CHAPITRE 2 - IDENTIFIER LES CONFLITS : ECOSYSTEMES ANTHROPISES
2.1. De Kosi Bay à Port Shepstone : des écosystèmes largement anthropisés
A Kosi Bay, la richesse écologique du système de lacs implique la décision de création d’une
réserve naturelle, aux dépends des populations locales qui en étaient, jusque là, les principaux
bénéficiaires. A St Lucia, la mise en place de plusieurs parcs naturels réaffirme le contrôle de
l’espace par les Blancs. A Richards Bay, la lagune estuaire, autrefois préservée, devient
l’enjeu de construction du plus grand port charbonnier noir. A Port Shepstone, les paramètres
hydrologiques de l’Umzimkulu impliquent le démantèlement du port et la propagation
actuelle de la pollution de l’hinterland vers les plages. L’attractivité naturelle du littoral
conditionne la multiplication des constructions illégales sur la zone de l’admiralty reserve83.
La spécificité et la richesse écologiques des localités étudiées expliquent en partie leur
caractère d’espaces stratégiques où se cristallisent des conflits d’appropriation, entre la
conservation, le développement industriel, touristique, résidentiel ou encore les besoins
‘traditionnels84’ de certaines populations autochtones.
Tous les lieux étudiés ont en commun le même type de climat à peine modifié, de la côte sud
du KwaZulu-Natal à la frontière du Mozambique. Selon la topographie et l’hydrographie
particulière du lieu, les paysages peuvent ensuite se modifier. Des grands écosystèmes sont
toutefois récurrents, comme l’écosystème lacustre d’arrière dune pour Kosi Bay, St Lucia ou
Richards Bay.
2.1.1. Une ambiance climatique commune
Tableau 7 : l’ambiance climatique subtropicale moyenne sur la côte du KwaZulu-Natal
Source : St Lucia Lake Research Centre; Richards Bay Airport; Southbroom Weather Station, données de 1928 à 1987.
Températures en °C Précipitations
en mm
Mois minimum maximum moyenne total mensuel
T °C de
l’Océan
Indien
janvier 20,6 30,0 25,3 140 24
février 20,6 29,6 25,1 140 25
mars 19,7 29,1 24,4 150 24
avril 17,3 27 22,1 110 23
mai 14,1 24,5 19,3 100 22
juin 10,9 22,6 16,7 90 22
juillet 11,1 22,7 16,9 75 21
août 13,1 24 18,5 60 21
septembre 15,6 24,9 20,2 70 22
octobre 16,8 25,8 21,3 90 22
novembre 18,3 26,8 22,5 110 23
décembre 19,8 28,7 24,2 110 23
Année 16,5 26,3 21,4 1245 22,7
83
Zone côtière, protégée par l’Etat sud-africain , de 200 pieds (environ 65 mètres) parallèle à la ligne des plus
hautes marées.
84
Le climat sur le littoral du KwaZulu-Natal est subtropical humide avec des étés chauds et
humides où tombent majoritairement les pluies et des hivers un peu plus secs et très doux.
(tabl. 7 & fig.1)
Aucun mois n’est sec si on prend comme référence l’indice de sécheresse mensuelle P=2T. La
majorité des précipitations est issue des fronts froids venus de l’Océan Austral amenés par un
vent de sud-ouest. L’occurrence maximale des vents de SW se produit surtout entre octobre et
mars. Ils alternent avec des vents chauds de nord-est. Le contact de dépressions chargées
d’humidité avec un continent surchauffé donne un caractère souvent intense mais régulier aux
précipitations. Certaines extrémités de cyclones peuvent atteindre la côte au nord de Richards
Bay (St Lucia est l’extrême limite sud de leurs trajectoires) et causer d’importantes
précipitations et des inondations comme ce fut le cas en 1984 avec le cyclone Démonia (700
mm de pluie en 5 jours). Cette humidité permanente constitue l’élément d’unité de tous les
écosystèmes représentés et dont le point commun est la forêt subtropicale dunaire.
Fig. 1 : Diagramme ombrothermique pour St Lucia (CSIR, 1992)
2.1.2. Le privilège de l’écosystème lacustre entre Kosi Bay et St Lucia
D’un point de vue esthétique et écologique, ces écosystèmes lacustres (lac d’eau douce et lac
saumâtre) présentent un intérêt tel qu’ils ont été reconnus Patrimoine Mondial Naturel de
l’Humanité par l’Unesco en 1999.
2.1.2.1. De Kosi Bay à Manguzi
De la côte (Kosi Bay) à Manguzi, l’on trouve près de six écosystèmes différents, largement
anthropisés85 (carte 14).
Le premier est l’écosystème littoral avec la plage de sable et sa zone intertidale (photo 7).
Photo 7 : Kosi Mouth vu depuis le nord du sommet d’une dune.
L’océan indien, la plage et la forêt subtropicale dunaire sont visibles.
Le second est la forêt dunaire (photo 7) avec des dunes pouvant atteindre 120 m (au niveau de
la frontière avec le Mozambique), supports à une prolifération d’espèces arboricoles
tropicales et équatoriales sempervirentes. Le troisième est celui des lacs (photo 8).
85
Pour la suite du développement quand nous parlerons « d’écosystème », nous sous-entendons qu’ils sont
largement anthropisés.
Photo 8 : Le lac Nhlange
Il y a quatre lacs au total à Kosi Bay (carte 14). Leur degré de salinité décroît régulièrement
d’aval en amont. Le quatrième lac est totalement composé d’eau douce. Le premier lac est
salé et subit les effets de la marée. Ces lacs sont profonds86. Le quatrième écosystème
remarquable est celui des grasslands (prairies) que l’on trouve partiellement entre l’océan et
les lacs, et majoritairement en retrait des zones humides des lacs vers l’ouest. Ces zones
humides arborées, les swamp forests constituent le cinquième écosystème. La dernière zone
d’intérêt écologique est constituée par les prairies à palmiers (raphia palms), zone qui entoure
la ville de Manguzi.
D’un point de vue cultural, seule la swamp forest produit des sols assez fertiles pour permettre
des cultures très productives. Toutefois une fois cette forêt coupée, la richesse des sols
diminue fortement. Ce constat a impliqué l’expulsion des populations locales de ces forêts à
des fins de préservation environnementale. Pour la pêche, les lacs, ainsi que l’estuaire,
disposent d’importantes ressources. On avait planté des cocotiers dans la zone de prairies. Sa
maigre rentabilité en fait maintenant une plantation abandonnée (photo 9) mais sans doute une
future attraction touristique.
86
Ainsi le lac Nhlange a une profondeur moyenne de 15 m et sa profondeur maximale est de 70 m. On suppose
que le cordon dunaire post-glaciaire a isolé une topographie ancienne liée à la baisse du niveau marin durant la
période glaciaire. Les fleuves locaux auraient ensuite rempli ces lacs d’un côté par débordement successif et la
marée de l’autre, profitant de l’ouverture d’une embouchure (Kosi Mouth). Ceci n’est qu’une hypothèse
personnelle.
Photo 9 : Une plantation de cocotiers abandonnée
D’un point de vue touristique, les zones de pêche se révèlent être des zones intéressantes de
plongée87, activité qui rentre en compétition avec la pratique quotidienne des pêcheurs locaux,
elle-même en concurrence avec celle des pêcheurs sud-africain s blancs.
Carte 14 : Les différents écosystèmes anthropisés entre Kosi Bay et Manguzi
2.1.2.2. St Lucia (carte 15)
St Lucia est situé à la limite sud de la plaine côtière mozambicaine (courant du Kenya à
l’Afrique du Sud) connaissant des conditions tropicales. Cette situation limite permet la
rencontre d’une faune et d’une flore tropicale et tempérée. Le courant des aiguilles joue un
rôle évident (courant chaud venant du canal du Mozambique et dirigé vers le sud-ouest). Les
dunes littorales à St Lucia sont assez hautes (jusqu’à 150 m), jouent un rôle de forçage
orographique et favorisent des pluies importantes (Taylor, 1991). Ces pluies sont en
diminution régulière rapide de la côte vers l’intérieur.
Toutefois la topographie, la végétation, les différences de sols, la distance à la mer permettent
de différencier plusieurs écosystèmes, dans le parc, dans la station balnéaire et dans les zones
d’habitat villageois.
L’écosystème marin et côtier est caractérisé par un océan tiède et très agité, avec la présence
dans les seules zones abritées de récifs coralliens partiellement immergés à marée basse (Cape
Vidal). Le littoral est essentiellement sableux avec quelques pointements rocheux parfois
(Mission Rocks) issus de formations de beach rocks.
Photo 10 : Des beach rocks à St Lucia
Tout le littoral au nord de l’estuaire de St Lucia (qui est aussi l’estuaire de la rivière
Umfolozi) ne comporte plus d’embouchures de fleuves importants jusqu’à Delagoa Bay
(Maputo). Toutefois toute l’arrière plage est constituée de grosses dunes de sables
végétalisées, ce qui explique la présence de nombreux lacs d’eau douce en retrait du cordon
dunaire par phénomène de barrage (St Lucia, Sibaya). La forêt dunaire sera décrite à propos
de Richards Bay.
Photo 11 : Le lac de St Lucia
Le lac de St Lucia est un écosystème mouvant de 350 km² (photo 11), en particulier en termes
de concentrations salines (Taylor, 1991). Lors des périodes de sécheresse les parties du lac les
plus en aval ont des taux de salinité trois fois supérieurs à ceux de l’Océan Indien. En
revanche, lors d’inondations, le lac de St Lucia peut être réellement considéré comme un lac
d’eau douce. Dans la partie estuarienne on rencontre des mangroves88. La profondeur
moyenne du lac est faible, environ 1m. La faune doit s’adapter en permanence à ces
changements de salinité, c’est pourquoi elle est très mobile. L’estuaire a plus de 1000
crocodiles et de 700 hippopotames (Taylor, 1991).
La plaine d’inondation de Mkuze est colonisée par une végétation hygrophile adaptée comme
le papyrus. Elle joue un rôle tampon important lors des crues pour le taux de remplissage du
lac et du débit estuarien. Il faut rappeler que sans ces crues, l’estuaire de St Lucia est fermé
par un banc de sédiments sableux migrant du sud-ouest de l’estuaire de la rivière Umfolozi
par le biais de la dérive littorale.
La savane “ sèche ” correspond à un substratum plus sec du crétacé, il s’agit en fait d’une
forêt dunaire secondaire, relativement riche biologiquement, mais plus sensible aux impacts
anthropiques du fait de la raréfaction des précipitations vers l’intérieur.
Tous ces écosystèmes fonctionnent de manière complémentaire (carte 15). C’est encore plus
vrai pour la faune dans le choix de son habitat sur les différences d’humidité, de salinité et
88
d’abri face aux vents dominants. L’homme a du arbitrer entre plusieurs usages potentiels de
ces écosystèmes : utilisation ‘traditionnelle’, mines de titane, stricte conservation et
développement écotouristique… Ces choix – et leur mise en pratique – s’accompagnent de
nombreux conflits.
Carte 15 : Les écosystèmes anthropisés à St Lucia
2.1.3. Richards Bay, le privilège de la forêt dunaire (carte 18)
La végétation à Richards Bay est dense. Elle est constituée de deux écosystèmes, la forêt
dunaire89 et la mangrove. Toutefois l’artificialisation exacerbée, liée au développement de
cette ville nouvelle industrialo-portuaire, a fortement modifié les écosystèmes originels.
89
Au début du XX° siècle, il n’y avait plus de forêt dunaire entre le lac Mzingazi et la mer en raison de
l’occupation traditionnelle de l’espace par des éleveurs zulu. C’est l’occupation européenne qui a permis un
reconquête de la forêt. (Dr JC Van der Walt, Zululand Observer, 29 novembre 2002).
2.1.3.1. L'écosystème dune
Photo 12 : Une forêt subtropicale dunaire à Richards Bay
Cet écosystème est très spécifique. Il est d’extension limitée sur la planète. Il occupe une
faible superficie car il se restreint aux cordons dunaires subtropicaux épargnés par le gel et
recevant plus d'un mètre d'eau par an sous forme de pluies d'été. La plupart des arbres sont
sempervirents : caoutchoutiers, lianes, fougères, acacias, mimosacées diverses, arbres du
voyageur, plantes grasses, aloès. Cet écosystème est caractérisé par une végétation touffue et
dense mais la taille des arbres est inférieure à 3 mètres. C'est une végétation chaude qui croît
essentiellement durant les périodes humides puis ensoleillées de l'été austral (décembre à
mars). L'humidité apportée par la mer est, en toutes saisons, un facteur privilégié pour le
développement de cette végétation. La photo 12 donne un exemple de cet écosystème. Les
dunes ainsi végétalisées sont stabilisées et évoluent assez peu. En fait le versant des dunes
orienté vers l'Océan est moins végétalisé. Il est soumis à l'érosion éolienne et littorale
(Mitchell, 2001). La faune est très nombreuse. Elle est constituée de nombreuses espèces de
reptiles (les serpents : green mambas, boomslangs90
, serpents minute…), de rongeurs, de
mangoustes, de singes et de nombreux oiseaux tel que l'aigle marin (ou aigle pêcheur) . Ce
dernier construit son nid dans les branches d'acacias de cette forêt. Cet aigle se nourrit
essentiellement de poissons. Il est le nouveau symbole de la municipalité d’Umhlatuze.
Ces dunes sont responsables de la séparation du grand quartier de Meerensee avec la mer.
Elles forment une frontière naturelle et représentent une protection naturelle contre les grands
vents marins. Elles sont une gêne pour l'expansion urbaine littorale – touristique en particulier
- avec la difficile construction d'un grand front de mer comme à Durban. Là-bas, les dunes
sont en retrait (1 Km) du littoral et offrent un développement côtier facile et spectaculaire. A
Richards Bay c'est la forte étendue de sa lagune, sorte de mer intérieure, qui permet un tel
développement.
90
2.1.3.2. L’écosystème lagune
Richards Bay est initialement un des plus grands estuaires d' Afrique du Sud caractérisé par
une flore et une faune spécifique. La construction du port a partagé cet estuaire (Cartes 16 et
17 – Photos 13 et 14) et l'a fortement artificialisé en bouleversant les paramètres naturels
initiaux (Guyot, 1998-a). Qu'étaient-ils?
Cette lagune servait d'estuaire au fleuve Mhlatuze dont le bassin versant s’étend à une partie
du Zululand. L'eau était saumâtre car les apports d'eau douce du fleuve se mélangeaient, en
proportions différentes selon la saison, aux eaux salées de l'Océan Indien. Selon les saisons la
lagune se comportait plutôt en endoréique (en hiver), bloquée par des bancs de sable, ou en
exoréique (en été) en raison de l'importance des débits d'eaux. La végétation à papyrus
caractéristique des eaux douces a été depuis remplacée par une mangrove très dense du fait de
la réduction de la taille de l’estuaire et de sa plus grande sensibilité aux arrivées d’eaux
marines. La faune comprenait de nombreux hippopotames ainsi que de crocodiles sans
compter le diversité piscicole. D'ailleurs Richards Bay était déjà réputée pour sa pêche. La
construction du port est venue bouleverser cet équilibre fragile91.
9 911
Après
Cartes 16 et 17 – Photos 13 et 14 : Richards Bay, avant et après la construction du port (Guyot et al.,
2000)
Cartes 18 : Les écosystèmes anthropisés à Richards Bay
2.1.4. Port Shepstone, des paysages de transition (carte 19)
Port Shepstone est situé sur un littoral de transition au fur et à mesure que le massif du
Drakensberg se rapproche de l’Océan.
2.1.4.1. Le littoral
Le littoral est différent de celui de la côte nord aux environs de Richards Bay ou de St Lucia.
Le littoral de la Côte Sud est un littoral de transition entre celui plus septentrional composé de
grandes plages de sable, de dunes et de lagunes et celui plus méridional de la Côte Sauvage
(Wild Coast) composé de caps rocheux et de baies. Sur la côte d’Hibiscus il y a une
alternance régulière de grandes plages de sable généralement reliées à un système estuarien
pourvoyeur de sédiments (comme c’est le cas de part et d’autre des bouches de l’Umzimkulu
River) et de pointements rocheux voire de côtes rocheuses qui correspondent à la retombée du
Drakensberg dans l’Océan Indien. Cette variété donne à ce littoral de nombreux attraits qui
peuvent l’associer à la Côte d’Azur française, avec les mêmes dérapages en matière
d’urbanisme touristique littoral, surtout au sud de Port Shepstone. Le paysage associé à cette
côte est donc celui d’une riviera (photo 15). Toutes les plages (sauf Sheppie92) disposent de
filets anti-requins. On a l’impression d’une côte ultra développée, mais qui n’aurait pas
beaucoup évolué en 30 ans lui conférant ainsi un “ petit côté vieillot ”. Sheppie semble une
petite ville industrielle côtière qui n’incite pas forcément à l’arrêt. En revanche ses banlieues
blanches côtières au nord (Umtentweni, Anerley) sont paisibles et ressemblent à des
cités-jardins littorales. L’arrière-pays, lui, est bien différent.
Photo 15 : Le littoral au niveau de Margate
2.1.4.2. L’arrière-pays collinaire
Le dénivelé entre la côte et l’intérieur est assez important, ce qui multiplie les occasions de
points de vue sur la mer. Cet arrière-pays est luxuriant (forêts subtropicales côtières) ou
largement déboisé. Ce déboisement fait apparaître les zones périurbaines et rurales93 noires
(photo 16) qui contrastent terriblement avec la “ Côte d’Azur ” précédemment décrite. La
plupart des maisons sont des shacks plus ou moins informels, joliment intégrés dans le
paysage (nombreuses fleurs et arbres) faisant apparaître une terrible “ esthétique ” de la
pauvreté et du sous-développement. Une fois cette enclave dépassée le paysage fait place à
des grands plateaux cultivés de thé et de canne à sucre “ aux mains ” des fermiers blancs. Ces
plateaux cachent une profonde entaille : l’Umzimkhulwana River (affluent de l’Umzimkulu
River).
92
Sheppie est le nom que l’on donne au centre ville de Port Shepstone.
93