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Les Associations d'Epargne et de Crédit Autogérées de la Plaine de Marovoay

1. Introduction : présentation de la zone d'étude

La Plaine de Marovoay se situe au Nord-Ouest de Madagascar, à environ 100 km de Mahajanga, chef-lieu du Faritany (province) :

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Carte 1 la région de Mahajanga

La région d'étude fut délimitée sur la Plaine de Marovoay par les zones dans lesquelles se trouvaient des caisses de plus de deux ans d'existence, de part notre sujet d'étude :

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Carte 2 de la localisation des Associations d'Epargne et de Crédit Autogérées de la Plaine de Marovoay

La zone d'étude concerne quasiment toute la Plaine de Marovoay, soit les plaines de la Basse Betsiboka. Cette région est traversée par le fleuve Betsiboka, qui la divise en deux : la Rive Droite où se situe la ville principale de la Plaine, Marovoay, et la Rive gauche dont l'accès est plus difficile (nécessité de traverser le fleuve). Un système de canaux permet l'irrigation à partir de la Betsiboka et fait de la plaine un des grands périmètres irrigués de Madagascar avec 15 390 ha de superficie irrigable (rive droite et rive gauche comprises).

Pour une meilleure compréhension du contexte actuel de la Plaine de Marovoay, l'encadré 1 présente une chronologie avec quelques dates et événements clefs qui eurent lieu durant le dernier siècle :

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Encadré 1 : petite chronologie de la Plaine de Marovoay

La Plaine se caractérise par une population ethniquement hétérogène, mais par une forte homogénéité des activités de ses habitants : les parties 2 et 3 tentent de dégager les conséquences de ces caractéristiques sur les besoins de financement et sur la mise en place de financements de tels besoins (avec, par exemple, la création de caisses villageoises).

En partie 4, nous analysons les autres activités et les autres sources de revenus par rapport à notre questionnement initial. Puis, toujours dans la même optique, nous présentons les différents opérateurs présents sur la zone.

2. Une population ethniquement hétérogène

La Plaine compte environ 122 000 habitants, répartis en 24 400 ménages (FIFABE, 1996 - la taille moyenne d'un ménage est estimée à 5 personnes). La population est jeune avec 57 % de moins de 20 ans et 37 % de personnes âgées entre 20 et 60 ans. La population connaît un accroissement positif sur la Plaine, qui pourrait, à terme, augmenter la pression foncière (division des terres entre les enfants du défunt, femmes comprises).

Nous n'avons pas obtenu de données sur la densité de population. Les habitants de la Plaine vivent dans des villages d'environ 500 à 2 000 habitants (villes non comprises), situés de 1 à 5 km les uns des autres (source : nos enquêtes). Cet habitat groupé mais de densité moyenne représente une

contrainte pour la mise en place d'un réseau financier formel du point de vue des coûts de fonctionnement (coûts de transaction, de suivi, d'information), surtout si l'on considère l'état assez désastreux des routes et des pistes - certaines zones sont inaccessibles en saison des pluies.

2.1. Une zone d'immigration

L'ethnie originaire de la Plaine est celle des Sakalava, qui ne représente aujourd'hui plus que 10 % de la population de la Plaine et dont l'activité "traditionnelle" est l'élevage extensif de zébus. Actuellement la région est peuplée à 90 % de migrants.

Les Merina ou Mernes furent les premiers migrants : ils mirent progressivement en valeur les marécages des plaines de la Basse Betsiboka à partir de 1825 (Droy, 1996), accompagnés des

Betsileo qui étaient recherchés pour leur savoir-faire en matière riziculture.

Les aménagements de la Plaine se poursuivirent durant le XIXième siècle par de grandes sociétés qui firent appel à des salariés agricoles pour assainir les plaines, construire les infrastructures hydro-agricoles et mettre en valeur les terres des plaines. Les migrants arrivèrent dans le but de trouver un emploi salarié, puis vers 1965 afin d'y trouver des terres, un système d'accès à la propriété ayant été mis en place par la COMEMA (voir l'encadré sur l'historique).

Les migrants venaient de toutes les provinces de Madagascar, dont les ressources financières faisaient défaut. Ils étaient à la recherche d'un travail rémunérateur afin de rapatrier les fonds vers leur région d'origine. Encore actuellement, des "migrants installés", nés sur la Plaine (2ième-3ième génération), rapatrient leurs capitaux vers leur région d'origine, notamment lors des cérémonies funéraires. Les capitaux ne sont donc pas réinvestis dans la Plaine : il y aurait une "fuite" de ceux-ci. Cependant, ces dernières années, des familles de migrants s'installent réellement sur la zone : elles y construisent leur tombeau, marque d'une installation définitive. Cette tendance est principalement dûe aux mariages "mixtes" 'de plus en plus fréquents et dont les deux époux sont de deux ethnies différentes et ne peuvent pas prétendre aux tombeaux de leurs ancêtres respectifs, situés dans les régions d'origine de leur famille.

Les migrants sont venus seuls, ils ont été individualisés à l'époque des grandes sociétés2 et ils ne se reconnaissent que par leur appartenance à leur groupe d'origine. Les habitants de la Plaine ont développé peu de relations entre eux. L'entraide, par exemple, semble peu répandue : comme le souligne Cécile Lapenu et Manfred Zeller (1998), les dons - organisation sociale au sein du village, transferts entre générations, etc.- sont relativement faibles sur la Plaine de Marovoay et traduiraient une faible ampleur des mécanismes de solidarité, en termes d'échanges de biens ou d'argent. Nous

relevons cependant une différence entre les deux rives (nos enquêtes) : en Rive Gauche, l'entraide et la solidarité nous paraissent un peu plus développées (prêt de matériel agricole entre voisins, prêt de terre à ses enfants, aide pendant les travaux) alors que les comportements individualistes semblent dominer en Rive Droite. Cette différence s'expliquerait par le plus grand

isolement de la Rive Gauche.

Les habitants entretiennent des relations avec les autres principalement lors des enterrements, des rapatriements de corps vers les régions d'origine. Ils se sont regroupés par origine, mais au sein d'une origine plusieurs clans coexistent, d'où l'absence de communauté sur la Plaine.

La population vit regroupée en villages qui sont constitués d'habitants d'ethnies différentes et qui constituent des groupes par provenance (ethnie).

Nous avons observé une faible communication, peu d'échanges d'information entre les habitants d'un même village. Pour un système financier, cette quasi absence de circulation d'information risque de présenter d'importants coûts (information, animation, formation).

2 Les grandes sociétés leur attribuaient des terres individuellement, ce qui a contribué, à notre avis, à l'individualisation des cellules de production, soit des ménages (à un ménage correspond une exploitation).

Du fait de la diversité ethnique et de la stratégie individualiste des migrants, la cohésion sociale s'avère faible au niveau des villages et, obtenir une entente, une envie de travailler ensemble peut s'avérer difficile. La création de caisses villageoises3 s'est reposée dans certains cas sur les "groupes de provenance" dans la mesure où les effectifs de ceux-ci sont suffisamment importants. Cependant une telle constitution des caisses pose le problème de la viabilité de ces dernières : lors de nos enquêtes, nous avons visité des caisses4 qui n'arrivaient à augmenter le nombre de leurs adhérents du fait de la réticence des membres actuels à accueillir des personnes d'ethnie différente de la leur (manque de confiance).

Une des difficultés, qui se pose à la mise en place de caisses villageoises, est la création d'une dynamique collective au sein de ces villages pluri-ethniques, qui pourrait à termes déboucher sur une certaine cohésion des villageois-membres.

2.2. Un taux d'alphabétisation élevé

La population se caractérise par un taux d'alphabétisation élevé : en juillet 19965, 72 % des habitants possédaient un niveau primaire ou supérieur et 28 % étaient illettrés (CIDR, 1996¹).

Les coûts de formation, d'information d'un éventuel système financier seront amoindris par cette alphabétisation importante dans la région. De plus, la présence dans les villages de nombreuses personnes alphabétisées peut diminuer également les coûts de gestion : les bénéficiaires présentent les capacités de gérer le système en partie, voire complètement 6(autogestion), ce qui limiterait les coûts de fonctionnement du système.

Certains villages de la Rive Gauche présentent de faibles taux d'alphabétisation (d'environ 50 % - estimation d'après nos observations et enquêtes), probablement dû à leur isolement et, dans ce cas, trouver des personnes capables de gérer une caisse peut s'avérer plus problématique.

2.3. Une population composée majoritairement d'agriculteurs

D'après les enquêtes exhaustives de l'Observatoire de Madio - Madagascar Dial Instat Orstom - dans deux villages de la Plaine (Droy, 1996), l'activité principale est l'agriculture pour 94,4 % des ménages, le secteur tertiaire (commerçants, employés de l'administration) pour 4,1 % d'entre eux et l'artisanat (tailleur, menuisier, etc.) pour les autres. Ces pourcentages sont sans doute un peu surestimés en ce qui concerne les activités agricoles car ils ne concernent que deux villages et ne prennent pas en compte les villes ou villages de taille importante où les activités tertiaires et d'artisanat doivent être plus développées. L'activité principale de la majorité de la population reste l'agriculture.

Par conséquent, les principaux besoins de financement risquent d'être fortement liés aux activités agricoles effectuées sur la Plaine.

Cependant, nos enquêtes auprès de personnes ressources7 révèlent que les activités principales des ménages diffèrent suivant l'ethnie d'appartenance.

Les migrants de la Côte Est (Betsimisaraka) et du Sud Est (Antaimoro, Antaifasy, Antaisaka,

Tsimiety) ainsi que les migrants des Hauts Plateaux - qui semblent être majoritaires en nombre sur

la Plaine - ont pour activité principale la riziculture, qu'ils associent généralement à du petit élevage (porcs, volailles). Les migrants des Hauts Plateaux, Merina et Betsileo, sont les moins arabisés et paraissent comme les plus spécialisés dans l'élevage porcin. De plus, les Merina détiendraient le petit commerce dans les villages de la Plaine.

3 Les Associations d'Epargne et de Crédit autogérées.

4 des associations d'épargne et de crédit autogérées, pour être exact.

5 Enquêtes menées en 1996 par le CIDR auprès de 121 personnes de la Plaine (hommes/femmes, membres/non-membres des Associatons d'Epargnet et de Crédit Autogérées).

6 Une formation à la gestion est alors nécessaire. Comme leur nom l'indique, les AECA fonctionnent avec le principe de l'autogestion des caisses par les bénéficiaires.

Les Antandroy, ethnie originaire du Sud de Madagascar, cultivent peu le riz. Leur spécialité est la culture d'arachide sur les collines (tanety) ou les terres de décrue (baiboho). Leur système de production est plus diversifié par rapport aux autres ethnies : ils cultivent du riz, de l'arachide, du manioc, des lentilles et des patates douces ; ils effectuent le commerce de poulets (collecte et commercialisation) et possèdent d'importants troupeaux de bovidés. Leur vécu quotidien étant réduit au minimum pour des raisons culturelles8(maison, vêtement, alimentation, etc.), ils possèdent une forte capacité d'épargne. Les Antandroy se trouvent près des berges, en bordure du périmètre. Constitués en groupes assez soudés, ils sont souvent isolés (géographiquement et socialement) par rapport aux autres groupes ethniques dont le système de production est axé sur la riziculture.

L'autre ethnie spécialisée dans l'élevage bovin est l'ethnie d'origine de la Plaine, les Sakalava, qui s'était retirée à la périphérie du périmètre, la riziculture n'appartenant pas à leur système de production "traditionnel". Certains se sont toutefois lancés dans la riziculture et tentent une "reconquête" des terres.

Les Karana ou Indo-pakistanais - qui sont arrivés sur la Plaine au début du siècle (suite à une importante sécheresse au Nord de l'Inde) - ont été dépossédés de leurs terres en 1970 (voir l'encadré sur l'historique de la zone). Ils détiennent actuellement la majeure partie des commerces en ville (boulangerie, pharmacie, station service, transport, commerces en gros, etc.). Ils sont les grands collecteurs de paddy sur la Plaine et détiennent la plupart des décortiqueries. Ce groupe est totalement isolé des autres9 et son organisation semble très cloisonnée.

Pour les différentes cultures et différents élevages pratiqués dans la zone, nous pensons qu'il conviendrait d'analyser à quel moment les paysans nécessitent des financements, pour quels objets et quelle est l'importance de cette demande afin d'évaluer si le financement de celle-ci serait rentable pour un système financier10.

Cette première présentation nous permet d'identifier le principal besoin de financement sur la zone, que nous allons détailler dans la partie 3 : la riziculture. Les autres activités seront abordées dans la partie 4.

2.4. Quelques repères sur les ménages

La majorité des ménages est constituée de familles mononucléaires strictes (les deux époux, leurs enfants et quelques fois d'autres parents tels que les grand-parents, des neveux et nièces). La prise de décision et la gestion de la trésorerie s'effectuent en commun par les deux époux. Dans certaines familles, des enfants mariés ou en âge de l'être habitent toujours chez leurs parents. Nous avons alors observé deux cas de figure :

- l'individualisation de l'enfant, qui gère seul son propre budget et ses activités. Souvent il cultive des terres de ses parents avec un contrat de métayage.

- l'intégration de l'enfant dans l'unité de production parentale. Il fait alors encore partie du ménage de ses parents.

Quelques cas de polygamie s'observent, notamment chez les riches Sakalava. Dans les familles polygames, les femmes gèrent un budget autonome : chaque femme a des activités propres (élevage, culture, etc.), en plus des activités communes (travail sur les parcelles de l'époux,...), qu'elle gère seule.

Dans les ménages mononucléaires, la division des activités semble quasi inexistante (nos enquêtes). La division s'opère pour les activités secondaires, telles que le tressage de nattes (effectué par les femmes), la menuiserie (activité masculine). Quant au commerce, les femmes s'occuperaient plus

8 A la mort d'un Antandroy, tous ses biens sont détruits (maison, meubles, zébus,...) et ces derniers ne recherchent pas à se constuire des maisons en dur, à s'installer confortablement. Nous ignorons les tenants et aboutissants de cette pratique (passage sur terre jugé peu important ?).

9 "racisme" de part et d'autre : les Malgaches se disent exploités par les Karana et ces derniers traitent les Malgaches de "bon-à-rien".

des petites activités commerciales (épicerie, épi-bar,etc.) et les hommes des commerces plus importants (collecte, transport, etc.), mais la gestion du budget reste commune. Une étude sur le partage des crédits entre les membres d'un ménage révèle que l'utilisation spécifique d'un prêt formel est conjointement décidée par le mari et son épouse à Madagascar (Zeller, 1997).

Ainsi, cibler préférentiellement les femmes pour développer certaines activités serait peu justifié dans cette zone : les femmes investisseraient leur argent dans les besoins de leur ménage (la nourriture en période de soudure, les activités agricoles, etc.) au même titre que les hommes, les décisions étant prises ensemble. En matière de financement, les besoins ne sont pas différenciés entre les hommes et les femmes.