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Historicisme, conversion et critique des principes libéraux et du capitalisme industriel 43

Dans le document Sismondi et le romantisme économique (Page 44-48)

5. Historicisme comme méthode romantique

5.4. Historicisme, conversion et critique des principes libéraux et du capitalisme industriel 43

Son historicisme explique, selon une analyse pertinente de Jean-Jacques Gislain que nous partageons, la conversion de Sismondi vis-à-vis des principes phares du libéralisme et sa critique du capitalisme industriel émergeant. Autrement dit c’est le Sismondi historien, qui est à l’origine du Sismondi, économiste hétérodoxe.

En effet, influencé par ses recherches historiques qui reconfigurent sa vision et pratique de l’économie, Sismondi, pense maintenant les faits économiques comme des faits historiques, auxquels il applique la même méthode d’expérimentation historique ; « les principes de la philosophie rationnelle, et en particulier les principes de l’économie politique

122 Sismondi, Nouveaux principes en économie politique, p. 547

123 « Je sens que le sentiment religieux doit être un objet spécial des études sur les sciences sociales. » Sismondi, Epistolario (vol. IV), p. 165, lettre à Barbieri, 1837.

n’ont de valeur que si ces principes correspondent effectivement à la réalité des faits historiques observés. »124.

Ainsi pour Sismondi, le capitalisme industriel ne représente pas l’ultime phase du progrès économique ou la seule voie économique, mais une phase historique, comme une autre. Une phase historique dans laquelle les faits se révèlent être « rebelles aux principes »125 du courant économique dominant qu’il avait auparavant fait sien. En effet les principes et la réalité observée se disjoignent, le principe de la concurrence illimitée et de la poursuite de son intérêt ne se révélant pas être à l’origine d’un enrichissement général de la population mais générateur d’un appauvrissement d’une partie de la population et d’une précarisation du statut des travailleurs. Mais plus encore, ce sont ces mêmes principes qui sont responsables pour Sismondi des faits économiques désormais considérés comme historiques, car ils les ont générés. Les faits économiques « sont marqués de l’empreinte d’un complexe d’institutions économiques historiquement daté, tout comme les principes d’une certaine économie politique qui les ont justifiées sinon suscitées »126. Par conséquent, ce système économique qui s’est développé et se développe sous l’égide des principes de la concurrence et de la propriété illimitées ainsi que de la poursuite de son intérêt, se révèle être un échec en tant qu’expérience historique, au même titre que purent l’être certaines expériences des républiques italiennes du Moyen-Age. Cet échec signifie dans le même temps, l’incapacité des principes de l’économie classique d’obédience smithienne non seulement à expliquer la réalité historique, mais aussi à énoncer des « principes prescriptifs d’une économie de bien-être »127.

Dans ce sens, Sismondi concevant le caractère historique du capitalisme industriel, ce système économique devient réformable à ses yeux. Même plus que réformable, ce système économique constituant un échec en tant qu’expérience historique, doit être réformé.

De plus, le relativisme inhérent à son historicisme, serait aussi une explication à la sensibilité réformatrice de Sismondi. Le caractère relatif des lois, des systèmes juridiques, économiques et politiques, constitue en autre argument en faveur du réformisme, car si « les lois sont relatives, on peut les modifier. »128. D’ailleurs ce relativisme expliquerait en partie, selon Ahmed Sylla, la tendance interventionniste des économistes de l’Ecole historique

124 Gislain, La conversion de Sismondi, 2013, p. 118

125 « Depuis plus de quinze ans que j’avais écrit sur la Richesse commerciale, j’avais très peu lu de livres d’économie politique, mais je n’avais cessé d’étudier les faits. Quelques-uns m’avaient paru rebelles aux principes que j’avais adoptés. » (Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique (vol. V), 2016, p. 14)

126 Gislain, La conversion de Sismondi, 2013, p. 118

127 Gislain, La conversion de Sismondi, 2013, p. 118-119

128 Silem, Histoire de l’analyse économique, 2005

allemande. L’historicisme de Sismondi, constituerait donc une explication partielle, une justification intellectuelle à son réformisme.

En effet, si dans un premier temps, Sismondi commence donc par créer et développer, en partie grâce à l’historicisme, une économie politique fondée sur de « nouveaux principes » capable de mieux appréhender et expliquer la réalité des faits économiques, c’est pour que dans un second temps, de meilleures réformes politiques puissent être élaborées à la lumière de ces nouveaux principes économiques et mises en place afin d’améliorer le bien-être de la population.

5.5. Historicisme et romantisme

Un rappel est nécessaire pour dégager clairement les liens et interactions entre historicisme et romantisme dans la pensée économique de Sismondi, qui ont été traités de manière sous-jacente, enchevêtrés à d’autres développements jusqu’ici. Nous relevons seulement les interactions entre historicisme et romantisme ayant lieu chez Sismondi.

Historicisme et romantisme se rejoignent principalement en quatre points dans la pensée de Sismondi :

1. Dans un même mouvement, une même réaction contre l’anhistoricité, le rationalisme abstrait et l’universalisme abstrait.

2. Dans une recherche du concret et dans un besoin de contextualisation commun. Alors que ce besoin est d’ordre philosophique, existentiel, politique chez les philosophes romantiques, l’individu étant constitutif de son contexte historique, social, politique et culturel, il se traduit en méthode historique chez les historicistes. Ce besoin de contextualisation est central dans sa conception de l’économie et sa méthode historiciste répond à ce besoin.

3. Dans une forme de relativisme historique, qui est modéré chez Sismondi comme nous l’avons vu. Umberto Mazzei considère que le relativisme est une racine commune de l’historicisme et du romantisme.129

4. La transversalité, le caractère interdisciplinaire de son historicisme, que l’on retrouve naturellement dans ses recherches historiques mais aussi dans ses recherches littéraires et portant sur le fait religieux, en fait à nos yeux un médium à travers lequel le romantisme transmet son influence sur sa pensée économique.

129 Mazzei Sismondi and the historicist School, 2016

Par conséquent, l’historicisme constitue la réponse d’inspiration romantique sous forme de méthode à l’abstraction rationaliste, permettant des analyses les plus contextualisées au niveau historique.

6. Les influences du romantisme sur la pensée économique de Sismondi

Dans le document Sismondi et le romantisme économique (Page 44-48)