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Par jalousie, autant envers sa sœur qui épousait l'homme qu'elle aimait qu'envers lejeune homme qui lui enlevait sa sœur, Marguerite tue celui qui menace la stabilité de son monde.

Elle croyait ainsi un retour à l'ordre, à sa vie d'avant, et garder sa sœur auprès d'elle toute

sa vie. Cependant, elle est rongée de remords toute sa vie, et malade de surcroît, ayant elle-

même ingéré les biscuits empoisonnés.

Le deuxième exemple, « Un drame vrai », est encore plus intéressant. Dans ce cas-ci, le

meurtrier avoue, bien malgré lui, sa culpabilité. Une jeune femme est courtisée par deux

frères, mais elle choisit l'aîné. Une semaine avant le mariage, le fiancé est assassiné. Le

meurtrier n'est pas trouvé et le seul indice existant est un bout de papier, ayant servi à

bourrer le canon du fusil, avec quelques vers imprimés sur la feuille. Le jeune frère se

marie et, vingt ans plus tard, chante une chanson au mariage d'une de ses filles. Le père du

marié, un magistrat ayant enquêté sur le meurtre du frère cadet, reconnaît les mots, mais ne

peut découvrir d'où il les connaît. Un peu par obsession, il cherche tant bien que mal d'où

viennent ces vers et il finit par trouver :

Deux ans encore se passent. Et voilà qu'un jour, en feuilletant de vieux papiers, il retrouve, copiées par lui, ces rimes qu'il a tant cherchées.

C'étaient les vers restés lisibles sur la bourre du fusil dont on s'était autrefois servi pour le meurtre.

Alors il recommence tout seul l'enquête. Il interroge avec astuce, fouille dans les meubles de son ami, tant et si bien qu'il retrouve le livre dont la feuille avait été arrachée.

C'est en ce coeur de père que se passe maintenant le drame. Son fils est le gendre de celui qu'il soupçonne si violemment ; mais, si celui qu'il soupçonne est coupable, il a tué son frère pour lui voler sa fiancée ! Est-il un crime plus monstrueux ?

Le magistrat l'emporte sur le père. Le procès recommence. L'assassin véritable est, en effet, le frère. On le condamne.

C'est, une fois de plus, une histoire de passion criminelle que nous raconte Maupassant. Il laisse d'ailleurs durer le suspense quant à la découverte du meurtrier, comme le ferait un fait-diversier pour tenir son public intéressé jusqu'à la fin.

On voit donc que les sujets de fait divers ont une influence importante sur les nouvelles de Maupassant. Les faits divers ont une incidence particulière sur la structure même du récit, comme l'a expliqué Noëlle Benhamou avec « La petite Roque » et comme nous le verrons dans les prochaines parties.

3.6 : Les moyens de la brièveté : une structure de la violence

La structure et le style du fait divers influencent directement les récits fictionnels, mais plus encore, c'est la forme brève du texte qui portera le plus à conséquence. Même si la longueur du texte peut varier considérablement d'une nouvelle à une autre, de 30 à 100 pages par exemple, la nouvelle et le conte sont tout de même considérés, selon les conventions littéraires, comme des formes brèves. Par contre, pour être publiés dans les journaux, contes et nouvelles doivent s'adapter à l'espace qui leur est attribué et qui, très souvent, se résume en deux colonnes ou deux colonnes et demie. La forme brève de la nouvelle emploiera nécessairement quelques stratégies pour transmettre son message

malgré le manque d'espace. Florence Goyet, dans une étude sur la nouvelle au XIXe siècle, énonce quelques moyens importants pour arriver à cette brièveté. Tout d'abord, il y a l'emploi d'un matériau préformé, préfabriqué, c'est-à-dire l'usage d'éléments stéréotypés que le lecteur reconnaît aisément. L'emploi de stéréotypes devient rapidement monnaie courante au XIXe siècle, et Maupassant en fait une grande utilisation. Ruth Amossy, qui a fait une excellente étude sur le sujet, explique que le stéréotype est une image, un concept déterminé, que nous portons en nous. Tout être humain vivant dans une société affronte la réalité l'esprit « meublé de représentations collectives269 » et c'est ainsi qu'il fait « signifier le monde ». Toute une conception du monde vient automatiquement à l'esprit des gens lorsqu'il est question de catégories précises de gens, les stéréotypes qui circulent dans une société : la blonde plantureuse, le juif, les ouvriers, etc. Lorsque l'écrivain ou le journaliste décrit un personnage ou un type social, il utilise une image déjà connue du lecteur. Amossy explique à ce propos :

Le texte se trouve refaçonnée selon les impératifs d'un modèle préfabriqué, extérieur au récit et enregistré de façon plus ou moins distincte par la mémoire culturelle du récepteur. Le déchiffrement privilégie tous les constituants de la description qui correspondent aux cases du schéma préexistant. Ce faisant, il découpe, élague et efface. Toutes les nuances qui ne sont pas immédiatement pertinentes sont gommées. Toutes les variantes sont réduites et réinsérées bon gré mal gré dans le moule initial. Ainsi, le nez en obélisque : il y a selon le dictionnaire des nez aquilins, busqués, crochus, en bec d'aigle - il n'existe pas de nez en obélisque, sinon que les connotations de longueur et d'orientalité propres à l'obélisque permettent d'y retrouver fallacieusement un nez juif. Le déchiffrement

271 récupère au maximum les différences, réduisant tout au déjà-vu et au déjà-connu.

Stéréotype, d'ailleurs, vient de stereotypic C'est un moyen mécanique de reproduire à l'infini un objet imprimé à partir d'un modèle d'origine : « C'est le produit standardisé qui est à la clé de la diffusion et de la consommation de masse. Il règle l'échange en ouvrant l'ère des grands tirages.272 » Avec l'espace restreint qu'offrent les journaux et le peu de temps que la publication quotidienne alloue aux journalistes et aux écrivains, ces derniers doivent couper au plus court et emprunter des chemins déjà tracés. Maupassant n'y

269 , ,

Ruth Amossy, Les idées reçues : sémiologie du stéréotype, Paris, Editions Nathan, coll. Le texte à l'œuvre, 1991, p. 9.

Idem.

271 lbid.,p. 22. 2 1 2 lbid., p. 25.

échappe pas. Les personnages-types se retrouvent à peu près partout dans son écriture

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