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Le choc de l’arrivée, perceptions différentes entre la France et l’Espagne

Chapitre 1 : Comprendre la jeunesse sahraouie en France par l’étude de terrain

A. Le choc de l’arrivée, perceptions différentes entre la France et l’Espagne

Dans les discours des Sahraouis, on constate que l’arrivée en Espagne et en France ne se déroule pas de la même manière, cela pour plusieurs raisons.

D’emblée, on note que l’arrivée en Espagne est favorisée par la proximité géographie, linguistique et les liens qui unissent le peuple espagnol au peuple sahraoui. Ce sont aussi les liens historiques entre les deux territoires qui favorisent l’intégration des Sahraouis en Espagne et notamment des jeunes. Comme je l’ai expliqué précédemment, le programme Vacaciones en Paz a créé des liens indéniables entre les jeunes Sahraouis et l’Espagne. La majorité de ceux qui ont participé à ce programme, se disent attachés aux familles espagnoles qui les ont accueillis et ils gardent donc indirectement des liens avec l’Espagne, par la suite.

C’est aussi la proximité linguistique qui favorise l’intégration des Sahraouis en Espagne. La plupart des Sahraouis parlent espagnol, du moins pour ceux originaires des camps de réfugiés.

Dans les campements, la deuxième langue obligatoire enseignée à l’école est l’espagnol. Les parents partis en Espagne avant les enfants, maîtrisent les bases de la langue et peuvent aussi les transmettre à leurs enfants. Cela leur permet d’avoir une base linguistique avant d’arriver en Espagne, à la différence d’avec la France où les difficultés linguistiques se font ressentir. « Je me suis fait des amis vus que je parlais déjà espagnol depuis longtemps » (extrait de l’entretien avec Ihdih) ; « On avait des cours d’espagnol là-bas oui, la langue obligatoire là-bas c’est l’espagnol » (extrait de l’entretien avec Aminatou) ; « Le Sahara était une colonie espagnole donc les gens s'y sentent plus libres parce que la langue facilite la coexistence et la façon de « chercher de la vie » et de chercher du travail » (extrait de l’entretien avec Jatri), témoignent mes enquêtés. Nous verrons que la langue est un des obstacles majeurs à l’intégration des Sahraouis en France. Il est donc plus facile pour eux de vivre en Espagne.

C’est aussi la proximité géographique et historique qui favorise l’intégration en Espagne, le Sahara Occidental étant une ancienne province espagnole. Cela facilite notamment les démarches administratives dans le sens où beaucoup de Sahraouis ont pu récupérer la nationalité espagnole en prouvant que leurs ancêtres ou eux-mêmes (pour ceux nés avant 1975) avaient les documents d’identité espagnols. Les jeunes qui vivent aujourd’hui en France et qui ont passés plusieurs années en Espagne (voire ceux qui y sont nés) gardent des liens avec le territoire et y retournent fréquemment pour voir de la famille ou des amis. Certaines régions espagnoles sont privilégiées par les Sahraouis pour leur installation, compte tenu de la proximité des opinions politique de certains lieux. C’est ce que fait ressortir le témoignage de certains Sahraouis particulièrement engagés sur la scène politique et qui résident au Pays Basque espagnol. Ils affirment que les Basques partagent une « lutte » commune avec les Sahraouis, qui est celle de l’indépendance et de leurs revendications nationalistes.

60 Une autre raison pour laquelle l’intégration en Espagne est généralement moins difficile qu’en France, c’est pour la « proximité » du peuple espagnol avec les Sahraouis. En effet, tous ceux qui y ont vécu, mentionnent le fait que les espagnols sont plus « impliqués » dans la « cause » ou qu’ils ont au moins connaissance du conflit, à l’inverse du peuple français. « Le peuple espagnol il connait très bien la cause sahraouie, il aide les Sahraouis à vivre son indépendance […] le peuple français ne connait rien sur la « cause » sahraouie » (extrait de l’entretien avec Jatri) ; « En France il y a une ambiance différente que celle des espagnols, les gens ils sont moins accueillants, plus froids » (extrait de l’entretien avec Nafe). En Espagne, même si le gouvernement ne prend pas partie en faveur de l’indépendance de leur territoire le peuple espagnol soutien (en majorité) les Sahraouis, en France ils se sentent beaucoup plus « invisibles ».

Le passage de l’Espagne à la France marque une rupture forte pour certains jeunes qui ont passés une bonne partie de leur enfance sur la péninsule ibérique. Pour ceux qui ont déjà quitté une première fois leurs familles et leur quotidien des camps ou de la « zone occupée », le départ en France marque une seconde rupture, souvent brutale et rarement bien vécue par les jeunes. Ils disent que le plus difficile, chaque fois, est de « repartir de zéro », se réadapter à une nouvelle langue et à un nouvel environnement. Surtout que beaucoup d’entre eux (du moins, pour ceux de Bressuire) sont partis d’Espagne pour suivre leurs parents. Ils quittent souvent adolescents, des amis, des proches. Ils quittent une terre où ils ont construit une partie de leur vie. Parfois, il y ont même passés plus de temps que dans leur lieu de naissance respectif. Une jeune de Bressuire qui a passé plus de 6 ans en Espagne, entre ces 12 et 18 ans, en témoigne « on a commencé une nouvelle vie, c’était pas facile [rires]. Au début c’était compliqué de laisser tout, les amis, tes études, les rencontres que tu fais, partir avec pour découvrir une nouvelle ville » (extrait de l’entretien avec Aminatou). Certaines jeunes emploient des mots forts tels que « traumatisme »,

« tombé en dépression » pour parler de leur arrivée en France, souvent vécu comme une obligation et un choc assez brutal dans leur vie. Il leur faudra quelques mois, voire plusieurs années, pour s’y adapter : « il y avait toujours une chose qui manquait, que je me sentais pas à l’aise, genre j’avais le mal du pays, des circonstances » (extrait de l’entretien avec Nayua). Lorsque l’on observe leurs modes de vie, on constate qu’au quotidien, la plupart des Sahraouis qui vivent en France, suivent la télévision espagnol ou arabe, ils lisent les journaux espagnols ou arabes mais beaucoup moins en français, ce qui peut témoigner d’un attachement à l’Espagne et au Sahara, mais c’est aussi certainement pour des facilités linguistiques.

Peu importe où ils se trouvent, les Sahraouis insistent sur le rôle de la France dans l’enlisement du conflit et des intérêts économiques qui lient la France au Maroc. Cependant, les jeunes rencontrés à Bressuire, reconnaissent les avantages à vivre en France : pour le travail ou les études.

61 Ils déclarent qu’en France (ces dernières années), il est relativement plus facile de trouver un emploi et que ceux-ci sont mieux rémunérés. De plus, les jeunes disent apprécier la qualité du système éducatif français. Même si souvent l’intégration en France ne se fait pas sans mal, ils voient leur arrivée en France comme une « chance » et se disent satisfaits d’y vivre. Une jeune de Bressuire, qui étudie au lycée, me dit par exemple « C’était difficile en première mais je sais pas c’est mieux en vrai pour les études et tout c’est vraiment mieux, même pour l’argent, les moyens ça fait la différence » (extrait de l’entretien avec Maria). Un garçon de Bressuire, jeune travailleur précise « La France pour le travail c’est le meilleur endroit, en Espagne c’est différent, c’est bien pour le reste mais pas pour le travail » (extrait de l’entretien avec Hamdi). Plusieurs jeunes soulignent aussi qu’en France il y a plus de droits et d’aide qu’en Espagne. Les étudiants peuvent, par exemple, bénéficier des aides du CROUS et de logements sociaux, le coût des études est également moins important en France qu’en Espagne. Les Sahraouis trouvent finalement que c’est un avantage d’avoir su s’adapter à différentes situations, cela leur donne, une forte envie de voyager et de connaître d’autres cultures. D’autres préfèrent, au contraire, s’établir là où ils sont, pour éviter de « recommencer encore une fois de zéro ».

Néanmoins il faut nuancer ce propos car à Bordeaux, compte tenu de la situation que j’ai exposée dans la première partie de ce travail, les jeunes ne tiennent pas le même discours sur la France. Pour ceux venus des camps, l’arrivée en France signifie vivre quasiment dans la même situation que celle qu’ils ont quittée. Pour ceux venus du territoire, ils fuient des répressions qu’ils ne retrouvent peut-être pas en France mais se retrouvent à devoir vivre dans des conditions plus que précaires. Un jeune qui a réussi à obtenir la nationalité française, responsable d’association, se sent bien intégré, il se dit d’une « double culture » et parle de « pays dont il a la nationalité » en parlant de la France mais il dit « avoir honte de la France », en voyant la situation de beaucoup de Sahraouis.

En conclusion, on constate que pour différentes raisons, l’intégration en Espagne est plus évidente que l’intégration en France. Au bout d’un certain temps, en général l’adaptation se fait mais cela dépend bien sûr de la situation personnelle de chacun (papiers, logement, travail, langue).

Dans tous les cas, un nouveau départ vers une autre destination marque une rupture évidente dans le parcours des jeunes Sahraouis qui doivent chaque fois se réadapter à un nouvel environnement et nouer de nouvelles relations. Cela impacte inévitablement leurs trajectoires scolaires ou professionnelles mais aussi leur construction personnelle surtout lorsque les départs se font à des phases clés de l’existence (sortie de l’enfance ou de l’adolescence).

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