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Proposer aux étudiants de se constituer un Portefeuille d’expériences et de compétences (PEC) suppose que son contenu a une valeur reconnue. Ceci ne va pas de soi. Certes, toute personne possède des qualités susceptibles d’être utiles en emploi mais seule leur mise en œuvre leur donne une valeur. Ces qualités (connaissances, savoir-faire, capacités, compétences) sont acquises en cours de formation mais aussi par les expériences accumulées. Elles sont parfois certifiées ou seulement attestées par les personnes via leur curriculum vitae.

Certaines de ces qualités sont appelées compétences pour mettre l’accent sur la capacité à les mettre en œuvre en situation de travail et en vue d’un résultat attendu. La question est alors de savoir comment elles sont reconnues et comment varie leur valeur selon les périodes, les lieux et les personnes, selon la situation de l’emploi, l’ampleur de la production des diplômes et l’existence de dispositifs de reconnaissance.

Après avoir clarifié la notion de reconnaissance, on examinera certains phénomènes affectant aujourd’hui la valorisation des compétences.

1. La notion de reconnaissance

La reconnaissance des compétences – et c’est le pari d’une démarche visant à constituer un Portefeuille d’expériences et de compétences susceptible de constituer une ressource valorisable – engage de nombreux acteurs et peut se faire à plusieurs niveaux.

1.1. Les niveaux et degrés de reconnaissance

Les compétences se situent sur plusieurs registres qui posent en des termes différents la question de la reconnaissance. Les compétences scolaires sont ainsi reconnues comme telles par l’institution scolaire puisque la détention d’un diplôme autorise ou non la poursuite d’un cursus ou l’accès à une filière précise.

De leur côté, les compétences professionnelles restent des potentialités tant qu’elles ne sont pas confirmées en situation d’emploi. Pour autant, certaines expériences, scolaires ou de travail salarié, permettent d’acquérir des compétences directement applicables en emploi (capacité à travailler en équipe, à conduire un projet).

Les personnes ont également des compétences sociales construites au cours de leurs diverses expériences mais aussi des compétences personnelles (présentation de soi, capacité à échanger) qui peuvent être transposables en situation d’emploi.

Ces diverses compétences ont ainsi une valeur aux yeux des personnes, qui voient en elles des sources possibles de reconnaissance et de construction identitaire, mais également au regard de la société, dans la mesure où elles permettent d’obtenir une légitimité et une position sociale, et du point de vue de l’activité productive, car elles sont recherchées par les responsables d’entreprises.

Pour ces derniers, la reconnaissance se manifeste aux divers moments de la relation salariale. Le premier est celui du recrutement, l’employeur cherchant des indices de productivité future et d’intégration professionnelle et les trouvant dans les diplômes et le curriculum vitae. La reconnaissance se manifeste aussi au moment de la définition du contenu du travail et des responsabilités confiées, lors de la rémunération qui donne une valeur monétaire à l’activité de travail et dans les perspectives de promotion, de mobilité et de formation.

Selon les personnes et les contextes, il peut y avoir reconnaissance sur un certain registre (lorsque l’activité exercée correspond bien aux qualités de la personne) et pas sur un autre (lorsque le salaire est inférieur à celui escompté au regard du niveau de formation).

Cette reconnaissance des qualités varie selon les sphères d’activité. Dans la fonction publique, le diplôme et le concours sont censés attester de compétences correspondant à l’emploi visé sans qu’il soit nécessaire pour autant d’en fournir la preuve en situation : la reconnaissance est alors formelle et durable puisqu’elle garantit un statut et une carrière. Les professions réglementées sont dans une situation voisine avec des diplômes d’accès obligatoires et censés garantir l’exercice du métier : la reconnaissance est formelle mais elle n’est

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pas forcément durable car la carrière dépend ensuite de la pratique. Le dispositif des conventions collectives est aussi un cadre de reconnaissance puisqu’il régit les diverses dimensions de la relation salariale : cette reconnaissance est donc formelle, pas forcément durable et limitée à une branche d’activité. Enfin, dans nombre d’emplois du secteur privé, la reconnaissance des compétences reste circonstancielle et informelle, le salarié devant constamment faire preuve de ses compétences et l’employeur gardant toute liberté à cet égard.

Ce large éventail de situations concerne aussi bien les certifications officielles de compétences – des diplômes à reconnaissance forte, générale, durable et attestée comme les diplômes d’Etat jusqu’aux certifications locales, temporaires et n’offrant que de faibles garanties – que les compétences personnelles, plus ou moins recherchées, réputées ou durables.

1.2. Le jeu d’acteurs autour de la reconnaissance

Les acteurs de la relation salariale n’ont pas les mêmes positions à cet égard. Les personnes souhaitent que leurs compétences soient reconnues dans leur emploi mais, comme la relation salariale est asymétrique, elles ne sont pas toujours en mesure d’y parvenir. De leur côté, les représentants des salariés mettent en priorité la reconnaissance de la valeur des diplômes mais aussi celle des compétences acquises par l’expérience.

Quant aux employeurs, ils ne désirent pas figer une relation étroite entre diplôme et classification et préfèrent reconnaître au cas par cas les qualités attestées en situation de travail. Enfin, les instances publiques offrent une garantie aux diplômes en reconnaissant certains d’entre eux et en mettant en place des procédures normalisées d’attribution et un dispositif de labellisation.

La reconnaissance des compétences dépend donc des pratiques respectives de chacun des acteurs concernés mais aussi de leurs interactions. Ainsi, la garantie est plus grande lorsqu’il existe des conventions collectives, souhaitées par les salariés, revendiquées par les organisations syndicales, acceptées par les organisations patronales et garanties par les pouvoirs publics.

1.3. Les fondements de la reconnaissance

La reconnaissance des compétences est ainsi le résultat de plusieurs processus que les acteurs du PEC – enseignants, accompagnateurs, étudiants – doivent connaître.

Face à l’incertitude, les responsables d’entreprise sont à la recherche de signaux leur permettant d’anticiper, sans trop de risque, les potentialités des personnes qu’ils envisagent d’embaucher. Le diplôme se présente alors comme un signal de productivité supposée, un révélateur de compétences présumées, un indice de capacités d’adaptation et d’apprentissage. Mais cet indice précieux reste relatif, l’augmentation du nombre de diplômes réduisant leur valeur discriminante, et incertain car il renseigne d’abord sur la capacité de la personne à franchir les étapes du cursus scolaire. Cela reste pourtant un signal recherché car il offre une certaine garantie, officialisée par les pouvoirs publics, relativement équivalente sur l’ensemble du territoire et stable dans le temps même si les détenteurs d’un même diplôme se distinguent entre eux.

Le curriculum vitae est un autre signal utile pour le recrutement. Il fournit des indications sur la personne, ses pratiques, ses compétences et sa carrière. Mais l’appréciation reste délicate car il est déclaratif et il fournit des éléments abstraits qui peuvent être contredits en situation. L’employeur cherche alors, via ses réseaux, ses salariés et les professionnels du recrutement, des informations complémentaires susceptibles de crédibiliser les éléments de curriculum vitae.

Dans ce processus d’appréciation des qualités d’une personne, la réputation de ceux qui l’attestent est essentielle qu’il s’agisse de la personne elle-même, des responsables d’entreprises qui l’ont embauchée ou des organismes de formation et de certification. La confiance dans la capacité d’un diplôme à représenter correctement les acquis, compétences et potentialités des personnes, peut aussi s’adosser à des avis d’organismes certificateurs comme la Commission nationale de certification professionnelle.

Enfin, la valeur des personnes dépend de processus socio-économiques généraux. Ainsi, l’état du marché du travail et les modalités de son fonctionnement jouent un rôle déterminant, la rareté relative d’une certification pouvant lui conférer une valeur supérieure. La reconnaissance dépend aussi de processus institutionnels, via la réglementation du travail, les conventions collectives ou les accords d’entreprises, et de processus sociaux de hiérarchisation des activités et des formations.

2. Phénomènes affectant la valorisation des compétences

Plusieurs mouvements généraux, certains de long terme et d’autres plus récents, affectent le processus de reconnaissance des compétences et il est utile que les acteurs PEC en aient connaissance afin d’apprécier à sa juste valeur le portefeuille ainsi constitué.

2.1. La logique du titre et la dévalorisation des diplômes

En France, le rôle du diplôme est majeur et sa possession est indispensable pour accéder à nombre d’emplois.

De fait, la plupart des sortants du système éducatif possèdent désormais un diplôme ce qui était loin d’être le cas il y a quelques décennies. Cette « logique du titre » est particulièrement prégnante en France, ce qui la distingue de la plupart des autres pays, et nombre de recherches ont souligné l’importance du diplôme comme critère de recrutement et de déroulement des carrières. Ainsi, les enquêtes Génération du Céreq révèlent un lien fort entre détention du diplôme et risque de chômage, vitesse de stabilisation dans l’emploi, statut de l’emploi et rémunération.

Pour autant, la correspondance entre formation et emploi est loin de constituer la norme, les phénomènes de déclassement et de non-correspondance en spécialité concernant nombre de jeunes lors du premier emploi et dans les premières années de vie active. Dès lors, le diplôme a tendance à perdre de sa valeur de signal.

De plus, les diplômes recouvrent des contenus hétérogènes et ne garantissent pas un signal équivalent pour l’ensemble de leurs détenteurs. Le signal est ainsi brouillé même si subsistent, notamment pour les diplômes professionnels, des dispositifs de garantie des diplômes via les référentiels élaborés en concertation avec les partenaires sociaux. De leur côté, les curriculum vitae ont tendance à se normaliser et à mettre en avant des compétences désormais largement partagées.

2.2. La diversification des modes d’acquisition des diplômes

Ce brouillage est accentué par la diversification des processus d’accès à la compétence. On peut ainsi penser que des diplômes très généraux ou trop finement ciblés offrent des possibilités de reconnaissance réduites. Il peut aussi y avoir contradiction entre la volonté de spécialiser une formation pour la rendre attractive en la distinguant et le souci de la faire reconnaître par de nombreux employeurs.

Et surtout, depuis la mise en place de la validation d’acquis de l’expérience, on dispose d’un mode alternatif d’acquisition des compétences. Ceci conduit à la remise en cause du diplôme comme sanction exclusive d’un cursus de formation formelle et généralement scolaire. Reste à voir si la reconnaissance d’un diplôme acquis par la formation ou par l’expérience se fera à l’équivalent même si la loi en affirme le principe.

L’employeur peut en effet être soucieux du mode d’acquisition du diplôme, ce d’autant que le diplôme a une valeur prédictive tandis que la validation des acquis de l’expérience enregistre des capacités effectivement mises en oeuvre.

2.3. La tertiarisation des activités

Au cours des dernières décennies, le développement des activités tertiaires, notamment celles de services et de commerce, est venu modifier les attentes de qualités chez les personnes. Ainsi, les dimensions techniques de la qualification occupent désormais moins de place tandis que les dimensions humaines sont de plus en plus recherchées. Dès lors, les formes collectives de reconnaissance perdent de leur importance au profit d’une reconnaissance individuelle et souvent éphémère. Et cela s’ajoute à un processus plus général d’individualisation de la relation salariale qui conduit à mettre en avant la reconnaissance individuelle des compétences au détriment d’une reconnaissance plus collective.

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3. Conclusion

Nombre d’éléments laissent ainsi penser que le processus de reconnaissance des compétences devient problématique. La multiplication des acteurs concernés, la diversification des espaces et modes de valorisation, la déconnexion relative entre certification et formation, la démultiplication des formes de certification, l’éloignement des instances de production et d’usage des diplômes, la relative perte d’importance des conventions collectives, les transformations du marché du travail et les évolutions sociétales rendent en effet improbable cette reconnaissance.

Quelles sont alors les conséquences de cette réflexion pour un dispositif comme le Portefeuille d’expériences et de compétences ? Elles concernent d’abord le discours à tenir pour donner du sens au Portefeuille d’expériences et de compétences, former les accompagnateurs et convaincre les étudiants et les universitaires de son intérêt. Il importe ainsi d’avoir à l’esprit que la reconnaissance a de multiples facettes : elle est à la fois pour soi, pour l’entreprise et pour la société ; elle varie selon les contextes, les politiques des entreprises et l’état du marché du travail ; elle n’est pas la même aux divers moments de la relation salariale ; elle dépend d’un jeu d’acteurs toujours spécifique. Elles concernent ensuite le travail d’accompagnement des étudiants qui doit les inciter à montrer leurs acquis en termes de compétences, à s’interroger sur les contextes professionnels dans lesquels ils peuvent être utilisés, à penser en termes de signal en formulant les compétences de façon explicite et compréhensible et en fournissant les preuves de leur maîtrise. Enfin, elles ont trait aux politiques éducatives puisqu’elles les interrogent sur le degré pertinent de spécialisation des formations, l’importance de la certification des formations et des personnes, les effets de la tertiarisation des activités et le mouvement d’individualisation qui l’accompagne, le processus de dissociation entre formation et certification, la possible traduction des acquis de formation en connaissances et en compétences.

Bibliographie

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Partie 3 – Expériences de terrain et témoignages d’acteurs