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Partie II : Les risques d’établissement d’espèces destinées à l’aquaculture sur le territoire français

D. Discussion

La prévention est la méthode de lutte contre les espèces invasives la plus efficace et la moins onéreuse (Moyle and Light 1996; Simberloff and Stiling 1996). Elle passe entre autres par la connaissance de la niche climatique de l’espèce. Les modèles corrélatifs, s’ils permettent d’évaluer la niche climatique de l’espèce à partir de simples données d’occurrence, sont dépendants de la qualité des données ( Lobo et al. 2007; Hortal et al. 2008; Lobo et al. 2010) et du choix des variables climatiques utilisées (e.g. Warren and Seifert 2011). La connaissance d’occurrences de Micropterus salmoides en France nous a permis de tester la qualité des modèles sur des données totalement indépendantes de celles de la base de calibration. Nous avons pu montrer qu’au moins pour cette espèce, les données d’occurrence disponibles dans l’aire native permettaient de prédire les zones d’établissement de l’espèce déjà observées en France métropolitaine.

La comparaison des distributions obtenues en se basant sur les occurrences soit de l’aire native, soit de l’aire exotique (Hill et al. 2012) confirme que M. salmoides n’a pas changé de niche lors de son introduction en France. Les zones françaises prédites avec un risque plus élevé par la base française que par la base américaine s’expliquent par une répartition différente des occurrences le long du gradient amont-aval. En effet, si dans son aire native l’espèce vit préférentiellement dans les zones amont, les occurrences sont beaucoup plus uniformément réparties entre zone amont et zone médiane dans les rivières françaises. Le modèle basé sur les occurrences françaises a donc tendance à prédire des risques plus élevés dans les zones médianes du bassin de la Loire et de la Seine. On note cependant que la niche occupée par l’espèce en France ne correspond probablement qu’à une faible portion de la niche potentielle de l’espèce. En effet, l’utilisation des occurrences françaises ne permet de retrouver qu’une faible fraction de la distribution américaine de l’espèce, les niveaux de

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prédiction les plus élevés étant observés hors de la zone de distribution native de l’espèce. Cette très mauvaise qualité des projections sur le continent américain s’explique surtout par le fait que les conditions environnementales rencontrées en France ne sont pas représentatives de l’ensemble des conditions rencontrées dans les sites américains. Les données françaises permettent donc de retrouver la distribution en France mais pas d’extrapoler à des zones dont les conditions environnementales sont très différentes.

Pour les autres espèces, il n’existe malheureusement pas d’autre possibilité pour tester la pertinence des modèles que d’évaluer la qualité des prédictions sur la base de test géographiquement corrélée à celle d’apprentissage. Or on sait que, suivant les espèces, les modèles basés uniquement sur l’aire native sont plus ou moins efficaces pour prédire la distribution de l’espèce dans l’aire exotique (Beaumont et al. 2009). Nos résultats doivent donc être pris avec précaution. Les modèles (de qualité parfois réduite) prédisent l’absence d’Oreochromis niloticus de France métropolitaine aussi bien dans les conditions actuelles que sous l’effet du changement climatique. Cependant la présence de l’espèce a déjà été observée en Italie, non seulement dans des rivières thermales, à la température naturellement élevée (Bianco and Turin 2010), mais aussi dans une lagune (Scordella et al. 2003). Il semble donc envisageable que cette espèce, profitant du réchauffement des eaux, puisse coloniser les rivières françaises les plus chaudes en particulier en 2080 dans le cas du scénario le plus pessimiste. La qualité réduite des modèles et l’absence de prédiction de l’espèce en France dans le futur s’expliquent sans doute en partie par le faible nombre d’occurrences de cette espèce (75) ainsi que par le nombre réduit d’occurrences dans la zone septentrionale de son aire de distribution, en particulier le long de la vallée du Nil.

De même, on note l’absence de prédiction de risque pour O. mossambicus en Martinique et Guadeloupe où la présence de cette espèce est pourtant avérée (source : ISSG (IUCN)) mais où son établissement est prouvé dans les lacs et retenues mais pas dans les cours d’eau. Les

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modèles prédisent l’absence de l’espèce à cause d’une pluviométrie plus abondante que dans l’aire native, ce qui semble cohérent d’un point de vue écologique, car le régime torrentiel des cours d’eau est considéré comme un rempart efficace contre l’établissement des Tilapia (Monti et al. 2010) Si l’espèce se reproduit effectivement dans les Dom, l’amélioration de la qualité des prédictions passerait par l’utilisation de données d’occurrences exotiques les plus nombreuses possibles afin de décrire au mieux l’ensemble de la niche, les distributions potentielles prédites par nos modèles ne correspondant probablement qu’à une partie de la niche climatique. Une sélection des variables climatiques espèce par espèce en fonction des caractéristiques des différentes espèces pourrait également permettre d’affiner les prédictions. Les résultats concernant les risques d’établissement sont à tempérer par des données écologiques dans le cas de C. idella. La reproduction de cette espèce nécessite en effet des conditions hydrologiques particulières : débits importants associés à des températures élevées en période de frai dans de longs segments du cours d’eau (Cudmore and Mandrak 2004). L’établissement de cette espèce semble donc peu probable sauf éventuellement dans les cours inférieurs du Rhône et de la Garonne.

Au contraire, une espèce comme M. salmoides, déjà établie en de nombreux points du territoire, ne devrait pas avoir de mal à envahir l’ensemble du territoire dans les décennies à venir, les conditions environnementales lui étant favorables presque partout. Cette espèce prédatrice qui peut se révéler très nuisible pour les écosystèmes receveurs (Shelton et al. 2008; Weyl et al. 2010) a en plus une dispersion facilitée par l’homme de par son intérêt pour la pêche sportive. On peut craindre qu’elle atteigne rapidement l’ensemble des zones favorables à sa reproduction. Il semble donc nécessaire de mettre en place des programmes d’étude pour évaluer l’impact de cette espèce sur les milieux receveurs ainsi que les mesures à mettre en place pour limiter sa dispersion et sa prolifération.

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Les trois autres espèces considérées (O. mossambicus, I. punctatus et C. gariepinus) sont susceptibles de s’installer sur une large portion du territoire métropolitain, en particulier la moitié sud et la façade Atlantique. L’introduction de ces espèces pour l’aquaculture est donc à déconseiller en vertu du principe de précaution, de même que celle d’O. niloticus sauf si des études complémentaires confirment l’incapacité de cette espèce à s’établir sur le territoire.

Cette étude a mis en évidence que :

• les modèles de distribution permettent de prédire la majorité des occurrences

actuelles de M. salmoides, montrant ainsi leur utilité dans le cadre de la lutte

contre les espèces invasives ;

• les six espèces étudiées sont susceptibles de s’établir en France (métropolitaine ou

DOM) dans les conditions actuelles ou sous l’effet du changement climatique.

Leur introduction dans le cadre de l’aquaculture est donc à déconseiller sans

étude complémentaire ;

• M. salmoides, déjà bien présent sur le territoire et pouvant potentiellement

coloniser l’ensemble de la France dans les conditions futures, devrait faire l’objet

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