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5. Les jeux vidéo comme espaces de réception du care

5.4. Le jeu vidéo comme miroir de soi : l’expérience du self-care

À présent que nous avons passé en revue divers composantes possibles du care receiving par les jeux vidéo, il y’a une dernière perspective que nous souhaitons aborder. Celle-ci concerne un care

receiving qui serait reçu par les joueur.se.s en réponse à leur propre care giving, à leur expérience de care d’une autre entité dans le jeu. Il s’agirait ici d’aborder le concept de self-care, soit prendre soin

de soi-même. Dans cette optique, le.a pourvoyeur.se et le.a bénéficiaire de care sont la même personne.

Pour approfondir cette idée, revenons sur le concept du temple miroir de Celeste. Celui-ci exacerbe le concept du mont Celeste : il révèle ce qu’il y’a à l’intérieur de ceux qui le traversent. Theo le mentionne en exprimant son intuition à Madeline, lorsque celle-ci le croise pour la première fois emprisonné : « As-tu l’impression que cet endroit te connaît mieux que tu ne te connais toi-même ? ». Le temple agit comme un miroir au sens métaphorique en matérialisant différentes réflexions de Madeline : son double maléfique Badeline et ses démons intérieurs mais aussi une image confiante et plus forte d’elle. Ainsi, de la même manière que Madeline surmonte ses difficultés et parvient à l’ascension du Mont Celeste en interagissant avec les différentes personnifications de parties d’elle, les joueur.se.s ne pourraient-ils pas prendre soin d’eux-mêmes par le contrôle de Madeline ? Celle-ci agit comme un avatar, une extension de l’identité des joueur.se.s. C’est un intermédiaire qui peut constituer une image miroir d’elleux par projection-identification. En la menant au terme de son aventure, en faisant preuve d’empathie à son égard et somme toute par l’expérience du care de Madeline, les joueur.se.s pourraient également faire l’expérience du care receiving. À l’image du mont Celeste, le lieu de cure de Madeline, le jeu vidéo constituerait un lieu de cure pour les joueur.se.s.

réception.

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Figure 48 - Une facette de Madeline lui parlant à travers un miroir, plus confiante et assurée (Matt Makes Games, 2018)

Ainsi, le jeu vidéo fonctionnerait à l’image d’un miroir : par l’incarnation d’un personnage souffrant mais parvenant à sa guérison, il donnerait des éléments dans lesquels les joueur.se.s pourraient se retrouver et effectuer un chemin similaire. Le parcours de Madeline serait ainsi également le leur, idée amplifiée notamment par l’interprétation de la difficulté du jeu comme la difficulté de Madeline à surmonter sa maladie : en éprouvant cette difficulté, les joueur.se.s éprouvent un sentiment similaire à celui de Madeline. Celeste met également en place d’autres stratagèmes pour communiquer et don-ner à faire l’expérience des émotions et ressentis de Madeline : les dialogues et la mise en scène lui permettent de s’exprimer directement mais le level design et les capacités acquises jouent également un rôle. En effet, le level design varie au rythme des émotions de Madeline : étroit et labyrinthique dans les passages où Madeline est plus anxieuse, bien plus ouvert et spacieux quand elle se sent en bonne voie83. De même pour les capacités qui lui sont données, la plume étant la plus emblématique : après sa discussion avec Theo dans l’avant dernier chapitre « Réflexion » où elle témoigne d’une grande avancée dans sa résilience, des plumes qui lui permettent de voler librement dans les niveaux pendant un certain temps apparaissent – témoignant de sa légèreté nouvellement acquise. Tout cela participe à rapprocher l’expérience des joueur.se.s à celle que pourrait vivre Madeline et donc faire de son aventure celle des joueur.se.s en leur donnant le maximum de clés pour la vivre. C’est en cela qu’une performance de self-care peut avoir lieu, et sans doute peut-on faire un parallèle similaire avec

Wandersong. L’expérience de l’incarnation d’un personnage qui n’est pas le héros de son monde mais

le devient en interagissant avec lui à sa manière pouvant certainement apporter à certain.e.s joueur.se.s un sentiment de care receiving dès lors que cela fait écho à leur propre existence et leur permet d’y

83 Cette idée est tout particulièrement détaillée dans la vidéo suivante :

réception.

108 trouver des éléments pour mieux vivre avec.

Conclusion

Dans cette section, après avoir précisé la définition du care receiving, nous avons élaboré différentes interprétations des formes qu’il peut prendre dans l’expérience de jeu. Cette troisième perspective de

care est venue compléter la précédente en donnant cette-fois le point de vue de bénéficiaire de care.

En prenant le contre-pied du chapitre précédent, nous avons donc amené une focalisation davantage centrée sur l’expérience des joueur.se.s, primordiale dans la construction d’éthique d’un jeu vidéo. De la sorte, nous avons pu identifier divers éléments qui semblent transmettre un care à leur destination. Ce chapitre clôt l’analyse des moyens d’expression du care par un alliage spécifique entre le care giving et le care receiving. Ce faisant, nous avons donc étudié les dernières relations entre les joueur.se.s et le jeu permises par celui-ci : du jeu vers les joueur.se.s et des joueur.se.s vers elleux-mêmes.

réception.

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Conclusion

Afin de donner un point final à notre étude du care dans les jeux vidéo, nous procéderons en trois temps. La première partie sera dédiée à un passage en revue des expressions du care observées, afin de synthétiser les réponses à notre problématique tout en apportant un éclairage supplémentaire à chacune. La seconde partie sera consacrée aux limites et faiblesses de ce mémoire, afin d’en mettre en lumière les défauts et donner matière à relativiser son contenu. Enfin, la troisième partie ouvrira le sujet aux horizons que nous lui voyons, notamment dans le but de donner des pistes de poursuite à l’étude de l’éthique (du care) vidéoludique.