• Aucun résultat trouvé

Selon une estimation des Nations Unies (United Nation 2013), la population mondiale passera de 7,2 milliards en 2013 à 10,9 milliards en 2100 suivant le scénario de croissance moyenne (Figure 1). En contraste avec cette croissance régulière de la population, les réserves de ressources fossiles mondiales, telles que le pétrole et le gaz naturel, décroissent du fait de leur caractère limité et non renouvelable.

Figure 1 : Différents scénarii de projection de la population mondiale (United Nation 2013) Selon Bentley (2002), environ la moitié des ressources en pétrole brut et gaz naturel mondiales a été déjà exploitée. Ce même auteur a estimé que la réserve mondiale de pétrole brut était de l’ordre de 1 750 milliards de barils. Comme nous pouvons le voir sur la Figure 2a, cette réserve disponible varie en fonction de la localisation et de l’exploitation déjà effectuée. Nous pouvons également remarquer le caractère limité de cette réserve (Figure 2b). La découverte de nouveaux puits de pétrole a tendance à décroître après une apogée en 1960 (Sorrell et al. 2010). En contraste, l’exploitation de la réserve ne cesse de progresser (Figure 2b).

(b)

Bnbl : milliard de baril

Figure 2 : (a) Disponibilité mondiale du pétrole brut dans le monde (Bentley 2002) et (b) tendance globale de la production et de la découverte des puits de pétrole brut (Sorrell et al. 2010)

Au-delà de la seule éventualité d’une pénurie de ressources, différents problèmes environnementaux sont aussi apparus avec le développement industriel. Ces différents problèmes (changement climatique, eutrophisation aquatique et terrestre, acidification des pluies,…) ont toujours été vus comme corrélés à la demande croissante de ressources naturelles et à la pollution anthropique (Brundtland 1987).

Un des problèmes d’actualité est le changement climatique. Comme le soulignent les travaux de Stocker et al (2013) du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), la terre est soumise à l’impact du changement climatique (Figure 2a) qui résulte des émissions anthropiques et naturelles des gaz à effets de serre. Le GIEC a projeté un réchauffement climatique global pouvant aller jusqu’à plus de 4°C (Figure 3a). Cet effet pourrait occasionner des impacts non négligeables tels que la montée des eaux marines dans le monde pouvant aller jusqu’à 1 m (Figure 3b). Ceci aura un effet probable sur la disponibilité des espaces terrestres comme ressource indispensable pour les générations futures. Le GIEC mentionne également des changements éventuels sur les écosystèmes.

(a)

(b)

Figure 3 : Projection de la moyenne globale (a) du changement de la température mondiale et (b) de la montée des eaux marines suivant différents scénarii du GIEC (Stocker et al. 2013)

Pour faire face à une pénurie future des ressources fossiles et minérales et afin de limiter les effets environnementaux liés aux émissions d’origines anthropiques, repenser la manière de produire la valeur économique s’avère nécessaire.

Le concept de développement durable présenté dans le rapport des Nations Unies (Brundtland 1987) est né suite à une prise de conscience de la raréfaction des ressources et de l’augmentation des impacts environnementaux liés aux activités humaines. Ce concept préconise « un développement où l’on peut satisfaire les besoins en ressources de la

génération actuelle, sans compromettre la disponibilité de ressources pour la génération future ». Nous pouvons généraliser l’objectif du développement durable comme étant un

développement social et économique qui doit permettre d’assurer la pérennisation des ressources et la préservation des écosystèmes.

Différentes approches ont été développées dans le monde pour atteindre ces objectifs. Une des principales approches développées dans le secteur industriel est l’éco-conception.

L’éco-conception peut être définie comme une approche ayant pour objectif de réduire les impacts environnementaux (dont la consommation de ressources) sur l’ensemble du cycle de vie du produit, lors de la conception d’un produit. Les bénéfices économiques potentiels de l’éco-conception avec l’intégration des aspects environnementaux lors de la conception d’un produit telle qu’énoncée par la norme ISO 14062 (ISO 2003), sont multiples : abaissement des coûts de production (matières, énergie), valorisation des produits considérés comme déchets, …

La notion de produit présentée ici et qui va être utilisée dans l’ensemble de cette thèse rejoint la définition donnée par la norme ISO 14062 (ISO 2003) où le produit peut se présenter sous la forme de bien matériel par exemple des pièces mécaniques, ou de biens

immatériels comme des services de transport.

L’approche d’éco-conception est plus précisément définie comme une façon d’analyser qui permet d’identifier ou d’obtenir des pistes d’améliorations de l’impact environnemental d’un produit et aussi de la consommation de ressources du produit (ISO 2003; Maxwell & van der Vorst 2003; Le Pochat et al. 2007; Knight & Jenkins 2009).

Comme le mentionne Knight et Jenkins (2009) l’éco-conception est une approche et non un outil ou une méthodologie spécifique. On dénombre actuellement une multitude d’approches d’éco-conception dans la littérature, qui seront détaillées dans la partie I.2 (page13) de ce mémoire. Le choix d’une méthode pertinente et adaptée pour un cas d’étude est souvent assez difficile pour le concepteur. Parmi les différentes méthodes d’éco-conception existantes, de nombreuses méthodes ne prennent en compte qu’un seul critère de performance environnementale (énergie, utilisaiton du sol). Ce type de méthode n’arrive cependant pas à anticiper les transferts d’impacts entre les différents indicateurs environnementaux. D’autres méthodes restent concentrées sur une partie restreinte du cycle de vie, comme la fabrication, et ne permettent pas d’identifier d’éventuels transferts d’impact entre ces étapes.

Pour éviter ces écueils bien connus, nous avons fait d’emblée le choix de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) comme cadre méthodologique adapté qui sera détaillé plus loin (partie I.3 page 21). En effet, l’ACV rend possible:

- la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie : elle permet d’étudier des sous-systèmes de différents secteurs d’activité. Cette approche permet à la fois d’observer d’éventuels transferts d’impacts entre les phases de cycle de vie et d’identifier l’importance relative de ces différentes phases ou plus précisément des différents processus composant chaque phase.

- l’exhaustivité sur les impacts environnementaux : l’approche ACV permet d’obtenir différents indicateurs environnementaux liés aux différents types d’impact sur l’environnement.

De fait, comme nous le verrons dans le Chapitre I, la majorité des outils d’éco-conception quantitatifs consistent en des parties d’ACV, (comme une catégorie d’impact particulière ce qui est le cas pour le Cumulative Energy Demand (CED)), ou à des phases de l’ACV (comme l’inventaire, ce qui est le cas pour les méthodes Material, Energy, Toxicity matrix (MET), Material Intensity Per Service (MIPS)).

Malgré tous ces points positifs, l’ACV a ses limites que nous allons détailler par la suite, et qui sont résumées dans cette partie.

Cependant, l’application de l’ACV en éco-conception n’apporte pas beaucoup au concepteur pour différentes raisons :

1. L’utilisation de l’ACV en éco-conception est limitée à l’étude et à l’analyse d’un produit existant avec un ensemble de cycle de vie bien défini (Millet et al. 2007). En effet, cette limite rejoint le fait que, selon Guinée et al.(2002), tous les processus ou matériau étudiés en ACV doivent avoir leur données d’inventaires respectifs ce qui impose d’avoir des données disponibles.

2. Millet et al. (2007) mentionnent également que l’ACV ne permet pas de montrer avec certitude l’amélioration environnementale et son application manque donc de crédibilité et de légitimité. Ceci est lié au fait que les résultats d’ACV sont en partie subjectifs (Millet et al. 2007): ils peuvent changer (ou même être contradictoires) d’un utilisateur à un autre selon les objectifs, les choix méthodologiques (Guinée et al. 2002). Elle est également liée au fait que les résultats sont entachés d’incertitudes supposées importantes (Huijbregts 1998a; Huijbregts 1998b) mais encore rarement évaluées selon Björklund (2002). Par ailleurs, une multitude de méthodes de caractérisation peuvent être utilisées. Actuellement, selon Frischknecht et al. (2007a) et Hischier et al (2009), il existe plus d’une dizaine de méthodes de caractérisations différentes au sein desquelles on trouve jusqu’à une dizaine d’indicateurs différents pour une même catégorie d’impact.

3. Une application sérieuse de l’ACV ne peut pas être conduite par le concepteur seul, elle requiert la collaboration avec un spécialiste de l’ACV. Sa mise en œuvre requiert donc un besoin accru en temps, car les choix de scénarii à comparer sont établis conjointement entre le concepteur et le spécialiste de l’ACV, qui va ensuite générer la modélisation et collecter les données. Elle requiert également un besoin en connaissances pour établir des scénarii comparatifs crédibles. En raison de ces différentes contraintes Millet et al. (2007) ont annoncés que « l’ACV nuit à la créativité du concepteur ».

4. Enfin, la caractéristique multicritère des résultats un des atouts de l’ACV, mais c’est aussi ce qui complique l’interprétation des résultats selon Guinée et al (2002). Le concepteur doit se familiariser avec les différentes catégories d’impact et leur signification, et in fine formuler des choix en fonction des priorités qu’il attribue à une catégorie d’impact par rapport aux autres. Même si conduire l’ACV aura permis de vérifier si des transferts d’impact se produisent entre étapes du cycle de vie ou entre catégories d’impact, la modalité de choix offerte au concepteur n’est pas loin de la simplification que l’on souhaite éviter : celle d’une étude monocritère sur la base d’un critère choisi d’avance.

Face à ces différentes critiques du cadre méthodologique de l’ACV, nous pensons que certaines réponses, en particulier sur les points n°2 et n°4, peuvent être apportées pour faciliter l’utilisation de l’ACV en éco-conception.

Sur le point n°2, il est certain que des hypothèses de modélisation propres à l’ACV et dont la décision est propre au spécialiste (allocation, choix de l’unité fonctionnelle) peuvent changer la nature des résultats (Jolliet et al. 2010; Sayagh et al. 2010; Guinée et al. 2002). L’acceptation de règles communes à tous les modélisateurs resteune des voies pour éliminer ou réduire les choix méthodologiques. C’est un sujet d’actualité en France et en Europe, notamment du fait des travaux récents (pilotés par l’Ademe en France) sur l’étiquetage environnemental des produits. Un consensus généralisé reste difficile à obtenir comme en témoignent certaines règles méthodologiques qui ont été édictées par catégorie de produit tel que les EPD©, Déclaration environnementale des produits1. Sans consensus général, il nous apparaît important de pouvoir a minima quantifier les incertitudes générées par ces choix méthodologiques. De plus, les incertitudes sur les données d’ACV sont également liées aux modalités d’obtention des bases de données génériques internationales : comme nous allons le détailler plus loin, celles-ci favorisent des données moyennées par secteur d’activité, et il reste

difficile d’obtenir des données spécifiques par technologie utilisée. Nous pensons que pour une meilleure crédibilité de l’ACV, il est indispensable de caractériser ces différentes sources d’incertitudes.

Sur le point n°3, il apparait important que le concepteur, que dans la suite de ce mémoire nous nommerons acteur économique, dispose d’informations à la fois crédibles (point n°1) mais également intelligibles, c’est-à-dire, selon nous, reliées à des moyens d’action qui lui sont propres. Il est donc important que les résultats d’ACV soient en mesure de fournir à l’acteur d’un processus, une quantification de l’effet sur l’environnement de l’ensemble des choix qui sont à sa disposition, tout en tennant compte séparément des incertitudes liées aux données et aux choix méthodologiques de modélisation. Selon l’importance des effets, il pourra ainsi identifier les leviers d’action de la performance.

Sur le point n°4, nous pensons que l’identification de leviers d’actions dispense l’acteur économique concerné de l’appropriation en profondeur des concepts de l’ACV, et du choix difficile de prioriser un impact par rapport à un autre. En effet, il lui suffit de connaître la portée de ses différentes actions sur chaque catégorie d’impact pour décider des changements à apporter.

Pour répondre à ces différents points, nous avons donc pour objectif d’utiliser les méthodes (statistiques) d’analyse de sensibilité et de les coupler à l’ACV afin d’identifier des leviers d’actions environnementales pour les différents acteurs présents dans le système de cycle de vie d’un produit. Ainsi, l’approche que nous allons mettre en œuvre devrait nous permettre de répondre aux questions suivantes.

1/ Comment mettre en œuvre une approche d’éco-conception qui permet d’identifier des leviers d’actions technologiques en tenant compte des différentes variabilités et incertitudes des méthodes de modélisation environnementales ?

2/ Dans le cas d’un produit ayant un cycle de vie comportant des sous-systèmes très hétérogènes associés à plusieurs acteurs, comment élaborer une approche d’éco-conception qui permet à la fois d’étudier séparément ces différents sous-systèmes, mais aussi de les étudierensemble et de fournir des informations pertinentes à chaque acteur économique ?

Pour développer cette approche méthodologique, nous avons choisi un cas d’application dans le domaine du bâtiment. L’éco-conception se développe depuis plusieurs années dans le secteur du bâtiment (Mahdavi & Ries 1998; Blanc & Peuportier 2007). Peuportier et al (2013) ont mentionné différents objectifs de l’éco-conception pour le bâtiment, à savoir : « la

préservation des ressources matérielles, énergétiques, en eau, une réduction de l’utilisation et de la transformation du sol, une réduction de la toxicité, une protection contre les changements climatiques, une production des forêts, points d’eau, une réduction des émissions de déchets inertes, radioactifs… ». Tous ces objectifs rejoignent ceux du

développement durable et peuvent être généralisés par la préservation des ressources

naturelles minérales et énergétiques, la réduction des pollutions associées au bâtiment.

Tous ces objectifs doivent être atteints sans pour autant modifier ou diminuer la fonctionnalité et la qualité du produit qui est étudié. Les différentes phases du cycle de vie du bâtiment sont présentées dans la Figure 4 (Peuportier 2001; Blengini & Di Carlo 2010).

L’efficacité énergétique du bâtiment passe par l’étude de la réduction de la consommation d’énergie de chauffage, de climatisation et d’éclairage (Peuportier 2001). Mais en 2013, la consommation d’énergie de chauffage lors de la phase d’usage est encore le poste de consommation le plus important sur l’ensemble de la durée de vie du bâtiment (ADEME 2013). Parmi les solutions les plus couramment proposées par les constructeurs, on trouve l’amélioration des performances d’isolation par l’utilisation de matériaux d’isolation thermique plus performants. Notre exemple d’application se situe dans ce contexte, avec l’étude de cas d’un isolant thermique bio-sourcé : le béton de chanvre (et le panneau à base de fibre de chanvre). Nous nous intéresserons aux différentes phases du cycle de vie de ce matériau, depuis sa production agricole et sa transformation, jusqu’à son utilisation comme isolant thermique, avec l’objectif de connaître l’influence des leviers d’action propres à chacun des acteurs économiques associés à chaque phase de son cycle de vie.

Le présent manuscrit est composé des chapitres suivants.

Le chapitre I présente un état de l’art sur les différentes approches d’éco-conception. Les caractéristiques des méthodes existantes ainsi que leurs limites sont détaillées. Dans ce chapitre nous rappellerons les principes de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) et identifier ses limites et sources de variabilités. Enfin, nous détaillerons plusieurs méthodes d’analyse de sensibilité (AS), dans l’objectif de choisir les méthodes les plus adaptées à nos objectifs.

Le chapitre II décrit la démarche suivie pour établir l’approche de couplage ACV/AS pour l’éco-conception. Dans un premier temps, nous présenterons la synoptique globale de l’approche établie. Dans un second temps, nous présenterons les différentes étapes suivies pour ce faire : le choix et le développement des différents modèles et méthodes d’inventaires utilisés, l’identification et la caractérisation des différents paramètres des modèles, l’application des méthodes d’AS choisies, et en dernier l’interprétation des résultats en vue d’éco-concevoir.

Le chapitre III détaille l’application de la méthode sur le cycle de vie du béton de chanvre. Pour cela, nous avons distingué quatres acteurs économiques du cycle de vie du béton de chanvre et découpé le système de sa production en trois sous-systèmes distincts : le producteur agricole, l’industriel effectuant les transformations primaire et secondaire du chanvre en produit isolant, et en dernier, le concepteur du bâtiment et/ou son utilisateur qui choisissent le béton de chanvre pour la vie en service du bâtiment.

Le chapitre IV est une discussion générale qui a pour objectif d’analyser les avantages et les limites de la démarche développée, les difficultés rencontrées lors de son application et leur caractère générique ou spécifique au cas traité.

La conclusion générale dresse le bilan des résultats obtenus pour le cas d’application, des apports méthodologiques de ce travail de thèse et propose des perspectives.