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Chapitre 1 : Comment créer de la polyphonie par le montage ? Cinq trajectoires

5. Les règles du jeu pour une autonomie des récits entrelacés

5.2. Le jeu vidéo

L’opération de reconstituer l’unité du récit est comparable à un puzzle, elle possède donc les caractéristiques d’un jeu. D’ailleurs, l’aspect ludique est cher aux Wachowski depuis le début de leur carrière. Rappelons que :

Dans Matrix, un élément structurel essentiel [est] emprunté au jeu vidéo. […] Lorsqu’il [Néo] se réveille devant son ordinateur, s’inscrit sur l’écran […] « suit le lapin blanc ». Autrement dit : veux-tu jouer ? Ensuite lorsqu’il est enlevé et se retrouve devant Morpheus, c’est encore un jeu qu’on lui propose « la pilule bleue et tout s’arrête, ou bien la pilule rouge et tu restes au pays des merveilles » (Dufour, 2011, p. 145‑146).

Cela met en avant un point central chez les Wachowski : la multiplicité des choix possibles du personnage. Néanmoins, dans Matrix, les choix possibles des personnages sont proposés dans le récit : le personnage doit choisir l’une des deux pilules, et de suivre, ou non, le lapin blanc. Dans nos deux objets, les personnages sont pliés aux choix des metteurs en scène et des monteurs, mais aucune proposition ne leur est faite dans le récit.

Les Wachowski mettaient déjà en place un cinéma dit « transludique » avec Matrix. Dans sa thèse, Martin Picard précise que, en particulier dans le troisième opus, « [p]lusieurs prouesses physiques des héros du film […] reposent sur les gestes et les mouvements corporels des avatars d’un jeu vidéo. D’où mon appellation de cinéma transludique » (2010, p. 308). Il s’avère qu’à travers leurs choix de mise en scène dans Cloud Atlas, mais surtout dans Sense8, les Wachowski jouent des prouesses physiques de leurs huit personnages grâce aux artifices cinématographiques (montage, transitions, effets spéciaux, montage dans le plan) pour ne créer qu’un seul personnage unique, complet, un avatar pour les spectateurs qui peut changer d’option à tout moment.

Conclusion du chapitre

Ce premier chapitre nous a permis de distinguer et de délimiter cinq blocs de concepts importants qui décrivent des techniques présentes dans différents médias tels que le roman, le

théâtre, le cinéma, la série télé et le jeu vidéo, afin de comprendre quelques mécanismes qui sont au cœur des narrations polyphoniques.

Dans notre premier bloc, nous avons déterminé les procédés d’alternance et de parallélisme par les effets de montage présents dans le théâtre. Nous avons d’entrée de jeu vu que nos objets se rattachaient aux grands groupes des montages alterné et parallèle par la multiplicité des points de vue, des personnages et d’espaces-temps. Par la suite, avec l’effet Koulechov, nous avons mobilisé une caractéristique importante qui est celle de l’interprétation spectatorielle. Enfin, nous avons pu opposer la transparence hollywoodienne et le double emploi –un emploi polyphonique- de ces procédés à la fois apparents et transparents.

Par la suite, nous avons pu mobiliser le concept d’intervalle qui nous a permis de déboucher sur l’accumulation de détails apportés aux types de montages qui jouent d’une porosité des espaces-temps. Ainsi, nous avons souligné l’importance des sons et comment ceux- ci favorisent la création d’espaces artificiels mis en scène par les techniques de montage.

Par l’analyse de la création de ces espaces artificiels, nous avons abouti à notre troisième bloc, qui souligne les mutations et les transformations que le montage favorise. Le montage des attractions, des correspondances, les nœuds et le théâtre des possibles nous ont permis de mieux comprendre la distinction entre les parties et la totalité narrative qui rappelle que la totalité est plus que la somme de ces parties et enfin la valeur des émotions et des sensations à la fois spectatorielles et narratives. Suivant les caractéristiques de nos objets, nous avons donc considéré une autre forme de prolifération, la multitude de genres. Enfin, cela nous a permis de déboucher sur les caractéristiques de la complexité narrative de Mittell auxquelles Sense8 se rattache. Dans ce cadre, nous avons également évoqué la mise en scène de la transidentité des Wachowski en lien avec la fusion des identités, des points de vue et des émotions.

Nous nous sommes recentrés sur les orchestrations, la mosaïque et la choralité qui nous ont permis de démontrer l’importance des transitions entre les plans mais aussi, encore une fois, l’accent porté sur la double prolifération, à la fois d’une progression simultanée et complète de différentes histoires, mais aussi de leurs évolutions indépendantes. Enfin, nous avons voulu nous intéresser aux règles du jeu et à la question de l’avatar qui favorisent un écho entre les espaces et les temps.

Le montage, dans ses formes variées, est primordial dans nos objets. Il nous semble alors cohérent d’analyser ce corpus à partir des concepts mis en évidence dans nos blocs, pour voir quelles caractéristiques ressortent et mettent en avant la création d’un double sens, à la fois narratif et sensoriel. Nous verrons comment le montage dérègle, de manière chaotique (Ryan), le récit (par la multiplicité des points de vue) les histoires (par une perpétuelle non-linéarité) et la narration (par une multitude de narrateurs) à la fois intra et extra diégétiques. Cependant, tous ces procédés qui peuvent paraitre très hétérogènes, provoquent à l’inverse, une histoire globale homogène par des procédés de « connexions » à la fois visuels, sonores et narratifs. Cette accumulation de procédés favorise une totalité qui est plus que la somme des parties, mais aussi crée un nouveau niveau présentant une polyphonie des sensations.

Chapitre 2 : Points de vue(s), mondes possibles et connectés