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Au théâtre, le meilleur moment pour une jeune comé-dienne est en principe celui où, les yeux brillants elle lit pour la première fois son nom en haut de l’affiche. Cela se produit de temps en temps et nous sommes heureux de pouvoir dire que nous étions là lorsque c’est arrivé la semaine dernière.

En l’occurrence, il s’agissait de Julie Andrews, une ingénue*

britannique âgée de dix-neuf ans qui tient le premier rôle dans The Boy Friend, de Sandy Wilson, seule au sein de la troupe locale ou de son homologue de Londres, où la version d’origine de cette comédie musicale est encore à l’affiche, à avoir eu cet honneur. Nous avons rencontré la ravissante jeune femme dans son hôtel de Midtown, où elle partage une suite double avec trois chiens en peluche et Mlle Dilys Lay, qui joue elle aussi dans The Boy Friend. Mlle Andrews est une grande fille à la voix douce, aux immenses yeux gris-bleu, aux cheveux châtains et la raie au milieu. Lors de notre visite, elle portait un cardigan rouge, une jupe et des sandales bleues à talons hauts. “Asseyez-vous, je vous en prie ! s’est-elle exclamée en poussant un jeu de dames chinoises qui traînait sur le divan. Je m’apprêtais à envoyer à ma mère quelques photos de moi dans le spectacle. Elle n’y a pas encore assisté et veut voir de quoi j’ai l’air. Il y a de bonnes chances qu’elle vienne pour le premier de l’An, je serais ravie qu’elle puisse. J’espère avoir collé assez de timbres sur l’enveloppe. J’ai vraiment le mal du pays. Non que je n’aime pas New York, mais c’est normal d’avoir le mal du pays, n’est-ce pas ? Voulez-vous un peu de thé ?”

Nous savions que l’affiche portant le nom de julie andrews était apparue ce jour-là sur la façade du Royale Theatre, et nous avons proposé à sa titulaire de renoncer au thé et de l’escorter au théâtre, puisque l’heure du

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tacle approchait. Bien sûr que nous le pouvons, a-t-elle répondu. “C’est tout de même bien confortable d’avoir ce petit appartement pour boire une tasse de thé, n’est-ce pas ? a-t-elle ajouté. Et d’y passer les dimanches devant la télévision. Dilys et moi partageons également la même loge, nous partageons presque tout. Nous avons toutes deux un chien à la maison, qui nous manque beaucoup. Le mien est un welsh corgi, comme ceux de la reine. Ils n’ont pas de queue, vous savez, mais une jolie petite frimousse sur un petit corps. Quels adorables chiens ! J’envisageais d’en avoir un ici, puis j’ai compris que ce serait stupide d’enfermer un chien dans un appartement new-yorkais. À la place, Dilys m’en a offert un en peluche, le blanc là-bas – c’était mon cadeau d’anniversaire, le lendemain de la première. J’ai eu un très bel anniversaire, même si j’étais pas chez moi. Je pense que c’est le plus beau que j’aie eu et que j’aurai jamais.”

Chez Mlle Andrews, c’est à Walton-on-Thames, une petite ville à une trentaine de kilomètres au sud de Londres. “Mon père et ma mère étaient ensemble dans le show-business, explique-t-elle. Il s’appelle Ted Wells et a une très belle voix. Il chantait des ballades comme Love, Could I Only Tell Thee How Dear Thou Art To Me. C’est une belle chanson, je la préfère à toutes les autres. Ma mère a toujours voulu être uniquement mère, alors papa a renoncé à la scène.

Maintenant il a un travail de bureau, très bon, d’ailleurs.

J’ai trois frères : John, Donald et Christopher. Si vous avez vu le spectacle, vous m’avez entendue siffler. D’après moi, si on ne sait pas siffler dans une maison où vivent trois garçons, alors on ne sert à rien. On ferait bien d’y aller.”

Mlle Andrews a chanté quelques mesures de Love, Could I Only Tell Thee How Dear Thou Art To Me d’une chaude voix de soprano tout en enfilant son manteau, puis elle a fièrement annoncé qu’elle avait fait des gammes pendant plus d’une heure. “Ma voix en avait besoin, a-t-elle expliqué.

Elle était si plate. J’ai vraiment bien répété et je sens que j’ai eu raison de le faire.”

Sur la route pour le théâtre, Mlle Andrews nous a raconté que son père avait commencé à lui donner des cours de chant

Toujours sur la brèche

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quand elle avait sept ans. Dans le même temps, elle a pris des cours de danse et, à douze ans, elle est montée sur la scène pour la première fois. “C’est ma première comédie musicale, précise-t-elle. Je suis plus chanteuse qu’actrice.

Pour ce spectacle, j’ai dû apprendre une nouvelle façon de jouer, car mon style personnel est plutôt discret. Je suis la seule fille du spectacle à porter une perruque, personne ne me reconnaît quand je sors du théâtre. On s’amuse beau-coup, toute la troupe de The Boy Friend. Nous sommes tous jeunes et heureux. Je n’ai pas eu à me montrer par-ticulièrement emballée, l’autre jour, quand on m’a dit que je jouerais un rôle important. Avec mon nom tout là-haut, je deviendrais vraiment quelqu’un, n’est-ce pas ? On ne me reconnaîtrait pas sans perruque, mais…” Notre taxi s’est rangé sur le bas-côté quelques mètres avant le théâtre et nous sommes sorties. L’espace d’un instant, Mlle Andrews a continué de regarder dans une autre direction, puis nous l’avons entendue soupirer : “Ah, c’est là !” Au-dessus de sa tête, on pouvait lire :

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une comédie musicale à succès avec julie andrews

Incontestablement, elle avait les yeux qui brillaient.

11 novembre 1954 Jeune et heureuse

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