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Karen Sadlier Docteure en

Dans le document Enfants exposés aux violences conjugales (Page 51-54)

psychologie clinique

Un consensus d’experts internationaux, s’appuyant sur de nombreuses études, souligne que la violence dans le couple a des impacts graves tant sur l’enfant et que sur la parentalité. Cette violence est nettement liée aux conditions d’exercice de la parentalité. La recherche démontre que 75 % des passages à l’acte par le conjoint violent ont lieu en rapport avec une question ou un contexte concernant les enfants, que ce soit au sujet de l’éducation ou de la remise de l’enfant lors de l’exercice du droit de visite. Ainsi, la violence ne cesse pas avec la fin de la relation conjugale. Elle persiste dans à travers le lien, de nature parentale, qui continue d’exister entre l’auteur et sa victime.

La présence de l’enfant n’est pas un frein aux passages à l’acte de l’auteur. Quasiment la totalité des enfants qui grandissent dans un contexte de violence conjugale ont vu ou entendu de multiples agressions tant contre les parents victimes que contre les nouveaux partenaires de l’auteur. Ces enfants présentent un taux de troubles post traumatiques comparable aux enfants victimes des violences sexuelles, de maltraitance physique et de contextes de guerres.

Ils nécessitent des soins spécialisés en psycho trauma. Dans le même temps, en raison du partage égal de l’autorité parental, l’auteur des violences traumatisantes demeure décisionnaire en ce qui concerne l’accès aux soins de l’enfant, et singulièrement aux soins spécialisés.

Un corpus significatif de recherche démontre que les conjoints violents sont des parents en difficulté. Les auteurs de violences ont tendance à présenter des traits de personnalité, voire des troubles de personnalité, qui impactent négativement leur posture auprès de leur enfant.

Ils ont une capacité amoindrie à prioriser les besoins spécifiques au développement psychosocial infantile. Les traits de personnalité de l’auteur créent un défi pour sa parentalité. Il a tendance à être immature, égocentrique, fusionnel, et facilement frustré, avec un besoin amplifié de maîtrise et contrôle. Ces traits impliquent une difficulté majeure à considérer son partenaire, ou ex-partenaire, ainsi que ses enfants, comme des êtres différenciés de lui-même, ayant leurs propres besoins, désirs ou opinions. Ainsi chaque mouvement de différentiation défit son égocentrisme et sa tendance fusionnel et résulte en une augmentation de sa frustration, qu’il exprime par la violence. La parentalité est une sphère dans laquelle les parents expriment classiquement des points de vue différenciés par rapport à l’éducation de l’enfant. Dans un modèle coparental, les parents négocient une feuille de route éducative pour leur enfant en fonction de son stade développemental et ses besoins psychosociaux. Comme dans une société démocratique, la négociation est le moyen privilégié pour gérer la frustration liée à une différence d’opinions. Ce processus, qui s’apparente à un model décisionnaire collaboratif, implique des éléments qui sont en grande partie socialement sculptés depuis l’enfance comme souhaitable dans les rapports humains : égalité, altérité, respect d’autrui, la négociation plutôt que l’agression, et l’appréciation de la différence comme source de richesse. C’est sur ces principes que la notion de coparentalité est fondée.

Pourtant, pour l’auteur de la violence dans le couple, il n’est pas question de négocier, mais d’imposer. L’altérité est perçue comme une menace. Sa réponse à la différentiation est la

violence. Ce phénomène, qui s’apparente a des modèles décisionnaires autocratiques, s’exprime chez l’auteur des violences conjugales, autant dans la relation parentale que parento-infantile. Il est en nette contradiction avec les principes qui sous-tendent la coparentalité et une éducation de l’enfant respectueux de ses besoins.

En France, des mesures parentales, dont le maintien de l’autorité parentale conjointe, sont typiquement ordonnées malgré l’état de la recherche actuelle sur les violences conjugales.

Ces mesures sont , sans doute, fondées sur l’idée que l’auteur peut s’inscrire dans une relation collaborative en tant que co-parent, malgré sa position autocratique en tant que partenaire.

On est en présence d’une idée erronée, selon laquelle l’auteur de violences est capable de souplesse de fonctionnement en tant que parent, comme si le fait de focaliser la discussion sur l’enfant permettait un pivotement d’une posture dictatoriale vers une posture démocratique.

Pourtant les traits de personnalité qui mènent à l’autocratie sont structurels chez l’auteur et donc transversales aux sphères conjugales et parentales. Les contacts parentaux deviennent un lieu d’exercice de pouvoir vertical avec l’imposition de la part de l’auteur de ses besoins et idées sur son ex-partenaire. En soutenant la notion que l’auteur de violences peut, a priori, exercer un co-parentalité fondé sur l’égalité, les professionnels et la société qu’ils et elles représentent, participent à l’augmentation du risque de nouveaux passages à l’acte et au maintien du système de violence en vigueur.

Les victimes de violences conjugales peuvent présenter des troubles post-traumatiques et dépressifs en raison des agressions subies. Elles sont souvent freinées dans leur parentalité lors de la vie commune. Elles doivent en priorité tenter de satisfaire les besoins changeants des auteurs plutôt que les besoins psychosociaux de leurs enfants. La recherche concernant la période qui fait suite à la rupture du lien conjugal met en évidence qu’un nombre significatif de victimes répond de façon adaptée aux besoins de leurs enfants. Dans le même temps, les contacts que la victime doit maintenir avec l’auteur des agressions dans le cadre du respect de l’autorité parentale conjointe l’expose à de nouvelles violences qui réactivent les symptômes post-traumatiques et dépressifs. Par conséquent, on est face au paradoxe suivant : sous couvert du maintien d’une parentalité égalitaire à tout prix et en toutes circonstances, l’autorité parentale conjointe maintien le système de violence que les normes juridiques sont destinées à éliminer.

Dans La Parentalité face à la violence dans le couple (Dunod, 2020), j’explore ces notions avec plus de précisions. Les limites de l’autorité parentale conjointe et la coparentalité y sont analysées par Edouard Durand et moi-même. Un modèle de parentalité spécifique à la violence dans le couple, notamment « la parentalité en parallèle », y est présenté. Avec Ernestine Ronai, des interventions particulièrement adaptées au contexte de la parentalité dans le cadre de la violence conjugale y sont détaillées.

Lutter contre les violences conjugales implique de créer un cadre législatif qui tienne compte du fait que la coparentalité et l’autorité parentale conjointe permettent à l’auteur de violences de continuer à exercer. Lutter contre les violences conjugales implique de prendre conscience du fait qu’elles perdurent dans la parentalité quand bien même le lien de conjugalité est rompu.

Lutter contre les violences conjugales implique de reconnaître la souffrance psycho traumatique des enfants pour leur permettre d’accéder aux soins spécialisés sans l’autorisation du parent dont le comportement violent est à l’origine de cette souffrance. Lutter ainsi contre les violences conjugales contribuera à rendre notre société plus humaine.

. Parole et suspicion

La parole des femmes.

Au gré de dispositifs, de formations, d’un changement culturel en cours, nous la pensons mieux reconnue, mieux accueillie. Mais les faits nous renvoient au long chemin restant à accomplir : les formations mettent du temps à être déployées et les représentations des interlocuteurs des victimes les poussent encore souvent à émettre des suspicions à leur égard. Le concept d’aliénation parentale, bien que largement contesté, irrigue de nombreuses décisions.

Il fait peser la culpabilité sur la victime, accusée de vouloir instrumentaliser la justice.

Si on avait écouté cette

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