exemple furent construits par des maîtres d’œuvre mongols.

De fait, l’organisation traditionnelle de la société mongole ne supposait qu’un faible degré de division du travail car les éleveurs nomades ne pouvaient exercer une activité artisanale qu’à temps partiel. À maintes reprises, la Mongolie fit appel à des artisans chinois pour suppléer à sa production4. Déjà, les

Mongols de l’empire gengiskhanide épargnaient les artisans des villes conquises et les engageaient dans les ateliers de la capitale. Qaraqorum, Shangdu et Pékin (Dadu) furent édifiées dans l’empire mongol par des artisans chinois et centrasiatiques prisonniers. Sous les Ming, les Oirad, Cigin et Tümed demandèrent plusieurs fois à la cour chinoise de leur envoyer des charpentiers. Lorsque Altan qan entreprit ses grandes fondations, les artisans chinois immigrés ou prisonniers en pays tümed jouèrent un rôle essentiel. À partir de la fin du XVIe siècle, l’intense activité architecturale attira en Mongolie de nombreux charpentiers, forgerons et autres artisans du nord de la Chine. Les maîtres d’œuvre chinois de Kökeqota et du nord de la Chine furent invités en Mongolie septentrionale où la réputation de leur savoir-faire s’était répandu. Lorsque le fondateur disposait d’importants moyens financiers, il faisait venir, souvent de très loin, les meilleurs maîtres d’œuvre, comme pour la construction du Shongquru-yin süme [144], du Huining si [103]

173 ou du Gegen süme [149]. La présence d’artisans chinois est attestée sous les Qing dans l’ensemble du monde mongol. Dans le cas des grands monastères impériaux, les maîtres d’œuvre et les charpentiers venaient certainement de Pékin, où ils disposaient d’ateliers au nord-ouest du Palais impérial. Les princesses de la famille impériale mandchoue mariées à des nobles mongols contribuèrent à la sinisation de l’artisanat local. La princesse mandchoue Er Fu, épouse d’un prince du Qaracin, amena dans sa suite de nombreux artisans chinois et mandchous qui bâtirent ensuite des monastères, dont le Qatun süme5.

Les charpentiers chinois itinérants parcouraient la Mongolie au gré des commandes. Nombre d’entre eux s’installèrent peu à peu autour des monastères et dans les régions agricoles de Mongolie-Intérieure où ils formèrent des villages par corporation. Les charpentiers et les fondeurs s’établirent dans des villages près de Kökeqota6 et de grands monastères comme le Huining si [103]. La toponymie7 des alentours du

Huining si évoque encore aujourd’hui les « charpentiers », les « couvreurs » et les « peintres ». De nos jours, ce sont surtout des charpentiers chinois qui reconstruisent ou restaurent les monastères des Tümed et des régions orientales de Mongolie-Intérieure.

De manière générale, le commanditaire choisissait le maître d’œuvre selon ses moyens financiers, ses exigences de qualité et d’après la renommée des charpentiers plus que pour leur origine ethnique. Le concours de charpentiers chinois – ou mongols formés selon les techniques chinoises – explique l’abondante utilisation des charpentes et du langage architectural chinois dans les constructions religieuses de Mongolie méridionale. Plus difficiles à étudier, les influences tibétaines sont dues aux moines tibétains – ou mongols formés aux techniques tibétaines – plutôt qu’aux architectes tibétains qui ont pu voyager en Mongolie.

Forgerons, orfèvres, serruriers, peintres, sculpteurs et de nombreux autres corps de métier participaient à la construction des monastères et à la fabrication du mobilier religieux. De fait, de nombreux monastères abritaient des ateliers de peinture, de sculpture et d’artisanat. Les peintres étaient pour la plupart moines. Toutefois les auteurs des grandes peintures murales sinisantes du XVIe et du début

du XVIIe siècle – encore visibles dans une dizaine de monastères tümed – étaient certainement des Chinois.

Les Tümed employèrent également des sculpteurs néwars pour réaliser la grande statue du bouddha d’argent et le stûpa funéraire d’Altan qan au Yeke juu [1]8. En outre, les moines fabriquaient des statues

en bois et en terre, des masques en papier-mâché et des statuettes moulées en terre cuite.

Le travail du métal était plus volontiers confié à des professionnels laïcs. Les forgerons et les orfèvres mongols9 et chinois itinérants proposaient leurs services dans toute la Mongolie. Mais la grande statuaire

5 Haslund-Christensen, 1949, p. 48-56.

6 Les guildes chinoises de Kökeqota ont été étudiées par Himahori Seiji, 1995. 7 Charleux, 2006a.

8 Voir chap. I, p. 60-67.

174 requerrait un haut degré de spécialisation et s’accommodait mal du nomadisme pastoral. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ces corps de métiers se sédentarisèrent en Mongolie méridionale, alors que deux importants centres manufacturiers de statues en bronze émergeaient : Kökeqota au début des Qing, puis Dolonnor au XIXe et au début du XXe siècle. Les ateliers de Kökeqota, organisés en corporation, rassemblaient forgerons mongols et chinois, sans qu’il soit possible de les distinguer car les Mongols Tümed prenaient fréquemment un nom chinois10. Au XVIIIe siècle, la ville comptait une trentaine de maîtres orfèvres

spécialisés dans les objets bouddhiques, soixante familles de forgerons et trois cents ouvriers. Après 1850, la production de Kökeqota baissa en qualité et en quantité et la profession se sinisa11. Les sept grandes

fonderies de Dolonnor exportaient vers la Chine, la Mongolie septentrionale, la Bouriatie, l’Amdo et même le Tibet central. Les statues monumentales étaient expédiées en pièces détachées à dos de chameau12. En 1878, six fonderies sur sept fonctionnaient encore. Les fondeurs de Dolonnor étaient des

Chinois mongolisés ; ils installèrent également des ateliers à Yeke Küriye. Les traditions mongoles et chinoises semblent avoir fusionné dans l’ensemble de la Mongolie. Les grandes fonderies installées au temple Jaune de Pékin rivalisaient avec celles de Dolonnor pour satisfaire le marché mongol.

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