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Les jeunes venus de la partie occupée du Sahara Occidental

Chapitre 1 : Comprendre la jeunesse sahraouie en France par l’étude de terrain

B. Les jeunes venus de la partie occupée du Sahara Occidental

Les jeunes venus de la partie « occupée » du Sahara Occidental sont aussi parfois poussés à quitter le territoire pour se construire un futur en Europe, par des motifs différents de ceux des jeunes des camps.

a. La pauvreté du système éducatif

Fin avril 2019, l’ONG OXFAM publie un rapport (OXFAM, 2019) sur les inégalités au Maroc, signalant notamment que l’éducation constitue un « élément central de la dynamique inégalitaire ». Même si le Maroc a alloué plus de 5% de son PIB au système éducatif, celui-ci pêche en matière qualitative, notamment dans le secteur public. La durée moyenne de scolarisation est moins élevée que celle de la moyenne des pays arabes et mondiale. La faillite du secteur éducatif public conduit à une privatisation de l’éducation. Ces inégalités sur le plan éducatif se retrouvent sur le marché du travail, qualifié de « défaillant » conduisant notamment à des taux de chômage élevés chez les jeunes.

Or, ce constat est important pour comprendre les départs des jeunes Sahraouis vers l’Europe.

Tous les jeunes qui viennent de la partie occupée du Sahara Occidental, regrettent le manque d’investissement en matière d’éducation sur ce territoire. Ils font le constat de la pauvreté du système éducatif, tant sur ce qu’ils revendiquent comme leur terre qu’au Maroc. Après le Bac, si les jeunes veulent poursuivre leurs études, ils doivent partir au moins dans les Universités marocaines, les universités dans la « zone occupée » étant inexistantes. Or, comme nous l’avons

55 vu, le système éducatif se privatise, impliquant pour les jeunes qui veulent poursuivre leurs études, d’avoir des moyens matériel et financier conséquents. Ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les jeunes Sahraouis. La poursuite d’étude impliquant déjà un départ loin du domicile familial. Les jeunes mettent en cause le « système » marocain qui, selon eux, serait fait pour qu’ils soient limités et qu’ils ne puissent pas s’instruire. L’un d’eux me dit « on veut pas une génération intelligente, intellectuelle et qui peut aller plus loin donc voilà on les a vraiment cassés […] l’objectif c’est détruire la jeunesse » (extrait de l’entretien avec Otman). Ils se sentent délaissés par le système et certains regrettent de ne pas avoir pu suivre plus d’études, faute de moyens. Certains parlent de

« stratégie » du Maroc pour « écarter la partie intellectuelle et favoriser l’ignorance » de la jeunesse. Plusieurs me disent n’avoir pas eu connaissance du monde qui les entourait et de l’histoire du conflit jusqu’à ce qu’ils partent en Europe. Les responsables d’associations insistent à ce propos sur le fait de miser sur la jeunesse pour que celle-ci s’éduque. Partir à l’étranger est aussi une manière de prendre du recul sur la situation.

Compte tenu de la distance qui sépare les universités marocaines des villes sahraouies, les jeunes sont séparés relativement jeunes de leurs familles. C’est ce dont témoigne un homme d’une quarantaine d’année, ayant fait ses études au Maroc : « l’université à Agadir c’est presque 800km, et s’il fait 800 km il faut qu’il trouve un logement il faut qu’il ait les moyens pour y aller faire l’université c’est pas simple » (extrait de l’entretien avec Jatri). De telles distances impliquent d’avoir un minimum de ressources pour pouvoir poursuivre son cursus. Certains sont donc contraints d’arrêter leurs études et de partir travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Il n’est pas toujours possible de travailler au « Sahara occupé », compte tenu du peu d’infrastructures qui existent. Ainsi, certains font le choix de partir travailler ou poursuivre leurs études à l’étranger. Il y a donc comme dans les camps, un manque d’opportunité sur le territoire du Sahara Occidental qui oblige les jeunes Sahraouis à partir loin de leurs familles et à se construire un avenir ailleurs. Un Sahraoui de la génération des années 70 m’indique que pour lui, il était plus facile à son époque de partir faire ses études en France, lui n’a pas eu de difficultés pour le faire.

Aujourd’hui, les choses se sont compliquées car « les jeunes doivent passer un examen, il faut avoir un B1 ou B2 pour la langue et passer un entretien à l’Ambassade de France » (extrait de l’entretien avec Otman). Cela représente un obstacle supplémentaire aux jeunes Sahraouis qui souhaiteraient poursuivre leurs études à l’étranger.

« Comme il est militant de la cause sahraouie, il pouvait pas faire le master au Maroc » cette citation illustre bien le prochain point que je souhaite développer. Nous allons voir qu’au-delà des difficultés à suivre des études, les Sahraouis militants sont confrontés à des répressions qui vont pousser certains à quitter le territoire en direction de l’Europe.

56 b. Un militantisme impossible

Tous mes enquêtés qui ont quitté le Sahara Occidental, me décrivent la même situation de répression. Les jeunes militants pour la « cause » racontent les violences qu’ils ont subies beaucoup ont été arrêtés voire « torturés ». Certains ont été condamnés à des peines de prison de 10 ou 20 ans, les obligeant à fuir le territoire vers l’Europe, d’autres encore ont été portés disparus pendant plusieurs années, laissant leurs familles sans nouvelles. Ils ont été coupés de tout contact avec l’extérieur et ont donc décidé à leur sortie, de fuir, tiraillés par la peur d’être réprimés à nouveau. Tous racontent ne pas pouvoir vivre librement sur ce territoire « occupé illégalement » et disent ne pas pouvoir exprimer leurs opinions. Alors, même si le Maroc considère les Sahraouis restés après l’invasion sur le territoire comme marocains, il y a une forte stigmatisation de cette population se distinguant par le style vestimentaire (melhafa, darâa32) ou le dialecte hassanya. Les jeunes (et moins jeunes) témoignent de la peur et de l’oppression qui les a poussés à quitter le Sahara Occidental ou le Maroc pour l’Europe :

« Leur vie elle est en danger parce que politiquement parlant ils peuvent plus rester là-bas parce qu’ils sont militants » ; « c’était soit la mort soit la prison » « Je n’ai pas quitté mon pays par plaisir, ou par problèmes économiques ou autre. Ils m’ont fait quitter mon pays parce que c’est un pays occupé » ; « ils fuient en fait le thème de la mort, des 30 ans, 40 ans de prison » ; « La vie c’est pas très glorieux là-bas donc lui il a utilisé son statut politique pour voyager en Europe ».

En fuyant ce type de situations, certains Sahraouis ont en effet pu obtenir le statut de réfugié politique, leur ouvrant les portes de l’Europe. Beaucoup fuient le territoire clandestinement, mettant leur vie en danger en traversant la méditerranée à bord de petits bateaux de fortunes pour rejoindre les Îles Canaries ou l’Espagne. « J’avais pas de visa, j’avais même pas de passeport, j’étais clandestin […] J’étais parti par un petit bateau clandestin, parce que c’était le seul moyen d’abandonner le Sahara » (extrait de l’entretien avec Jatri) raconte un Sahraoui d’une quarantaine d’année de Bressuire. La première patera à débarquer aux Canaries depuis le continent africain arrive en 1994, « Il s’agit d’une embarcation de sept Sahraouis. Durant les années suivantes viennent plusieurs membres du Polisario et autres figures de l’opposition sahraouie » (Odden, 2010 : 109). Il ne faut pas oublier que prendre la route de la migration n’est pas évidente, elle est porteuse de stress et de danger, en plus d’imposer une rupture physique avec les proches qui restent.

Parfois, les parents décident aussi de partir du Sahara Occidental vers l’Europe afin de permettre à leurs enfants de vivre dans de meilleures conditions et plus librement. C’est ce que rappelle un

32 Vêtements traditionnels respectivement féminin et masculin, portés par les Sahraouis mais aussi les hommes et femmes Maures.

57 de mes jeunes enquêtés qui, lui-même, est parti avec son père en Europe : « mes deux [parents] ils ont cette expérience à l’étranger, les deux savent ce que c’est d’être au Sahara, ils ont conscience un peu de la vie puis forcément ils veulent pas que leurs enfants ça leur arrive la même chose » (extrait de l’entretien avec Nafe).

C’est ainsi que poussés par différentes raisons, économiques, politiques ou liées à la recherche d’une meilleure qualité de vie permettant de jouir des droits reconnus par la communauté internationale, les Sahraouis ont commencé à migrer vers l’Espagne, au milieu des années 90 (Gómez Martín, 2011) et plus récemment vers la France.