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Introduction

Dans le document Sismondi et le romantisme économique (Page 7-10)

De nos jours, face au dérèglement climatique, le productivisme au centre du système capitaliste est questionné et commence à être remis en cause, tout comme le concept de croissance, objectif fondamental voire vital de nos économies modernes. Entre le début et le milieu du 19ème siècle déjà, les principaux économistes regardaient avec attention la croissance, sa nature et les conditions de sa reproduction. Ainsi, David Ricardo craignait au vu de ses analyses qu’elle soit condamnée à stagner, tandis que John Stuart Mill proposait une forte critique morale de la croissance, ne pouvant accepter qu’elle devienne l’unique objectif guidant les hommes. Dans ce contexte, Sismondi, qui écrivit du début des années 1800 jusqu’à la moitié du siècle, plaçait au cœur de son analyse l’industrialisme, générateur d’une capacité de production inédite dans l’histoire. Etudiant de manière critique ce phénomène défendu par la majorité des économistes, en particulier les économistes classiques, il se déplaça par là même vers une position hétérodoxe vis-à-vis de ces derniers et devint une référence pour les adversaires de la révolution industrielle capitaliste. Mais c’est particulièrement, quand il dissocie accroissement des richesses et bonheur de la population, qu’on peut voir en lui, un annonciateur des mouvements critiques actuels vis-à-vis de la croissance. En effet, devant les ravages sociaux engendrés par l’industrialisme conjugués à une concurrence universelle, Sismondi par son analyse démontre l’existence de crises de surproduction durables, affirmant ainsi que l’accroissement de la production, donc des richesses et des biens matériels, peut paradoxalement ou de manière contradictoire, quand elle est hors de contrôle, aller de pair, avec une extension de la pauvreté. Il est par là même l’un des premiers à esquisser certaines contradictions du capitalisme industriel, ainsi que, ce que l’on nomme de nos jours, les externalités sociales négatives engendrées par ce dernier.

Il est difficile de ne pas s’interroger sur les influences qui ont pu être à l’origine d’un tel positionnement minoritaire et hétérodoxe, surtout vis-à-vis des économistes les plus influents de l’époque, en particulier J-B. Say et David Ricardo. On peut y voir, comme Pascal Bridel, l’influence de la théorie des sentiments moraux dans la lignée d’Adam Smith et de Condorcet, ou l’héritage de la felicita pubblica de l’économie politique italienne.1 Tout en pensant qu’il est indéniable et logique que les influences furent multiples, un autre courant, surtout philosophique et littéraire, qui naît en réaction à la civilisation capitaliste industrielle a pu aussi fortement influencer la pensée économique de Sismondi : le romantisme. En effet, le

1 Bridel, Théorie économique et philosophie politique : quelques réflexions préliminaires sur la réédition de l'œuvre scientifique de Sismondi, 2009

courant romantique, composé tant de poètes et d’écrivains, que de sociologues, de philosophes et d’économistes, couvrant tout le spectre politique, est à l’origine, avant le marxisme, de la première critique majeure contre le système capitalisme. La critique sismondienne du capitalisme semble s’inscrire dans la critique romantique qui vise ce même système, par ses résonnances avec certains penseurs romantiques, comme Jean de Müller au niveau historique, Adam Müller au niveau de la conception de l’économie2, Max Weber sur les effets du capitalisme sur l’homme ou encore Walter Benjamin concernant le risque d’un progrès technique menant à l’abîme3. Enfin Sismondi est reconnu comme un romantique en littérature, considéré selon Duipuigrenet-Desroussilles comme « l’un des pères du romantisme » parmi les littéraires4, pour avoir par le biais de son œuvre, De la Littérature du Midi de l’Europe, ouvert « aux romantiques l’Espagne, l’Italie et le Moyen-âge français »5. Nous chercherons ainsi à déterminer si Sismondi est un économiste romantique, autrement dit, si sa pensée a été influencée par le romantisme.

1.1. Questions de recherche

Partant du présupposé que la pensée économique de Sismondi a pu être influencée par le romantisme et étant donné que l’articulation entre romantisme et économie a très peu été étudiée6, mes questions de recherche sont les suivantes :

- Comment cette influence romantique prend-elle forme dans la pensée économique de Sismondi ?

- Quels sont les apports et les limites de cette influence romantique sur sa pensée économique ?

Dans une première partie, nous analyserons les fondements théoriques de la pensée économique de Sismondi, en étudiant sa conception des sciences et de l’économie et ses aspects romantiques, puis la singularité de son économie politique avec l’importance qu’il

2 Les seuls économistes qualifiés de romantiques sont Sismondi, Adam Müller et plus rarement Thomas Malthus. Une proximité existe entre Sismondi et Adam Müller dans leurs conceptions romantiques d’une économie qui doit prendre en compte les incertitudes de la vie, mais leurs pensées économiques diffèrent sur le reste, celle d’Adam Müller étant plus conservatrice et surtout plus nationaliste.

3 Une vision très proche de la course au progrès technique et productif se retrouve tant chez Walter Benjamin qui invoque l’image d’un train que les révolutions arrêtent en tirant sur le frein d’urgence (Löwy, Walter Benjamin, précurseur de l’écosocialisme, In Cahiers d’Histoire, p. 33 à 39) que chez Sismondi qui lui a recours à l’image d’un « char social, qui dans sa course accélérée, nous paraît se précipiter vers l’abîme. » Etudes sur les sciences sociales, p. 632

4 Dupuigrenet-Desroussilles, Sismondi ou le libéralisme héroïque (*), 1976, p. 1326

5 Ibid., p. 1326

6 Seuls l’ouvrage de Richard Bronk, The Romantic Economist (2009) et l’article de Patrice Baubeau et Alexandre Perraud Lecture romantique de l’économie, lectures de l’économie romantique : Balzac et Sismondi (2015), analysent une telle articulation entre économie et romantisme.

accorde au bonheur. Nous continuerons et achèverons cette deuxième partie en abordant sa relation avec le groupe de Coppet et sa position singulière et médiane dans le débat entre pensée romantique du groupe de Coppet et utilitarisme. La deuxième partie sera consacrée à étudier son historicisme, méthode au cœur de sa pensée économique, qui constitue une réponse de la pensée du concret romantique à l’abstraction rationaliste de l’école classique.

Finalement, une troisième partie analysera les influences du romantisme sur sa pensée économique, d’abord à travers sa vision de la féodalité comme référence, puis par l’étude des thèmes qui façonnent et structurent sa pensée économique, et enfin à travers l’examen de la critique qu’il porte sur la dissolution des liens sociaux et sur les transformations capitalistes des rapports sociaux de propriété, critiques communes aux romantiques.

Dans le document Sismondi et le romantisme économique (Page 7-10)