De nombreux articles et livres traitent des enquêtes de préférences déclarées (EPD), avec principalement des applications en transport :Ben-Akiva et Lerman (1985) ;Pearmain et al.(1991) ; Hensher(1994) ;Louviere et al.(2000) ;Ortuzar et al.(2011). Après avoir justifié l’emploi d’une telle méthode dans cette introduction, le chapitre reprend les principaux éléments de la littérature dédiée aux EPD pour apporter des éléments de réponses aux questions qui sont posées lors de l’élaboration de l’enquête en Région Rhône-Alpes (mode d’enquête, nombre d’attributs à insérer, étapes préparatoires, design).
La mise en œuvre d’une EPD repose en effet sur la réalisation d’une enquête qui nécessite d’avoir auparavant déterminé le mode et le protocole d’enquête (voir section 1.2), construit le questionnaire (voir section1.3) et en particulier d’avoir construit les questions de choix au travers d’un plan factoriel ou design (voir section1.4). La construction du questionnaire et du design nécessitent d’avoir choisi les attributs et les niveaux d’attributs décrivant l’offre. La section1.5fait une revue de littérature sur les attributs insérés dans l’enquête.
Les méthodes existantes
Pour quantifier l’effet des déterminants individuels et des caractéristiques de l’offre sur le choix modal, deux familles de méthodes existent. Une première famille de méthode, appelées méthodes de préférences révélées, s’appuie sur l’observation des choix effectivement réalisés par les individus et à en déduire la valeur (monétaire ou temporelle) de chacun des déterminants évalués. Les méthodes de préférences révélées peuvent s’appuyer sur des données telles que celles collectées dans l’EDR. Elles
ont l’avantage de se baser sur des choix qui ont effectivement été réalisés et ne sont donc pas entachées d’un biais hypothétique. En revanche, seule la valorisation de caractéristiques existantes est possible. D’autres méthodes de préférences révélées existent telles que la méthode des prix hédoniques ou la méthode des coûts de transport. Elles sont principalement utilisées pour valoriser des biens et services environnementaux.
Une deuxième famille de méthodes, appelées méthodes de préférences déclarées, s’appuie sur des choix hypothétiques proposés spécifiquement pour l’enquête. Des options de transport n’existant pas (du moins pas aujourd’hui) peuvent donc être présentées permettant ainsi d’anticiper l’évolution de la demande en cas d’évolution de l’offre. Cette approche est présenté plus en détails ci-dessous.
Les méthodes fondées sur les préférences déclarées s’appuient sur des enquêtes afin d’estimer la valeur accordée à certaines variations de l’offre de biens (Pearce et al.,2006). Elles sont utilisées pour évaluer des biens non-marchands (valeur environnementale), des situations hypothétiques ou encore des biens marchands dont l’évaluation est délicate à travers des enquêtes de préférences révélées. Deux approches sont couramment utilisées :
• L’évaluation contingente : après une mise en situation, le questionnaire comporte une question demandant directement à la personne interrogée quel est son consentement à payer (ou consentement à recevoir) pour l’amélioration (ou la dégradation) qui lui a été décrite, par exemple, l’amélioration de la qualité de l’eau d’une nappe phréatique (Aulong et al.,2006) ou l’atténuation du bruit d’un aéroport (Faburel,2002).
• Un ensemble de méthodes se basant sur la modélisation de choix hypothétiques (voir tableau 1.1) : issues du marketing, ces méthodes demandent à la personne interrogée de choisir entre plusieurs alternatives1 décomposées en attributs, établissant ainsi des priorités parmi différentes composantes du bien ou du service évalué. Le coût correspondant étant l’une des composantes du choix, l’arbitrage effectué par les personnes permet de déduire la valeur de chacune des composantes et donc la valeur totale de l’alternative (Lancaster, 1966). Cette approche regroupe en fait quatre méthodes distinctes, toutes basées sur des choix hypothétiques entre plusieurs alternatives dont la plus courante est la méthode des choix expérimentaux (ou expérimentation des choix).
Comparativement à l’ensemble des méthodes de classement, comparaison ou notation, la méthode des choix expérimentaux est à privilégier car c’est la seule qui se base sur une théorie comportementale clairement établie et étayée, la théorie de l’utilité aléatoire, permettant d’expliquer le
TABLEAU 1.1 – Variantes des méthodes de modélisation des choix
Approche
(français) Approche (anglais) Tâche à accomplir Estimation cohérentedu bien-être
Expérimentation
des choix Choice experiment
Choisir entre deux options ou davantage (dont une
correspondant au statu quo) Oui
Classement
contingent Contingent ranking Classer une série d’options Cela dépend1
Notation
contingente Contingent rating
Noter de 1 à 10 les différentes
alternatives Ce n’est pas sûr
Comparaison par
paires Pairwise comparison
Noter des paires d’alternatives
sur une échelle de 1 à 10 Ce n’est pas sûr
1Le classement de l’ensemble des alternatives peut théoriquement révéler les relations de préférences entre les alternatives. Cependant, le classement de l’ensemble des alternatives est un exercice difficile. SelonPearce
et al.(2006, p. 148), « les choix paraissent peu fiables et cohérents du point de vue du l’ordre de classement
des différentes options ». VoirBeaumais et al.(2016) pour une discussion plus approfondie. Source : Adapté dePearce et al.(2006)
comportement et le choix des individus et donc d’aboutir à une estimation cohérente du bien-être. Comme les méthodes basées sur une notation se basent non pas sur une théorie économique mais sur une théorie mathématique2, le lien avec l’utilité est créé artificiellement par le biais de règles, ce qui rend plus difficile une estimation cohérente du bien-être. Par exemple,Pearce et al. (2006) notent à propos de la notation contingente que « Ses applications dans le domaine du marketing ont jusqu’à présent généralement formulé une hypothèse hardie concernant la cardinalité de l’échelle de notation (une notation de 8 étant ainsi présumée représenter deux fois plus d’utilité que si elle avait été de 4). »
Justification du choix
La méthode mise en œuvre pour répondre aux objectifs de la thèse est la méthode d’expérimentation des choix. Ce choix s’explique par deux raisons. Premièrement, l’objectif étant de modéliser le choix modal, l’emploi d’une méthode décomposant le choix du mode de transport en attributs et permettant de valoriser des attributs tels que les retards ou le confort est donc nécessaire. La méthode de l’évaluation contingente est donc exclue.
Deuxièmement, parmi les méthodes basées sur des choix hypothétiques, la méthode des choix expérimentaux est celle qui permet la meilleure estimation du bien-être. C’est la méthode la mieux fondée micro-économiquement et celle qui est couramment utilisée en économie des transports et qui bénéfice donc d’un retour d’expérience permettant d’assurer la fiabilité des résultats. Par la suite, l’appellation « Enquête de Préférences Déclarées » (EPD) fait systématiquement référence à la
méthode des choix expérimentaux.