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L’étude de caractérisation de la spécificité d'hôte des populations françaises d' A.euteiches entreprise dans ce chapitre reposait sur deux alternatives :

- le pois est l’hôte préférentiel d'une population en fait polyphage,

- plusieurs sous-populations coexistent dans les sols français, et la culture intensive du pois a sélectionné l’une de ces sous-populations aux dépens des autres.

Dans la première partie de cette étude, il a été démontré que les isolats issus de pois possèdent une polyphagie potentielle plus ou moins étendue, et ce quelle que soit leur origine géographique (France ou autres continents). Parmi les isolats français, ont ainsi été mis en évidence des individus peu agressifs et spécialisés, mais surtout une majorité d'isolats agressifs sur pois, vesce et luzerne.

Dans la seconde partie, réalisée à l'échelle parcellaire, nous avons montré que plusieurs Légumineuses autres que le pois peuvent piéger A.euteiches dans des sols de culture français, en conditions naturelles (lentille) ou semi-contrôlées (luzerne, féverole et haricot), mais que les isolats ont tous un phénotype très proche, préférentiellement pathogène sur pois mais non spécialisé sur cette espèce.

Ces deux constats sont assez nouveaux en Europe continentale. Les rares études portant sur la spécialisation pathogène des populations européennes d'A.euteiches, en Hollande (Oyarzun et

al., 1993) et Danemark (Knudsen et al., 2001), ont en effet montré l'absence d'attaque sur

d'autres cultures que le pois, et surtout l’incapacité des isolats issus de pois à infecter la féverole et le haricot (Oyarzun et al., 1993). Ces deux auteurs n'ont toutefois inoculé ni la vesce commune, ni la luzerne. D'autre part, leurs tests de pouvoir pathogène ont utilisé un inoculum à base d'oospores, et non de zoospores comme dans notre étude et dans les travaux américains. La spécificité d'hôte se joue-t-elle sur la germination des oospores, comme tendent à le montrer les résultats de Shang et al. (2000) ?

Nous avons par ailleurs constaté que les isolats issus de pois étaient aussi d’une agressivité moyenne à forte sur vesce et sur luzerne. L'agressivité sur pois est de plus corrélée à l'agressivité sur vesce et sur luzerne. En revanche, peu d'isolats se sont montrés pathogènes à la fois sur pois et sur haricot, et aucun n'est apparu très agressif sur les deux espèces. Ceci

amène à s’interroger sur l’existence d’une relation entre proximité taxonomique et sensibilité des hôtes, comme cela a été observé dans d'autres pathosystèmes.

Chez Phytophthora megasperma notamment, les relations taxonomiques entre les espèces semblent être liées à la distance taxonomique entre leurs hôtes respectifs : les sous-espèces les plus proches sont spécifiques de la luzerne et du trèfle, alors que celle spécifique du soja est plus éloignée (Hansen, 1987). D'autres exemples de coévolution de champignons pathogènes et de leurs plantes hôtes ont été identifiés, comme certaines variétés de rouille (la Rouille du blé par exemple) et leurs hôtes chez les Graminées (Anikster & Wahl, 1979). Dans notre étude, le pois et le haricot sont des membres assez distants dans la sous-famille des

Papilionoideae (tribus des Vicieae pour le pois, des Phaseoleae pour le haricot), et ont des

centres d'origine très éloignés (Asie Mineure et Amérique du Sud, respectivement). En revanche, pois et vesce appartiennent à la même tribu (Vicieae) et ont le même centre d'origine (Heywood, 1996). Des facteurs communs pourraient donc être impliqués dans la pathogénicité d’ A.euteiches sur ces deux dernières espèces.

Cependant, les isolats des USA et d'Australie, issus de luzerne (Vicieae) et non-pathogènes sur pois, contredisent cette idée. Cette contradiction pourrait s’expliquer par les différences de rotations culturales entre France, USA et Australie. La luzerne est en effet cultivée beaucoup plus intensivement dans ces deux derniers pays, et depuis plus longtemps, ce qui peut être à l’origine d’une adaptation des populations pathogènes locales à cette espèce, comme le suggèrent Holub et al. (1991).

Nos résultats peuvent également paraître en contradiction avec certaines données émanant du terrain : plusieurs isolats de notre collection ont montré une agressivité modérée sur féverole par exemple, alors qu'aucun dégât au champ n'a jusqu’ici été signalé en France sur cette culture. Plusieurs hypothèses, là encore, seraient à considérer : on ne peut pas exclure que d’autres cultures soient attaquées en conditions naturelles, sans que le niveau de maladie soit aussi spectaculaire que sur pois, en raison du cycle cultural notamment. Les espèces hôtes pourraient également avoir un effet différentiel sur la multiplication du pathogène et/ou sur la germination de l'inoculum primaire. Alors que les Légumineuses fourragères auraient un pouvoir de multiplication plus faible que les Légumineuses à graines (Salt & Delaney, 1986), le pois en particulier semble avoir une forte capacité à accroître le potentiel infectieux du sol, si l’on en juge à travers l’importance des dégats signalés dans des parcelles n' ayant plus porté de pois depuis 20 ans.

Ces différentes hypothèses seraient à confirmer, notamment par des inoculations comparatives d’ A. euteiches par oospores et zoospores, des essais d’agressivité en différentes conditions environnementales (température, humidité), des essais variétaux (notamment dans le cas de la féverole), et des études de dynamique de la population pathogène dans le sol en présence de différentes Légumineuses.

Enfin, les résultats de cette caractérisation ont de fortes implications agronomiques, par les suggestions qu’ils apportent en terme de raisonnement des rotations pour empêcher la multiplication de l'agent pathogène, mais aussi amener à des stratégies de lutte culturale raisonnée.

L’élaboration d'une sélection variétale efficace et durable, autre volet de la lutte, doit être accompagnée par la caractérisation de la virulence et agressivité des populations françaises d'A.euteiches sur pois, qui va faire l’objet du prochain chapitre.

Cette étude de spécificité d’hôte a également permis d’aborder certains points de l’épidémiologie du champignon, qui vont être approfondis lors de la caractérisation moléculaire présentée dans le Chapitre 3.