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Dans le document Covid-19 | Regards croisés sur la crise (Page 41-44)

Durant la pandémie de la Covid-19, les journalistes du monde entier se sont retrouvés à traiter du même sujet. À cette occasion, l’incompréhension qui existe entre les journalistes et leur public a été mise en lumière. Les contraintes de l’exercice de ce métier en général et dans cette période en particulier expliquent en partie cela.

Cette situation inédite a également mis au jour le rapport parfois complexe que les journalistes entretiennent avec la science, du fait tant de leur formation initiale que de l’organisation des rédactions. Dans ce contexte, la formation initiale des journalistes se doit d’intégrer une approche de l’information scientifique et de la quantification.

Enfin, une meilleure compréhension des journalistes et des chercheurs de leur travail réciproque permettrait une meilleure qualité de l’information.

La période traversée est inédite sur le plan journalistique. Pour la première fois, le monde entier traite, simultanément et dans la durée, de la même information, de son impact le plus local au plus global. Certes, régulièrement des événements à portée mondiale vont «  faire l’actualité  », mais avec un traitement médiatique fort différent selon le contexte socio-culturel des médias et territoires concernés. Les attentats du 11 septembre n’ont pas été traités de la même manière à New-York, au Caire, à Calcutta, à Paris ou à Riyad. Et même si l’on remonte aux guerres mondiales, les informations étaient présentées fort différemment si l’on se trouvait d’un côté ou de l’autre des belligérants, ou selon que son propre pays était impliqué ou concerné. Avec la pandémie de la Covid-19, tous les journalistes du monde se sont retrouvés à devoir couvrir la maladie et ses conséquences, ici et maintenant, étape après étape, du déni du début à la deuxième vague, et au-delà. Mais plus encore, toute l’actualité a été vue au travers du prisme de la Covid-19. Qu’elle soit générale, politique, internationale, économique et même culturelle ou sportive, chaque information a été traitée à cette aune-là. Une sorte d’actualité mono sujet, contraignant de fait tout journaliste, quel que soit son domaine de compétence ou sa spécialisation, à traiter de la maladie, et donc à s’intéresser à la science.

Vu du côté des publics, un triple confinement a été vécu. Celui face au virus, cause de doute, d’angoisse et d’interrogations. Celui face aux médias  :  les journaux télévisés se sont prolongés et les médias classiques et en ligne ont connu des audiences jamais égalées. Enfin le confinement face à la science, car probablement jamais l’information scientifique n’a été autant présente que durant cette période. Et ce triple confinement, les journalistes, comme les autres citoyens, l’ont vécu tout en étant les acteurs de sa retranscription. La période aura particulièrement mis au jour ce que le sociologue des médias Jean-Marie Charon appelle « le grand malentendu », c’est-à-dire la différence entre les attentes des publics et ce que les médias et les journalistes sont en mesure d’offrir, créant ainsi une fracture entre les deux. Cette crise de confiance entre les Français et leurs médias qui s’érode progressivement, est mesurée chaque année depuis 1987 par un baromètre publié par le quotidien La Croix. Et si ce malentendu s’explique pour partie par la réalité de ce qu’est la réalité du métier de journaliste, et pour beaucoup par le cadre d’exercice de celui-ci dans les entreprises médiatiques, la période extraordinaire traversée nous livre quelques clés qui pourraient permettre, si ce n’est de combler ce fossé, de construire des ponts de compréhension.

S’il peut être complexe de définir le métier de journaliste, on peut s’accorder sur trois moments essentiels : la collecte, la vérification, et la mise en forme de l’information. C’est sur ces trois piliers que se construit l’acte journalistique, quel que soit le média concerné. La période écoulée, celle du confinement, a rendu particulièrement complexe les deux premiers, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait semblables. En ce qui concerne la collecte de l’information, le métier de journaliste est d’aller sur le terrain, voir ce qui s’y passe, et le rapporter en restant le plus fidèle possible aux faits. Pour des raisons, qu’elles soient d’autorisation ou de protection sanitaire, cette première étape indispensable a été gravement obérée. L’étape de la vérification de

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l’information a, elle, été rendue particulièrement complexe, par la nature même des informations qui étaient à traiter.

Les journalistes n’ont pas, pour la plupart d’entre eux, de formation scientifique. Leur cursus initial, avant l’école de journalisme, est très souvent en sciences humaines ou sociales. Là, tous ont eu à affronter des données, des projections, de la modélisation, en se frottant à une difficulté complémentaire : celle de l’inconnu et de l’incertain, terrain sur lequel le journaliste n’est guère à l’aise. Dans sa méthode, il se pose et pose des questions, auxquelles il recherche une réponse à apporter, avec comme implacable juge de paix, le jour et l’heure où il doit rendre son travail. Le temps des médias n’est pas celui de la science ni de la connaissance. Il n’est pas non plus celui de la recherche, d’où ici une confusion complémentaire. Car pour celui dont le métier est d’être au plus près des faits, il n’est pas toujours aisé de comprendre que le résultat d’une recherche n’est pas encore de la connaissance stabilisée, mais de la science en train de se faire. C’est ce qui a amené à ces débordements où l’on a donné la parole à des experts plus habiles à comprendre et exploiter les failles de l’urgence du traitement médiatique que le sujet dont ils étaient censés être les spécialistes. Ceci pose aussi la question de qui a pris la parole au nom de la science  :  de nombreux experts se sont exprimés à titre individuel, et des institutions comme l’Académie des sciences, l’Ordre des médecins, voire l’Inserm ou le CNRS et même, dans une moindre mesure, l’OMS, n’ont pas réussi à s’imposer comme porteurs d’une parole collective.

Certes, il existe bien des journalistes scientifiques, mais ils sont peu nombreux. Leur association professionnelle compte 300 membres, quand il y a 34 500 cartes de presse en France. Pour eux, le début de la pandémie a été une sorte de parenthèse enchantée. Il existe une hiérarchie entre les services des rédactions avec au sommet l’information politique. Le service des sciences est rarement le premier à s’exprimer lors des conférences de rédaction. Là, au moins au début, ce sont vers ces journalistes, lorsque la rédaction disposait de ces ressources, que l’on s’est tourné. Dans d’autres rédactions, des journalistes sont venus renforcer, ou constituer, les service sciences et santé, mais souvent sans expertise réelle sur le sujet.

Enfin, parmi les reproches contradictoires que l’on a pu lire sur le traitement médiatique de la période, celui de porter une parole trop anxiogène ou, à l’inverse, d’être trop optimiste et de cacher la réalité. Écartèlement entre journalisme à sensation et journalisme de bonnes nouvelles. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le rôle du journaliste n’est pas de paniquer ni de rassurer, mais d’informer. Cela ne signifie nullement qu’il se désintéresse des conséquences de ce qu’il va publier. Il en a évidemment parfaitement conscience. Lorsqu’il dispose d’une information irréfutable, prouvée et corroborée, c’est lui qui décide de publier ou non, en fonction de ce qu’il estime être du droit supérieur du public à être informé.

QUE RETIRER DE CETTE PÉRIODE POUR L’ENSEIGNEMENT DU JOURNALISME ?

Après plus de vingt années passées dans une école de journalisme, je suis toujours aussi frappé par le sentiment d’incompétence qu’étudiants et étudiantes expriment lorsque l’on aborde les questions scientifiques ou même liées à la quantification. C’est tout à fait surprenant, et nous renvoie sans doute à la place des sciences dans la formation antérieure des élèves, collégiens et lycéens. Je n’ai jamais vu un étudiant dire « la politique, je n’y comprends rien » ou «  je ne suis pas très bon en orthographe, mais ce n’est pas très grave  » ou encore « l’actualité internationale ne m’intéresse pas ». Mais en revanche, l’élève journaliste dira très tranquillement « les chiffres ? J’ai toujours été nul en maths », « l’économie, c’est très technique » ou encore « la science, c’est très

Pascal Guénée

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compliqué ». En réalité, ils sont plus compétents qu’ils ne le pensent. L’épreuve du concours d’entrée qu’ils redoutent le plus est celle de réflexion logique, qu’ils perçoivent comme complexe et mathématisée. Pourtant, ils la réussissent en moyenne mieux que celle de maîtrise de la langue française. C’est en cela qu’il me semble que l’on pourrait presque parler d’un sentiment d’auto-inefficacité, assez profondément ancré. Se retrouver donc à devoir analyser, comprendre des données, lire des papiers scientifiques en étant persuadé que l’on ne va rien y comprendre, ne simplifie évidemment pas les choses.

La clé est sans doute de développer la culture scientifique des futurs journalistes, comme nous le faisons à IPJ Dauphine avec une spécialisation «  journalisme science, santé et environnement  », qui a d’ailleurs connu un succès jamais égalé cette année, en multipliant par trois le nombre d’inscrits. Mais pas seulement. Depuis plusieurs années, les étudiants en journalisme partagent un cours en M1 et en M2 avec les étudiants de MIDO, le département de mathématiques et d’informatique de la décision de Dauphine-PSL. Le but est d’amener ces étudiants aux parcours très différents à travailler ensemble sur des projets d’enquête journalistique basés sur de l’analyse des données, ce que l’on appelle data journalisme. L’effet est bénéfique sur les deux populations. Il permet aux futurs journalistes de comprendre comment rechercher l’appui dont ils pourront avoir besoin lorsqu’ils auront à traiter de données scientifiques. Et du côté des étudiants en mathématiques, c’est une manière de comprendre l’environnement de contraintes dans lequel les journalistes évoluent. Utiles pour eux, autant comme citoyens que comme futurs professionnels.

Il me semble que chercheurs et journalistes tireraient le meilleur profit de s’inspirer de ce type d’expérience collaborative. Il est important pour les journalistes de comprendre ce qu’est le travail d’un chercheur, afin d’être capable de faire la différence entre le spécialiste et l’imposteur. Tout autant qu’il est important pour le chercheur de comprendre les contraintes du travail journalistique afin de pouvoir partager au mieux avec lui son savoir, ses résultats de recherche et son expertise. Une collaboration féconde pour un intérêt supérieur : celui de l’information la plus juste possible des publics.

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