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Chapitre 1. Le Courrier des États-Unis : un journal francophone incontournable au milieu du XIX e siècle

1.6 L’âge d’or du Courrier sous Frédéric Gaillardet (1840-1848)

comme l’âge d’or du journal. Cela s’explique entre autres par le fait que Gaillardet « est celui [parmi les directeurs du journal] qui a le plus compris l’importance de fédérer les Français et francophones sur tout le continent américain afin de faire du Courrier l’organe de toutes ces populations ainsi qu’un journal lu par tous115. » Fervent voyageur, Gaillardet est reconnu

pour sa production littéraire116. Il s’intéresse également au commerce et au profit; c’est

l’espoir de s’enrichir qui le motive à émigrer aux États-Unis en 1837. Gaillardet espère à ce moment faire fortune en vendant divers produits français, probablement du vin. Étant donné que l’année 1837 est affectée par une crise économique aux conséquences considérables, l’entreprise de Gaillardet se solde par un échec cuisant.

Cet échec l’incite à s’attaquer à d’autres défis. En 1839, Gaillardet effectue un long voyage dans les Amériques. Au courant de ce périple, il noue des liens qui lui seront utiles lorsqu’il occupera la direction du Courrier. Il se crée notamment un réseau de contacts francophones en Louisiane, à Cuba et dans le sud des États-Unis. Son voyage lui permet

113 Ibid., f. 91. 114 Ibid., f. 95-97. 115 Ibid., f. 112.

aussi de se forger une opinion qui le suivra tout au long de son passage au Courrier, à savoir qu’« il existe un peu partout en Amérique du Nord des communautés francophones […] éloignées les unes des autres et qui survivent difficilement117 ». Par le truchement de son

poste au Courrier, Gaillardet pense être en mesure d’impulser un véritable « sentiment d’appartenance à une culture française en Amérique du Nord118 ». Dans le premier numéro

qu’il dirige, il annonce alors sa profession de foi, calquée sur les enjeux qui le préoccupent. Il déclare que le Courrier doit avant tout « défendre les intérêts de la nationalité française sur le continent américain119. » Rapidement, l’apparence du journal change : l’aigle est

retiré, tout comme le sous-titre « journal politique et littéraire ». Seul le nom du journal est conservé. Sous ce dernier, on peut lire « organe des populations franco-américaines ». Gaillardet précise que son journal ne se veut pas un outil de lutte ou d’affirmation politique. Il sert plutôt à « se faire l’écho des luttes isolées pour que tous les francophones d’Amérique puissent s’y reconnaître, se soutenir, […] s’apercevoir qu’il existe d’autres membres de la famille française en Amérique120. » Il indique de surcroît que le « journal franco-américain

est une œuvre de conservation et non de conquête121. »

Cette nouvelle orientation est bénéfique pour Le Courrier. Sous Gaillardet, le tirage augmente : il est alors publié à raison de trois fois par semaine, le mardi, le jeudi et le samedi. Les abonnements, quant à eux, croissent : dès 1839, une augmentation de 1 389 nouveaux abonnés est notée122. Un élément pouvant expliquer cette augmentation notable

peut être lié à l’augmentation de la place faite aux correspondances venues de l’étranger. Au courant de sa première année à la tête du Courrier, Gaillardet mobilise seize correspondants, dont cinq se trouvent en Amérique, les autres à Paris. Cette augmentation de la place faite à la correspondance pourrait en fait être une stratégie commerciale. Effectivement, à son arrivée, le nouveau propriétaire cherche à revitaliser le journal, alors aux prises avec des difficultés financières importantes. L’apport des correspondants paraît considérable : ils représentent une manière d’intéresser les lecteurs de toutes les allégeances, d’accroître leur intérêt pour le quotidien et, corollairement, de fidéliser le lectorat. De plus, en publiant des articles affichant des visions politiques variées, la rédaction est moins taxée de partisanerie. Aussi le souhait de Gaillardet de faire une plus grande

117 Anthony Grolleau-Fricard, op. cit., f. 110. 118 Id.

119 Ibid., f. 114. 120 Ibid., f. 117. 121 Id.

place aux correspondances s’inscrit-il dans une mouvance new-yorkaise, voire nord- américaine. Nous l’avons mentionné, la direction du New York Herald se targue d’avoir le plus grand nombre de correspondants à son service et de couvrir un large territoire. Il est donc possible, vue l’extrême proximité géographique entre les journaux, que Gaillardet s’inspire de l’hégémonique Herald. Par ailleurs, même après son départ du Courrier en 1848, Gaillardet s’intéresse encore à la correspondance à l’étranger. Il devient à son tour correspondant pour le Courrier lorsqu’il le cède à Paul Arpin et part observer les instabilités politiques du tournant des années 1850 en France.

L’augmentation de la place faite aux correspondants se couple aussi à la mission que Gaillardet s’est donnée. D’un côté, le journal a une visée patriotique avouée, il aspire à entretenir l’amour des Français d’Amérique pour la France. D’un autre côté, il vise à défendre et à faire connaître les spécificités inhérentes aux modes de vie des Franco- américains. En publiant des articles produits par des correspondants français, il peut stimuler l’intérêt de ceux-ci pour la mère patrie; en publiant des articles issus de correspondants se trouvant en Amérique, le Courrier peut espérer faire connaître certaines particularités liées aux réalités des modes de vie des Franco-américains et à rapprocher ces derniers123. Bref, il nous semble possible de présumer que l’augmentation de la place

accordée à la correspondance relève à la fois d’une stratégie commerciale ayant fait ses preuves et d’une manière de faire connaître le quotidien de Français et de Franco- américains, un enjeu qui, nous l’avons vu, est cher aux yeux de Gaillardet.

123 Le propre travail de correspondant de Gaillardet pour le Journal des débats et La Presse n’est

probablement pas non plus étranger au désir d’accroître l’importance associée aux correspondants dans les pages du Courrier.

Chapitre 2. La correspondance dans le Courrier