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5. Les jeux vidéo comme espaces de réception du care

5.2. Éléments de design pouvant faciliter le care receiving

5.2.1. Accompagnement et Autonomie

Le premier élément observé concerne une double perspective d’accompagnement et d’autonomie. Il s’agit à la fois de ne pas laisser les joueur.se.s livré.e.s à ielles-mêmes sans pour autant faire les choses à leur place.

Dans Kind Words, l’idée d’accompagnement se traduit par la présence d’une section d’aide intégrée au jeu ainsi que par les conseils donnés par le Mail Deer dans la gestion des requêtes. En dehors du jeu, la FAQ joue également ce rôle en donnant diverses recommandations sur le contenu des lettres et de leurs réponses. Au niveau autonomie, le jeu en laisse beaucoup dans l’écriture des requêtes et des réponses : c’est aux joueur.se.s de trouver les mots qui permettront de témoigner du care.

Du côté de Celeste, celui dispose d’un mode assisté permettant de modifier la jouabilité du jeu (et donc le gameplay) selon quatre options différentes (vitesse de jeu, endurance illimitée, sprints en l’air et invincibilité) et ainsi le rendre plus accessible au besoin. L’activation de ce mode et la manipulation de ses paramètres est entièrement sous contrôle des joueur.se.s : Celeste ne fait rien à leur place, ce sont elleux qui choisissent les options que ielles vont paramétrer. De plus, même s’il est possible de rendre Madeline invincible, modifiant la traversée des niveaux, son contrôle reste toujours aux mains des joueur.se.s. Pour comparer, nous pouvons prendre l’exemple de Mario Kart 8 Deluxe qui propose une option d’assistance dont l’effet consiste à exécuter automatiquement des virages pour rediriger le véhicule quand son conducteur est trop proche d’un vide. Une partie du contrôle est altéré par le jeu, ce que ne fait pas Celeste. Cette idée transparaît dans les explications du mode assisté qui sont donnés lorsque l’on souhaite l’activer : « Celeste a été conçu pour être difficile tout en restant accessible. Nous pensons que cette difficulté est essentielle dans cette expérience. ». Ainsi, le mode assisté a été conçu dans le but d’accompagner les joueur.se.s dans leur ascension du Mont Celeste sans sacrifier l’expérience du chemin parcouru pour autant. En d’autres mots, le jeu soutient mais n’impose pas. Il cherche à conserver l’autonomie des joueur.se.s au maximum, ce qui est, nous l’avons vu, une finalité du care : en attribuant l’ascension du Mont Celeste à leurs efforts, les joueur.se.s peuvent s’approprier son succès, en faire une épreuve dont ils sont venus à bout par eux-mêmes.

réception.

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Figure 43 - Options du mode assisté de Celeste (Matt Makes Games, 2018)

Wandersong ne met pas de mode assisté à disposition ; sans doute parce que la contingence

performative du jeu est moins présente. En revanche, on peut y voir un accompagnement dans la manière dont il donne toujours des indices sur ce qui doit être fait dans la suite du jeu, ainsi que la possibilité de les réécouter, mais ne donne jamais la solution directement. Par exemple, lorsque Bard fomente une révolte contre l’usine de Chismest, Miriam lui indique de chercher des personnes au chômage mais ne lui dit pas directement de qui il s’agit. En revanche, cela est un principe courant de

game design qu’il est difficile de rattacher à une volonté particulière de care. De même, dans des

séquences de chant s’apparentant à un jeu de rythme, en plus de l’indicateur des notes qui arrivent (qui vont devoir être jouées quand elles atteindront un certain point à la manière de Guitar Hero), un indicateur dynamique apparaît sur les positions à adopter tout au cours de la séquence. Cela apporte une aide par rapport au challenge demandé qui ne réalise pas la séquence à la place des joueur.se.s mais lui apporte plutôt une visibilité supplémentaire sur la performance à exécuter. Cela relève davantage d’éléments mis en place afin d’assurer la compréhension du challenge que d’une volonté de prendre soin des joueur.se.s. Quoiqu’il en soit, Wandersong accorde malgré tout une certaine place à l’autonomie, notamment en permettant à plusieurs reprises dans le jeu d’imaginer des séquences de chant qui seront rejouées par d’autres personnages ou transformées en musique passant dans certaines zones. Il est également possible de chanter à tout moment ainsi que de modifier le ton de la voix de Bard en se baissant dans le jeu. Wandersong permet ainsi à ses joueur.se.s une certaine part d’expression et d’appropriation de l’expérience de jeu.

réception.

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5.2.2. « Forgiveness »

Le concept de forgiveness est tout particulièrement utilisé dans l’univers du jeu vidéo pour caractériser une propriété de design. Cela consiste à « pardonner » les erreurs des joueur.se.s et leur accorder de la marge sur celle-ci pour se rattraper ou ne pas être puni.e.s. On peut le voir comme une forme d’attention qui chercherait à limiter la frustration ou le sentiment d’échec, valorisant ainsi davantage, par contraste, les victoires des joueur.se.s.

Dans Celeste, cette forgiveness est présente dans les contrôles de Madeline (influant sa jouabilité et son gameplay), ceux-ci donnant des marges d’erreurs larges afin que, même si les joueur.se.s ont aient un peu trop tôt ou trop tard, ielles réussissent leur action malgré tout. Cela est présent par exemple lors des sauts depuis une plateforme : les joueur.se.s disposent de quelques frames 81 après avoir quitté une plateforme pour sauter malgré tout. À cela s’ajoute la présence de « zones de sécurité » dans certains tableaux, à savoir des moments où il est possible de s’arrêter et ne pas devoir recommencer tout le tableau si l’on échoue.

Figure 44 - Mise en évidence des zones de repos dans un tableau de jeu de Celeste (rectangles rouges) (Matt Makes Games, 2018)

Wandersong dispose de mécanismes similaires, mais a la particularité d’être particulièrement tolérant

dans l’exécution des séquences de chant où il faut réaliser un input particulier à un moment donné.

81 Selon Wikipédia, une frame est « une étape d’animation du jeu. Parler en frames permet de décortiquer et de donner un ordre de temps à une séquence particulière de jeu ; par exemple le stand HK (high kick) de Ryu dans street fighter 4 se décompose en 33 frames dont 9 startup frames, 4 active frames et 20 recovers frames. Il faut préciser que le nombre de frames par seconde dépend des jeux, c'est le plus souvent 60 frames/seconde (FPS) pour les plus récents. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lexique_du_jeu_de_combat)

réception.

102 Là où Celeste exige beaucoup de précision dans son exécution, la moindre erreur pouvant résulter en l’échec et le recommencement d’un tableau, Wandersong continue la séquence même si une erreur intervient et détermine le succès de celle-ci même si un certain nombre d’erreurs sont apparues.

Kind Words, lui, ne comporte pas vraiment d’éléments de design forgiving, le concept d’erreur n’étant

pas véritablement présent dans ce jeu. Celui-ci réside davantage dans le traitement des signalements par les concepteurices du jeu, qu’il faudrait évaluer pour le déterminer.