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Jean-Marie Bergère – Industriels, jardiniers et apiculteurs

Dans le document L'industrie jardinière du territoire (Page 121-126)

Le quatrième centenaire de la naissance d’André Le Nôtre et l’essor récent des « jardins partagés » incitent à poursuivre la métaphore du jardinier pour caractériser la stratégie des entreprises qui investissent dans les ressources humaines des terri-toires où elles sont (im)plantées.

L’étude de La Fabrique de l’industrie a le rare mérite de prendre le risque d’une for-mulation théorique, là où le catalogue de pratiques tient souvent lieu de réflexion et de politique. Or, chaque jardinier le sait, « l’expérience n’est pas ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons de ce qui nous arrive » (Aldous Huxley). Il sait aussi que quelques coups de binette supplémentaires sont toujours les bienvenus.

1. Marchés internes, marchés

professionnels et marchés

locaux

Sur le marché du travail d’abord. La mé-thode IOD (Intervention sur l’Offre et la Demande) est évoquée à juste titre. L’étude que j’ai menée pour TEDIS (Territoires et Dialogue Social, étude réalisée avec Ro-main Demissy) décrit l’accompagnement à l’issue d’une formation en alternance de ceux que les grands groupes ne peuvent pas embaucher mais qu’ils ont formés. Ce sont les liens de confiance avec les autres em-ployeurs du même territoire qui permettent de bâtir des solutions satisfaisantes pour les entreprises, petites et grandes, pour les tuteurs et pour les alternants eux-mêmes. Les démarches territoriales offrent un cadre plus riche que celui des marchés internes aux entreprises et ils permettent une mise en relation personnalisée à la différence des marchés nationaux ou européens. Pourtant rien ne va de soi. Chaque employeur peut percevoir l’intérêt objectif à investir dans

2. Un niveau d’initiatives

et de coopérations

Les systèmes complexes –les territoires sont des écosystèmes complexes- ne sont pas voués par principe à dysfonctionner sur le modèle de l’usine à gaz ou du mil-lefeuille. Les bassins d’emploi ne sont ni des « théâtres d’opération » ni des « mana-gers de proximité » à qui déléguer le travail de coordination entre les éléments d’une organisation conçue au sommet sur un modèle mécanique et « adéquationniste ». Ils ont besoin de décloisonnement et qu’on en fasse des sources d’initiatives, des mi-lieux accueillant à l’innovation, des terres fertiles.

Sur le site officiel qui lui est consacré on peut lire : « les jardins d’André Le Nôtre sont le fruit du travail en commun de très nombreux intervenants s’adaptant aux impératifs du site ». L’alignement des massifs est le résultat du travail collectif et non un point de départ. Il est possible aussi de préférer l’harmonie des jardins anglais ou le mouvement de ceux conçus par Gilles Clément ! Tous illustrent parfai-tement cet impératif exprimé par Olivier Mériaux d’instaurer un « rapport négocié » au territoire.

3. « Travaillez, prenez

de la peine, c’est le fonds

qui manque le moins »

Mais les gestionnaires et les ingénieurs sont plus nombreux à diriger les entreprises que les jardiniers. Le jardinage risque d’évo-quer pour eux le loisir et l’ornement plutôt que symboliser les récoltes abondantes. Les entreprises qui réellement « s’impliquent » (on comprend alors qu’elles n’ont pas une relation « instrumentale » à leur environ-nement), sont celles qui conçoivent que jardiner est aussi un travail : « les fils vous retournent le champ, Deçà, delà, partout, si bien qu’au bout de l’an Il en rapporta davantage » (La Fontaine). Lorsque les entreprises investissent dans les ressources humaines et s’engagent dans le développe-ment des territoires, elles produisent des externalités positives – la confiance entre acteurs, une vision commune d’un avenir pour la région, une ouverture vers d’autres territoires, etc.-. Ces externalités sont l’hu-mus de ce qu’on appelle par analogie la résilience des territoires, si différente d’un site à l’autre.

Les entreprises (une vingtaine en France, dont Air France, Sanofi, SNCF, Thales et Vivendi, partenaires de l’étude TEDIS déjà citée) qui se sont dotées d’une structure spécifique ont compris qu’en outre elles s’y enrichissent. Leurs structures dédiées per-mettent de diffuser en interne ce qu’elles apprennent dans le cours même de leur les ressources humaines des territoires et

être rebuté par l’illisibilité des systèmes et des jeux d’acteurs particuliers à chaque site.

travail. Ce qu’elles réalisent cesse alors d’être vécu comme une obligation ou une charge, pour devenir « un investissement » dans la nécessaire réconciliation de l’entre-prise avec son environnement.

4. Jardiniers et apiculteurs

Ces entreprises n’ont pas pour autant voca-tion à occuper toute la place. Je ne crois pas qu’elles souhaitent – et elles ne le pour-raient pas – être leaders dans la conduite des dynamiques territoriales, comme cela est évoqué dans l’un des idéaux-types pro-posés. Elles jouent plutôt le rôle du « tiers facilitateur », celui qui fait converger les points de vue, introduit un regard prospec-tif, invite un acteur supplémentaire, comme cela a été le cas à Calais pour lancer l’incu-bateur franco-anglais de start-up digitales. Contrairement à Candide qui cultive son jardin à l’issue de son aventureux périple et pour couper court aux illusions sur le meilleur des mondes possible du nigaud Pangloss, les entreprises ont un« don d’ubi-quité ». Leur présence et leur engagement dans les territoires en même temps que dans l’économie-monde, en font des agents pollinisateurs capables de féconder des ter-ritoires qui dépériraient s’ils se fermaient sur eux-mêmes. Les jardiniers peuvent être apiculteurs !

Annexe - Les démarches

Dans le document L'industrie jardinière du territoire (Page 121-126)