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Partie II : Les risques d’établissement d’espèces destinées à l’aquaculture sur le territoire français

A. Introduction

Les poissons sont une source importante de protéines dans le monde, mais les stocks disponibles sont en déclin suite à la destruction des habitats, à l’introduction d’espèces non- natives, à la pollution et à la surexploitation (Millennium Ecosystem Assessment 2005). Si les premières réglementations contraignantes visant à limiter la surexploitation sont apparues dès le début des années 70, avec entre autre les quotas de pêche à l’anchois, elles ont porté quasi- exclusivement sur les espèces marines. Ce n’est que depuis le début des années 2000 que la situation des eaux douces fait l’objet d’études à large échelle. Ces études ont mis en évidence que les milieux d’eau douce devaient eux aussi faire face à une pression de pêche croissante dans les pays en développement, avec une augmentation depuis 50 ans d’environ 3% par an des quantités prélevées (Allan et al. 2005). Dans les pays développés, la tendance est inverse, les pêches commerciales étant progressivement remplacées par des pêches de loisir. La différence entre pays développés et pays en développement est également notable pour l’aquaculture. Si la production mondiale annuelle a plus que triplé ces vingt dernières années (source : FAO 2010), la production européenne est à la baisse depuis 10 ans (source : Eurostat). La demande se fait donc de plus en plus pressante de la part des aquaculteurs pour obtenir l’autorisation d’introduire sur le territoire européen de nouvelles espèces, choisies en particulier pour leur croissance rapide. Mais l’aquaculture est une source majeure d’espèces invasives (Casal 2006), avec généralement une pression de propagule élevée, ce qui favorise le processus d’établissement (Ruesink 2005). Il est donc crucial d’évaluer le risque d’établissement potentiel des espèces faisant l’objet d’une demande d’introduction pour l’aquaculture, non seulement dans les conditions actuelles mais aussi en tenant compte des conditions climatiques futures prédites par les différents modèles climatiques pour les différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre.

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Le règlement européen (nº 708/2007) relatif à l'utilisation en aquaculture des espèces non natives liste un certain nombre d’espèces pouvant être introduites sans étude d’impact préalable, sauf si certains états membres souhaitent restreindre l’usage de ces espèces sur leur territoire. Il concerne en particulier les carpes asiatiques (Ctenopharyntgodon idella,

Hypophthalmichthys molitrix,Hypophthalmichthys nobilis), autorisées à l’introduction en eau

close en France jusqu’en 2006, en particulier pour le contrôle de la prolifération des végétaux dans les bassins d’aquaculture. Leur reproduction en milieu naturel, qui nécessite des conditions hydrologiques particulières et des températures élevées (Shireman and Smith 1983), n’a pas été observée sur le territoire français jusqu’à ce jour mais le réchauffement climatique pourrait favoriser l’établissement de ces espèces. Le règlement concerne aussi l’achigan à grande bouche ou black-bass (Micropterus salmoides). Cette dernière espèce, originaire du continent nord américain, est un prédateur vorace qui impacte fortement les écosystèmes receveurs (Shelton et al. 2008; Weyl et al. 2010). Elle a été très largement introduite pour la pêche sportive et est maintenant établie en de nombreux points du territoire français.

Les demandes d’introduction pour l’aquaculture portent également sur deux espèces de Tilapia (originaires d’Afrique) : Oreochromis mossambicus et Oreochromis niloticus. Leur élevage se ferait surtout, au moins dans un premier temps, dans les DOM, dont les conditions climatiques sont proches de celles de leur aire native. L’un d’eux, Oreochromis mossambicus, est d’ailleurs déjà présent dans certains des départements d’Outre Mer (source : ISSG (IUCN)). Deux espèces de Siluridés, l’une américaine (Ictalurus punctatus), l’autre africaine (Clarias gariepinus), sont également concernées.

L’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA) est un organisme public chargé de l’étude et de la surveillance de l’état des eaux et du fonctionnement des écosystèmes dulçaquicoles dans le but de favoriser une gestion globale et durable de la

Les risques d’établissement sur le territoire français

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ressource en eau et des écosystèmes aquatiques. Dans le cadre de son rôle de gestion durable des milieux aquatiques continentaux, l’ONEMA a souhaité connaître les risques d’établissement de cinq espèces (Tableau 2) faisant l’objet de demandes d’introductions pour l’aquaculture ainsi que de Micropterus salmoides, déjà présent en France et concerné par la circulaire européenne n° 708/2007. L’ONEMA effectuant un suivi régulier des populations piscicoles du réseau français en organisant des campagnes de pêche électrique, on dispose de plus de 150 occurrences de Micropterus salmoides en France métropolitaine. L’étude de cette espèce présente donc un double intérêt :

• prédiction des zones potentielles d’établissement en dehors de l’aire déjà colonisée et sous l’effet du changement climatique ;

• comparaison de la distribution prédite par les modèles construits sur l’aire native avec la distribution observée pour évaluer la qualité des modèles et mettre en évidence un éventuel changement de niche.

Tableau 2 : Espèces étudiées dans le cadre du projet INVAQUA, raisons de leur introduction sur le territoire français et

nombre d’occurrences utilisées dans la construction des modèles.

Espèce Ordre Nom commun Continent Intérêt Occurrences

Micropterus salmoides Perciforme

Achigan à grande bouche Amérique du nord Pêche sportive, aquaculture 386 (USA) 152 (France)

Ictalurus punctatus Siluriforme Barbue d’Amérique

Amérique

du nord Aquaculture 200

Clarias gariepinus Siluriforme Poisson chat

africain Afrique Aquaculture 129

Oreochromis mossambicus Cichlidé Tilapia du

Mozambique Afrique Aquaculture 143

Oreochromis niloticus Cichlidé Tilapia du Nil Afrique Aquaculture 75

Ctenopharyngodon idella Cyprinidés Amour blanc Asie Aquaculture,

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Dans le but d’évaluer les risques d’établissement de ces six espèces, l’ONEMA a mis en place le programme INVAQUA (INVAsion des milieux AQUAtiques) en collaboration avec le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et le laboratoire Evolution et Diversité Biologique de Toulouse. Dans ce cadre, nous avons été chargés d’établir les cartes de distribution potentielles des espèces d’intérêt pour la période actuelle et sous l’effet du changement climatique en France métropolitaine et dans les DOM.