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Longtemps, la perte des dents a été considérée comme une fatalité liée à l’âge. Cette édentation

« inéluctable » entraînait rapidement un préjudice fonctionnel et esthétique. Les tentatives de réhabilitation des arcades dentaires existent depuis fort longtemps. L’Egypte ancienne, le monde étrusque, romain, gallo-romain, les Maures espagnols, l’ère précolombienne nous fournissent des exemples rares mais réels de matériaux de substitution placés dans des alvéoles dentaires : ivoire, dent de bovins, bois et métaux divers… Le XIXe siècle connaitra de nombreuses tentatives (dents naturelles, divers alliages) sans grand succès. Le XXe siècle sera déterminant : le développement de la radiologie permettant l’évaluation in-vivo de l’anatomie associée à une meilleure connaissance des matériaux sera le point de départ de l’implantologie moderne. Dans les années 50, le chirurgien suédois Per-Igvar Bränemark découvre un peu par hasard lors d’une étude sur le flux sanguin à l’intérieur d’os de lapins que le titane peut se lier de manière étroite à l’os1. Cette découverte marque le commencement de l’implantologie moderne et en 1965, les premiers implants endo-osseux en forme de vis en titane sont réalisés. Depuis les années 80, la technique s’est diffusée dans le monde entier et fait ses preuves sur des milliers de patients. A l’heure actuelle les implants dentaires se sont imposés comme des éléments incontournables pour les réhabilitations des maxillaires édentés. En considérant qu’un implant est en quelque sorte une racine dentaire artificielle, les indications sont de ce fait multiples ; remplacement d’une dent unitaire (couronne), de plusieurs dents (pont) ou d’un maxillaire complet (prothèse complète sur implants), point de fixation pour divers ancrages (bouton-pression, barres, locators), etc…

Dans la pratique quotidienne de l’implantologie orale, les échecs implantaires représentent un événement rare mais extrêmement désagréable tant pour le patient que pour le praticien ; En effet, suivant le type de complication, une ré-intervention chirurgicale délicate peut-être rendue nécessaire.

D’autre part, les implants étant liés à des structures prothétiques, chaque échec engendre inévitablement des frais conséquents (honoraires de médecin-dentiste, frais de matériel, frais de laboratoire). Ainsi, l’analyse des complications liées aux implants dentaires apparait actuellement comme un élément important permettant l’évolution des systèmes implantaires et la révision des protocoles chirurgicaux et prothétiques. La compréhension des complications permet également de préciser les indications et d’améliorer le maintient à long terme des implants. En 1970, Schwartz introduit le concept d’échecs « biologiques » vs « mécaniques », faisant respectivement référence à l’organe dentaire (parodonte inclus) et aux structures prothétiques « dento-portées »2. Suivant le même

présentent des données utilisables concernant les succès/échecs implantaires3 ; il relate ainsi les différents types de complications rapportées dans la littérature :

1) Complications cliniques : Implants perdus (en fonction de la localisation, du type de prothèse, de la qualité de l’os, de la longueur des implants et du temps après insertion), complications chirurgicales, complications au niveau des tissus péri-implantaires.

2) Complications mécaniques : Fractures des implants, fractures/dévissages des vis.

Concernant les complications mécaniques, il apparaît que tous les composants de ces structures prothétiques (implants, piliers, vis de connexions) sont susceptibles de se fracturer4, 5. La littérature présente des études rapportant des taux d’échecs implantaires allant de 0.1%6 - 0.6%7 à 2.7%8 - 3.5%9. Une revue systématique démontre un taux de fracture implantaire de 0.4% à 5ans et de 1.8% à 10 ans10. Concernant les vis des connexions implants/supra-structures, il est très difficile d’obtenir des revues systématiques estimant les pourcentages d’échecs en raison de l’hétérogénéité des applications cliniques (prothèses fixes/amovible, restaurations unitaires/ponts), de la variabilité de la durée de l’évaluation clinique et de la diversité des systèmes existants. Néanmoins, une étude étendue indique une « incidence moyenne » de fracture de vis prothétiques de 4% pour les vis « simples » et de 2%

pour les vis de « piliers »11. Une étude clinique plus récente réalisée sur les composants du système Straumann indique une absence de fracture de vis prothétiques sur une période de 8 à 12 ans12.

A part lors d’événement particuliers et inattendus comme les accidents ou la mastication sur un objet très dur (plomb de chasse par exemple), il est très rare d’observer des fractures de composants implantaires prothétiques suite à un cycle masticatoire unique et intense ; la majorité des échecs mécaniques sont attribués à un processus nommé fatigue qui voit son stade ultime arriver après plusieurs années de contraintes. Une illustration classique de l'endommagement par fatigue est la consultation du patient en urgence pour une fracture "spontanée" d'une restauration prothétique après un certain nombre d'années de service. En effet, les fractures se produisent en règle générale après un très grand nombre de cycles masticatoires, ce qui laisse supposer qu’un petit défaut de surface d’un composant peut progressivement initialiser une fissure. Cette dernière, sous l’effet des contraintes répétitives imposées par la mastication, va se propager pour atteindre une taille critique conduisant inéluctablement à la fracture de la structure13. Par ailleurs, il est important d’ajouter que la mastication impose au niveau des dents des forces qui ont non seulement une composante verticale, mais aussi horizontale14, 15 (figure-1). Si l’on peut aisément imaginer que la hauteur occluso-apicale des structures prothétiques n’influence pas la résistance de ces dernières en considérant la composante verticale des forces, il en est tout autre pour la composante horizontale ; en effet, cette dernière est bien plus

préjudiciables en raison de la plus faible résistance des connexions à la tension et aux forces de cisaillement, qui elles-mêmes sont accentuées par le moment de force engendré par la hauteur occluso-apicale des structures prothétiques16, 17. En conséquence, si l’on veut créer au laboratoire une situation dynamique comparable à celle existant en bouche, le test de laboratoire doit reproduire la nature répétitive et multi-vectorielle des forces intra-orales ; les échantillons doivent être dimensionnés

« verticalement » de manière comparable aux dents naturelles.

Figure-1. Graf H, Geering AH. Rationale for clinical application of different occlusal philosophies.

(Oral Sci Rev 1977 ;10 :1-10)13. Illustration de l’incidence multi-vectorielle des forces imposées par la mastication (composantes axiales et horizontales).

Dans la 2ème moitié du XVIIIe siècle, Auguste Wöhler, ingénieur allemand spécialisé dans la fatigue des métaux, représente graphiquement le nombre de cycles menant à la rupture d’un matériau en fonction de la contrainte appliquée (courbe de Wöhler) ; en effet, suite a de nombreux accidents dans le domaine des chemins de fer qui s’étaient produits par rupture des essieux, Wöhler mit en évidence le fait que la charge de rupture cyclique d’un matériau est inférieure à sa charge de rupture statique. Le

test laboratoire introduit par Wöhler pour le développement de nouveaux alliages pour les essieux de chemins de fer permet de soumettre des échantillons à des contraintes répétitives et multi-vectorielles18. Ce test consiste à fixer un échantillon par l’une de ses extrémités, appliquer une force à l’autre extrémité, puis le mettre en rotation selon son propre axe. Cette procédure génère un champ de forces de 360 degrés en tension et en compression autour de l’échantillon, reproduisant ainsi la situation que l’on peut observer dans l’environnement dentaire. Si l’on représente graphiquement la contrainte imposée (=stress), il apparait que cette dernière a un profil « sinusoïdal » (figure-2). Ce type de dispositif expérimental a déjà été utilisé pour l’analyse de la résistance à la fatigue de structures prothétiques dentaires et implantaires19, 20 ainsi que pour celle de matériaux à base de résines composites et acryliques21. Des interfaces adhésives entre substance dentaire et biomatériaux dentaires ont également été évaluées avec cette méthode22.

Applied stress [S] one stress cycle Figure-2. Représentation graphique d’un essai en fatigue rotationnelle ; profil sinusoïdal avec alternance de forces en tension et en compression. Paramètres du stress (S) : pré-stress (Sm), Stress amplitude (Sa).

Le comportement des matériaux soumis à des forces de fatigue est traditionnellement représenté à l’aide d’un diagramme S-N (ou courbe de Wohler). Le stress (S) (=contrainte) est représenté en ordonnée, alors que l’abscisse indique le nombre de cycles subis jusqu’à la rupture du matériau (N) 23. La limite de fatigue d’un matériau se définit par le niveau de contrainte en-dessous duquel un nombre infini de cycles de fatigue peut être maintenu sans provoquer la rupture du matériau13. La figure-3 représente les courbes de fatigue pour 2 matériaux différents. Le matériau A possède une limite de fatigue bien délimitée (aplatissement de la courbe) en-dessous de laquelle le matériau résistera et sera considéré comme sûr. Le matériau B par contre ne possède pas de limite de fatigue, sa courbe de fatigue diminuant en fonction du nombre de cycles appliqués, indique une dégradation continue dans le temps. Pour obtenir ce type de diagramme, il faut en règle générale soumettre les matériaux testés à un nombre de cycles excédant les 107 ou 108 cycles.

Pour des applications telles que l’analyse du comportement des structures prothétiques dentaires soumises à des forces de fatigue où un nombre prédéterminé de cycles est escompté, la réalisation d’un diagramme S-N « complet » n’est sûrement pas l’approche la plus efficace. Afin de se concentrer sur la zone du diagramme cliniquement intéressante, il est donc préférable de définir arbitrairement un nombre précis de cycles pour lesquels la résistance à la fatigue du composant sera déterminée24. Plusieurs techniques, basées sur des données expérimentales de type « binaires » (réussite ou échec), sont indiquées pour ce type d’analyse25. Pour avoir une estimation fiable de la résistance à la fatigue, ces dernières nécessitent un nombre important d’échantillons. La « Probit (probability unit) analysis »26 est usuellement considéré comme la méthode permettant d’atteindre la plus grande précision ; malheureusement, cette dernière impose l’utilisation d’un très grand nombre d’échantillons (au-delà de 50) et un traitement numérique important. Comme alternative, la « Staircase analysis »27 est une procédure simplifiée qui consiste à tester les échantillons en série (environ 15 par configuration testée).

C’est cette dernière méthode qui a été utilisée pour notre étude.

Figure-3. Forme générale d’un diagramme S-N, où S=amplitude de contrainte (Stress) et N=nombre de cycles jusqu’à rupture. Courbe A : matériau avec limite de fatigue. Courbe B : matériau sans limite de fatigue.

Dans le cadre du développement mécanique des interfaces implants/supra-structures, le principe de cette étude est de soumettre des connexions du système implantaire Replace Select (Nobel Biocare, Göteborg, Sweden) à des forces de fatigue rotationnelle avec pour objectif de :

1) Comparer les limites d’endurance de 4 types de supra-structures (Easy Abutment, Multi-Unit Abutment, Esthetic Alumina Abutment et Esthetic Zirconia Abutment).

2) Déterminer si le mécanisme anti-rotationnel des connexions précitées participe à la résistance à la fatigue.

3) Comparer les résultats avec ceux obtenus lors d’une précédente étude portant sur des supra-structures du système implantaire Straumann28.

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