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Chapitre 2 Les jeux sérieux dans le domaine de santé

2.1. Introduction aux jeux sérieux

Les premières traces d’utilisation de jeux à des fins d’apprentissage ou de communication et donc pour autre chose que du divertissement, ont été identifiés aux XVe et XVIe siècles par (Julian Alvarez, 2010). Si le concept d’apprentissage par le jeu n’est pas nouveau, l’expression « serious game », jeux sérieux en français, est utilisée pour la première fois en 1970 par Clark Abt (Abt, 1987) dans un livre de même nom, dans lequel il présente l’intérêt des jeux numériques et non-numériques pour l’entrainement et l’éducation. A la même époque, le terme Serious Game est également utilisé dans le livre « The New

Alexandria Simulation: A Serious Game of State and Local Politics» (Jansiewicz, 1973) à

propos d’un jeu non numérique.

Toutefois, il faudra attendre une trentaine d’année pour que le boom économique de l’industrie des jeux vidéo remette l’utilisation et le développement de jeux sérieux au premier plan. Un pourcentage toujours plus important de la population joue ou a joué aux jeux vidéo, d’abord sur des consoles de jeux et des ordinateurs et de plus en plus sur des téléphones mobiles ou des tablettes. Cette accoutumance aux jeux ne concerne pas seulement les joueurs les plus jeunes ou les plus aisés, mais touche toutes les couches de la société, tous les sexes et toutes les classes d’âge. Il semble donc naturel que les industries tout comme les chercheurs se soient mis à étudier comment les jeux vidéo pouvaient être utilisés pour des activités sortant du pur divertissement. C’est ce contexte qui porte les recherches actuelles menées autour des jeux sérieux et qui a par exemple permis la sortie du jeu « America’s Army » en 2002. Ce jeu, qui a su attirer l’attention du public, est considéré comme le premier jeu sérieux à succès (Sawyer & Rejeski, 2002).

Dans le même temps, le concept de jeux sérieux est venu agréger un ensemble d’autres concepts apparentés comme les « jeux de rôle pour la formation (simulation game) », les « jeux d’entreprise (business game)», les « jeux appliqués (applied game) », les « jeux viraux

(game for impact or impact game) », ou encore les « jeux d’apprentissage (learning game) ».

En définitive, et bien que ces types de jeux déterminent des classes et des domaines d’applications différents, un jeu sérieux est synthétiquement considéré comme un jeu ayant un objectif autre que le pur divertissement (Sawyer & Rejeski, 2002). C’est pourquoi les jeux

sérieux peuvent être appliqués à un large éventail de domaines, tel que l’éducation, la santé, l’entrainement, le politique publique ou la communication stratégique.

Sawyer a proposé que le mot « sérieux » signifie « une intention (autre que le divertissement)» et rien d’autre. La vocation d’un jeu sérieux est donc de rendre attrayante la dimension sérieuse par une forme, une interactivité, des règles et éventuellement des objectifs ludiques (Sawyer & Rejeski, 2002; Djaouti, 2011).

Il existe plusieurs travaux concernant la classification des jeux sérieux. Certaines classifications se font en utilisant une seule dimension. C’est le cas de (Zyda, 2005; Chen, 2005; Michaud, 2008) qui ont classé les jeux sérieux selon leur domaine d’application : militaire, organisme gouvernemental, éducation, sphère associative, santé, politique, religion, art. (Bergeron B. , 2006; Alvarez, Rampnoux, Jessel, & Methel, 2007) et (Despont, 2008) ont quant à eux proposé des classifications en fonction des objectifs du jeu avec au final plusieurs types : les advert games (jeux publicitaires), les jeux ludo-éducatifs (à vocation éducative), les

edumarket games (utilisés pour la communication d’entreprise), les jeux engagés (utilisé pour

les thèmes d’ordre politique ou géopolitique), les jeux d’entraînement et de simulation etc. D’autres auteurs ont croisé ces deux méthodes pour obtenir une classification à deux dimensions. C’est le cas de (Ben Sawyer, 2008) qui croise domaine d’application et objectif, en énumérant sept domaines : gouvernement & organisations, défense, santé, marketing & communication, éducation, entreprise, industrie et autant d’objectifs : santé, publicité, formation, éducation, science et recherche, production et travail. Enfin (Damien Djaouti, 2011) propose une classification basée sur trois dimensions : le gameplay, l’intention et le scope. Le

gameplay est défini comme un axe pouvant prendre huit valeurs différentes : Avoid, Match, Destroy, Create, Manage, Move, Select et Shoot. L’intention quant à elle peut être de diffuser

un message, de dispenser un entraînement ou d’échanger des données. Enfin le scope peut être soit le marché soit la cible.

Notons toutefois que certains de ces domaines n’ont pas de frontière nette et se chevauchent parfois de façon significative tel que par exemple l’e-learning, le ludo-éducatif (edutainment) et l’apprentissage basé sur le jeu (game based learning).

Le marché des jeux sérieux connait une croissance rapide depuis 2005. En 2007, son chiffre d’affaire était estimé par une fourchette le situant entre 1.5 et 10 milliards de dollars (Julian Alvarez, 2010). En 2010, un rapport de l’IDATE estimait que le marché mondial des jeux sérieux était de 1.5 milliard d’euros avec un taux de croissance annuel moyen de 47% et

donc un énorme potentiel (IDATE, 2010). Selon un rapport plus récent sur les prévisions à l’horizon 2020 du marché des jeux sérieux dans les domaines de l’éducation, de la culture, de la santé, du commerce, des médias et de la publicité, publié par MarketsandMarkets en mai 2015, ce marché serait d’environ 5,45 milliards de dollars d’ici 2020, avec taux de croissance annuel composé de 16,38% entre 2015 et 2020 (marketsandmarkets.com, 2015).

Avant de nous focaliser sur le terme « jeux sérieux », parlons des jeux vidéo en général. En 2007, (Mishra & Foste, 2007) ont analysé les effets principaux de ce type de jeux comme illustré Figure 2.1.

Figure 2.1: Les effets principaux de jeu vidéo (Mishra & Foste, 2007)

Dans cette analyse, ils inventorient les effets positifs ou négatifs des jeux vidéo selon cinq axes : Les compétences pratiques, les compétences cognitives, les compétences sociales, la motivation et la physiologie. Cette étude met en lumière de nombreux aspects positifs liés à l’utilisation des jeux, mais fait aussi ressortir un ensemble de risques encourus par les enfants. Au final elle ne tranche pas entre les aspects positifs et négatifs de ce type d’apprentissage.

Des théories sur les motivations induites par le jeu ont aussi été développées comme celles de (Prensky, 2003) qui synthétise les caractéristiques clés définissant ces motivations. (Jones, 1998) de son côté soutient que les caractéristiques extraites de la théorie du flow de Csikszentmihalyi (Csikzentmihalyi, 1990) sont essentielles pour réaliser un jeu motivant. Le flow reflète l’expérience optimale qui est décrite comme un état dans lequel « les

individus sont tellement impliqués dans ce qu’ils font que plus rien d’autre ne compte ».

« L’expérience est tellement agréable et satisfaisante qu’ils sont prêts à la faire à n’importe

quel prix. La concentration est tellement forte qu’il ne reste plus d’attention pour penser à des choses non-pertinentes ou pour penser à ses problèmes. La conscience de soi disparaît et la notion du temps est déformée. La satisfaction que produit ce genre d’activité est telle que les personnes sont prêtes à la faire sans penser à ce qu’ils pourront en tirer et cela même lorsque les situations sont difficiles ou dangereuses. » (Csikszentmihalyi, 1975). Le « serious play » ou « hard fun » sont des situations d’apprentissage intenses où l’apprenant entre dans

le « flow » (Csikzentmihalyi, 1990).

Sans entrer dans des situations de jeu aussi absolues, les attraits du jeu résident plus simplement dans la faculté de proposer un environnement orienté vers l’apprenant et dans la liberté pour l’apprenant de l’explorer et de l’expérimenter librement.

Plusieurs personnes ont contribué à la définition du terme « jeux sérieux » et son sens a par conséquent évolué pendant ces dernières années. Dans leur sens le plus large, les jeux sérieux ne sont pas limités aux jeux vidéo, mais incluent aussi toute forme de jeux qui vise un autre objectif que le simple divertissement. En ce qui nous concerne, nous retiendrons les conclusions de ceux qui considèrent que :

Le terme « Serious game » est utilisé pour nommer une nouvelle génération de jeux vidéo conçus pour des objectifs sérieux (Sawyer B. , 2007) (Djaouti, 2011).

Ce choix nous permet de clairement distinguer les jeux sérieux, d’une part des jeux tout court, mais aussi d’autres concepts comme par exemple celui de « gamification » (action d’introduire du jeu dans une démarche au départ non ludique). Nous expliquons ce choix dans la section suivante.