Les mod` eles avec sauts
Dans ce chapitre, on consid`ere les processus stochastiques avec sauts, c’est-`a-dire, les processus dont les tra-jectoires peuvent avoir des discontinuit´es. Cependant, on leur imposera une certaine structure: pour d´efinir la notion mˆeme d’un saut, il faut que les limites `a gauche et `a droite existent en tout point:
Xt−:= lim
s↑tXs, Xt+:= lim
s↓tXs
doivent exister pour toutt. Le saut au pointtest alors d´efini par ∆Xt=Xt+−Xt−. La valeur entpeut ˆetre
´egale `aXt− (processus c`agl`ad pour continu `a gauche, limite `a droite) ou `a Xt+(c`adl`ag pour continu `a droite, limite `a gauche). La plupart de processus dans ce chapitre seront des processus c`adl`ag.
Etape 1 Soitξkn:=Xk
n −Xk−1
n . La continuit´e de X implique limn P[sup
k |ξnk|> ε] = 0, pour toutε, et puisque
P[sup
k |ξkn|> ε] = 1−(1−P[|ξ1n|> ε])n≥nP[|ξn1|> ε], nous avons
limn nP[|X1
n|> ε] = 0 (5.1)
Etape 2 En utilisant l’ind´ependance et la stationnarit´e des accroissements, on d´emontre limn nE[cosX1
n−1] = 1
2{logEeiX1+ logEe−iX1}:=−A; (5.2) limn nE[sinX1
n] = 1
2i{logEeiX1−logEe−iX1}:=γ. (5.3) Etape 3 Les ´equations (5.1) and (5.2) permettent de d´emontrer que pour toute fonctionf telle quef(x) = o(|x|2) dans un voisinage de 0, limnnE[f(X1
n)] = 0 ce qui implique pour toutε >0 limn nE[X1
n1|X1
n|≤ε] =γ, (5.4)
limn nE[X21 n1|X1
n|≤ε] =A, (5.5)
limn nE[|X1
n|31|X1
n|≤ε] = 0. (5.6)
(5.7) Etape 4 En rassemblant les diff´erentes estimations, on a finalement
logE[eiuX1] =nlogE[eiuXn11X1
n≤ε] +o(1)
=nlog{1 +iuE[X1
n1X1
n≤ε]−u2 2 E[X21
n1X1
n≤ε] +o(1/n)}+o(1)
=iuγ−Au2
2 +o(1)−−−−→n→∞ iuγ−Au2 2 o`uo(1) signifie une quantit´e qui tend vers 0 lorsquen→ ∞.
L’autre exemple fondamental d’un processus de L´evy est le processus de Poisson.
Le processus de Poisson
D´efinition 3. Soit (τi)i≥1 une suite de v.a. exponentielles de param`etre λ et soit Tn = Pn
i=1τi. Alors le processus
Nt=X
n≥1
1t≥Tn (5.8)
est appell´e le processus de Poisson de param`etreλ Proposition 3(Propri´et´es du processus de Poisson).
1. Pour toutt≥0, la somme dans (5.8)est finie p.s.
2. Les trajectoires deN sont constantes par morceaux avec des sauts de taille1 seulement.
3. Les trajectoires sont c`adl`ag.
4. ∀t >0,Nt−=Nt avec probabilit´e1.
5. ∀t >0,Nt suit une loi de Poisson de param`etreλt:
P[Nt=n] =e−λt(λt)n n!
6. La fonction caract´eristique du processus de Poisson est
E[eiuNt] = exp{λt(eiu−1)}. 7. Le processus de Poisson est un processus de L´evy.
Le processus de Poisson compte les ´ev´enements dont les temps d’attente sont des variables exponentielles ind´ependantes. Dans un cadre plus g´en´eral, on parle d’un processus de comptage.
D´efinition 4. Soit (Tn) une suite de temps avecTn→ ∞p.s. Alors le processus Nt=X
n≥1
1t≥Tn
est appell´e un processus de comptage.
Autrement dit, un processus de comptage est un processus croissant constant par morceaux, avec sauts de taille 1 et p.s. fini.
Un premier pas vers la caract´erisation d’un processus de L´evy est de caract´eriser les processus de L´evy de comptage.
Proposition 4. Soit (Nt) un processus de L´evy et un processus de comptage. Alors (Nt)est un processus de Poisson.
Preuve. La preuve repose sur la caract´erisation de la distribution exponentielle par la propri´et´e d’absence de memoire: si pour une variable al´eatoireT on a
P[T > t+s|T > t] =P[T > s]
pour toutt, s >0 alorsT est une v.a. exponentielle.
SoitT1le 1er temps de saut du processusN. L’ind´ependance et la stationnarit´e des accroissements donnent:
P[T1> t+s|T1> t] =P[Nt+s= 0|Nt= 0]
=P[Nt+s−Nt= 0|Nt= 0] =P[Ns= 0] =P[T1> s], le premier temps de sautT1 est donc une variable exponentielle.
Maintenant, il suffit de demontrer que le processus (XT1+t−XT1)t≥0est ind´ependant duXT1 et a la mˆeme loi que (Xt)t≥0. Soit f(t) :=E[eiuXt]. Alors l’ind´ependance et la stationnarit´e des accroissements entrainent quef(t+s) =f(t)f(s) etMt:= ef(t)iuXt est une martingale. SoitT1n :=n∧T1. Alors par application du th´eor`eme d’arrˆet de Doob,
E[eiu(XT n1+t−XT n1)+ivT1n] = E
f(T1n+t) f(T1n) eivT1n
= E[eiuXt]E[eivT1n].
Pour terminer la preuve, il reste alors `a appliquer le th´eor`eme de convergence domin´ee.
Processus de Poisson compos´e Le processus de Poisson en lui-mˆeme n’est pas utilis´e pour mod´eliser les cours d’actifs, car la condition que la taille de sauts est toujours ´egale `a 1 est trop contraignante, mais il sert comme brique de base pour construire des mod`eles plus riches.
D´efinition 5 (Processus de Poisson compos´e). Le processus de Poisson compos´e avec intensit´e des sautsλet distribution de la taille des sautsµest un processus stochastique (Xt)t≥0 d´efini par
Xt=
Nt
X
i=1
Yi,
o`u{Yi}i≥1 est une suite de v.a. ind´ependantes de loi µet N est un processus de Poisson standard d’intensit´e λind´ependant de{Yi}i≥1.
En d’autres mots, un processus de Poisson compos´e est un processus constant par morceaux qui saute aux instants de sauts d’un processus de Poisson standard, et dont les tailles de sauts sont des variables i.i.d. d’une loi donn´ee.
Proposition 5(Propri´et´es du processus de Poisson compos´e). Soit (Xt)t≥0 un processus de Poisson compos´e d’intensit´e des sauts λ et de loi des sauts µ. Alors X est un processus de L´evy constant par morceaux et sa fonction caract´eristique est donn´ee par
E[eiuXt] = exp
tλ Z
R
(eiux−1)µ(dx)
.
Exemple 5(Mod`ele de Merton). Le mod`ele de Merton (1976) est l’une des premi`eres applications de processus avec sauts en mod´elisation financi`ere. Dans ce mod`ele, pour prendre en compte les discontinuit´es dans les cours d’actions, on rajoute des sauts gaussiens au logarithme du prix:
St=S0ert+Xt, Xt=γt+σWt+
Nt
X
i=1
Yi, Yi∼N(µ, δ2) ind´ependants.
L’avantage de cette mod´elisation est d’avoir une representation en s´erie pour la densit´e de probabilit´e du log-prix (et pour les prix d’options europ´eennes):
pt(x) =e−λt
∞
X
k=0
(λt)kexpn
−(x2(σ−2γtt+kδ−kµ)2)2
o
k!p
2π(σ2t+kδ2) .
Mesures al´eatoires de Poisson La notion de mesure al´eatoire de Poisson est centrale pour toute la th´eorie;
elle nous permettra de donner la description compl`ete des trajectoires d’un processus de L´evy.
D´efinition 6(Mesure al´eatoire). Soit (Ω, P,F) un espace de probabilit´e et (E,E) un espace mesurable. Alors M : Ω× E →Rest une mesure al´eatoire si
• Pour chaque ω∈Ω,M(ω,·) est une mesure surE.
• Pour chaque A∈ E,M(·, A) est mesurable.
D´efinition 7(Mesure al´eatoire de Poisson). Soit (Ω, P,F) un espace de probabilit´e, (E,E) un espace mesurable etµune mesure sur (E,E). AlorsM : Ω× E →Rest une mesure al´eatoire de Poisson d’intensit´eµsi
• Pour toutA∈ E avecµ(A)<∞,M(A) suit la loi de Poisson d’intensit´eE[M(A)] =µ(A).
• Pour tousA1, . . . An disjoints,M(A1), . . . , M(An) sont ind´ependants.
En particulier, la mesure al´eatoire de Poisson est une mesure al´eatoire positive aux valeurs enti`eres. Elle peut ˆetre construite comme la mesure de comptage dun nuage de points comme le montre la proposition suivante.
Proposition 6. Soitµune mesureσ-finie sur un sous-ensemble mesurableEdeRd. Alors il existe une mesure de Poisson sur E d’intensit´eµ.
Preuve. Supposons dans un premier temps queµ(E)<∞. Soit{Xi}i≥1une suite de v.a. ind´ependantes telles queP[Xi ∈A] = µ(A)µ(E),∀iet ∀A∈ B(E), et soit M(E) une v.a. de Poisson d’intensit´eµ(E) ind´ependante de {Xi}i≥1. Il est alors facile de demontrer que la mesure al´eatoireM d´efinie par
M(A) :=
M(E)
X
i=1
1A(Xi), ∀A∈ B(E), est une mesure al´eatoire de Poisson surE d’intensit´eµ.
Si maintenant µ(E) = ∞, il suffit de prendre une suite d’ensembles mesurables disjoints {Ei}i≥1 telle que µ(Ei) < ∞,∀i et S
iEi =E, construire une mesure de PoissonMi sur chaque Ei avec la procedure d´ecrite ci-dessus et poser
M(A) :=
∞
X
i=1
Mi(A), ∀A∈ B(E).
Corollaire 1(Formule exponentielle). Soit M une mesure al´eatoire de Poisson sur(E,E)d’intensit´eµ,B ∈ E etf une fonction mesurable avec R
B|ef(x)−1|µ(dx)<∞. Alors Eh
eRBf(x)M(dx)i
= exp Z
B
(ef(x)−1)µ(dx)
.
D´efinition 8 (Mesure de sauts). SoitX un processus c`adl`ag aux valeurs dans Rd. La mesure de sauts de X est une mesure al´eatoire surB([0,∞)×Rd) d´efinie par
JX(A) = #{t: ∆Xt6= 0 and (t,∆Xt)∈A}.
La mesure de sauts d’un ensemble de type [s, t]×A compte le nombre de sauts deX entres et tdont les tailles tombent dans A. Pour un processus de comptage, comme la taille de saut est toujours ´egale `a 1, la mesure de sauts est une mesure al´eatoire sur [0,∞) simplement.
Proposition 7. Soit X un processus de Poisson d’intensit´eλ. AlorsJX est une mesure al´eatoire de Poisson sur[0,∞)d’intensit´eλ×dt.
Le r´esultat peut-ˆetre le plus important de la th´eorie de processus de L´evy est que la mesure de sauts d’un processus de L´evy g´en´eral est ´egalement une mesure al´eatoire de Poisson.
Exercice 5. SoitX etY deux processus de L´evy ind´ependants. A partir de la d´efinition, d´emontrer queX+Y est un processus de L´evy.
Exercice 6. Demontrer que la propri´et´e d’absence de m´emoire caract´erise la loi exponentielle: si une variable al´eatoireT satisfait
∀t, s >0, P[T > t+s|T > t] =P[T > s]
alors soitT ≡0 soitT suit la loi exponentielle.
Exercice 7. D´emontrer la propri´et´e 7 du processus de Poisson (si N est un processus de Poisson alors il est un processus de L´evy).
Exercice 8. Demontrer que si N et N′ sont deux processus de Poisson ind´ependants de param`etres λ et λ′ alorsN+N′ est un processus de Poisson de param`etreλ+λ′.
Exercice 9. SoitX un processus de Poisson compos´e, avec la loi de sautsµ. Etablir que
• E[|Xt|]<∞si et seulement siR
R|x|f(dx) et dans ce cas E[Xt] =λt
Z
R
xf(dx).
• E[|Xt|2]<∞si et seulement siR
Rx2f(dx) et dans ce cas Var[Xt] =λt
Z
R
x2f(dx).
• E[eXt]<∞si et seulement siR
Rexf(dx) et dans ce cas E[eXt] = exp
λt
Z
R
(ex−1)f(dx)
.
Exercice 10. Ici il s’agit de demontrer que pour construire une mesure de Poisson surR, il faut prendre deux processus de Poisson et faire partir un vers +∞et l’autre vers−∞.
SoitN etN′ deux processus de Poisson d’intensit´eλ, et soitM une mesure al´eatoire d´efinie par M(A) = #{t >0 :t∈A,∆Nt= 1}+ #{t >0 :−t∈A,∆Nt′ = 1}.
Montrer queM est une mesure al´eatoire de Poisson d’intensit´eλ.