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Interview de Jean-Christophe Raveau, président de Pyc Média, président du Syndicat de la Presse

Professionnelle (SPPRO), affilié à la Fédération Nationale

de la Presse d’information Spécialisée (FNPS)

Jean Christophe Raveau se présente comme un « enfant de la radio libre » de province. Jeune présentateur du journal de 13h de Chalon 90, il y découvre une partie de sa vocation. Titulaire d’une licence de droit, il arrive à Sciences Po Paris avec l’objectif de présenter le CFJ tout en gardant un contact avec sa terre natale via le quotidien de PQR local, le Courrier de Saône et Loire. Il devient une sorte de correspondant occasionnel à Paris et fait des « piges » pendant ses vacances. Finalement il ne présente pas le CFJ et passe quelques mois au Monde où il se retrouve confronté au (très) haut niveau du journalisme. Il change d’orientation et entre au service communication d’un industriel, aborde le monde de l’entreprise mais aussi le sujets délicat et formateur de la communication de crise. Il reçoit un

proposition d’embauche du journal professionnel du secteur de cet industriel en tant que rédacteur en chef, et l’accepte. Très vite, à trente ans à peine, il se retrouve à s’occuper aussi du développement de la société, en difficulté, avant de la racheter et de la redresser. Ce groupe, Pyc Editions, deviendra ensuite Pyc Médias avec un portefeuille actuel de 18 titres, la plupart « de niche », avec entre 1000 et 5000 abonnés par titre.

Jean-Christophe, comment avez-vous fait évoluer le groupe Pyc ces dernières années ?

J’ai opéré la transition vers de nouveaux modèles économiques pour donner à l’entreprise un peu d’air face à l’érosion des revenus issus des abonnements et de la publicité. L’activité du groupe s’est donc diversifiée vers l’événementiel, la formation, les conférences, en plus de l’inévitable transformation digitale. Les conférences sont bien sûr en lien avec l’actualité. De même pour les salons, qui sont des salons

professionnels mais avec du « contenu », un salon peut compter une quarantaine de conférence par exemple. Mais dans cette diversification, tout part du journaliste, de son travail, de la capacité du contenu pour le lecteur. La rédaction est sollicitée à

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l’origine du projet : détection des sujets, constitution et sélection des intervenants, animation de la conférence. Ils sont très investis.

Une conférence par exemple, doit-elle être rentable pour avoir lieu ?

Tous les modèles sont possibles, mais une conférence ne doit pas forcément être rentable pour exister. Il y a une variété de modèles. Un des objectifs, c’est bien sûr de faire vivre et de confronter la marque média sur son marché. De temps en temps, on peut monter des offres commerciales autour. On peut aussi faire des conférences payantes, mais ce n’est pas un objectif systématique de les rentabiliser.

Comment se répartit le chiffre d’affaires de votre société ?

Le chiffre d’affaires de la société est issu, dans les grandes masses, à 45% des abonnements, à 45% de la publicité et un petit 10% de l’événementiel. Par rapport aux autres acteurs du secteur, la publicité prend une bonne place. Dans la répartition entre publicité et abonnement, c’est plutôt du 60% – 40% ailleurs, en faveur des abonnements. Une étude du SNPS, auquel la fédération que je préside est affiliée, montre en fait qu’entre 1990 et 2013 la publicité commerciale n’a fait que décroître. Elle a croisé la courbe des abonnements et ventes de magazines en 2001. Ces derniers représentent aujourd’hui 55% du chiffres d’affaires moyen (contre 45% pour la publicité). A l’intérieur de des 55%, 94% est issu de l’abonnement et le reste de la vente au numéro par exemple. Côté publicité, dans ces 45%, un quart est issu des petites annonces, avec les annonces légales notamment.

Ressentez-vous une pression des annonceurs sur les journalistes ? Si oui, comment se manifeste-t-elle ?

La pression est réelle, et de nature très variée. Un annonceur peut appeler le chef de publicité en disant « on n’a pas vu votre gars à la conférence de presse, donc on ne passera pas de publicité cette année. » A l’inverse, j’ai vu aussi de la part de certains titres des bons de commande de publicité mentionnant dans le contrat un article rédactionnel. Même si beaucoup de ménage a été fait dans notre famille de presse, il reste quelques cancres. Après ce n’est pas l’apanage de la presse professionnelle,

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ça existe partout et c’est dramatique. Des pressions il y en a partout, elles sont d’ailleurs davantage politiques que strictement économiques.

Comment répondre à ces pressions ?

A ce genre de pression il faut juste répondre « tant pis » même si le journal est en position de faiblesse dans cette histoire. Pour l’annonceur, ça ne va pas changer grand-chose, il n’a rien à perdre. Son budget publicité énorme sera redéployé ailleurs, avec une meilleure visibilité d’ailleurs s’il se reporte sur des titres grand public, et si c’est ça qui l’intéresse. Mais nous, on est coincé. Nous avons

malheureusement plus besoin d’eux qu’eux de nous. Et pour ceux qui présentent par ailleurs, pour les articles, un réel intérêt d’actualité, c’est pénalisant. Cela reste des sources d’informations.

Comment en est-on arrivé là ?

Je crois que la presse professionnelle a sa part de responsabilité, du moins il ne faut pas la nier et se cacher derrière son petit doigt. Dans les années les plus fastes de la presse professionnelle, certains titres n’ont pas fait sérieusement leur job. Je

m’explique. Ils ont cherché à maximiser leurs profits en rognant sur le budget

rédactionnel, c’est-à-dire qu’ils ont eut recours à des pigistes qui ont fait de l’abattage de communiqués de presse (CP). Des journalistes 100% desk qui ne sortent pas, qui ne creusent pas, et qui reprennent des CP quasiment au mot près. Il y avait pas mal de budget publicité à ce moment-là, du moins largement assez pour que tout le monde vive bien, et du coup davantage de pages de rédactionnel à remplir. C’est un peu le pacte avec le diable qu’on fait certains titres, en quête du « toujours plus ». Ils acceptaient plus de publicités, et ajoutaient en conséquence du rédactionnel en prenant à la va-vite out ce qui venait des relations presse (RP). Ça leur coutait moins cher que de prendre un journaliste qui faisait bien son boulot. A ce moment là, on a mal habitué nos annonceurs à traiter l’information, car on le faisait de manière quasi automatique.

! (* Que s’est-il passé ensuite ?

La première conséquence, c’est que les agences de RP ont pris une place centrale. Puisque tout passait, elles ont commencé à dire à leurs clients : arrêtez la publicité, confiez-nous vos budgets en RP, vous voyez bien qu’on arrive à avoir les retombées presse promises, et c’est quand même plus efficace qu’une annonce publicitaire pour faire parler de vous. Résultat, les annonceurs ont diminué la publicité au sein des titres, mais ils nous envoient toujours autant de communiqués de presse, voire plus puisqu’ils ont reporté une partie de ces budgets en RP, dont un bon nombre qui n’ont pas d’intérêt. Et ils s’attendent à ce qu’on les publie, comme à l’époque. Petit à petit, la bascule des budgets annonceurs s’est faite de la publicité vers les RP, sauf que dans le second cas ce n’est plus le journal qui touche l’argent. Cela donne des histoires cocasses. Un exemple criant : la régie d’un titre appelle un de ses annonceurs pour lui proposer une insertion publicitaire. L’annonceur répond

« désolé, votre revue n’entre plus dans notre plan média ». Il l’accepte, c’est comme ça. La semaine suivante, la rédaction du même titre reçoit un communiqué de presse de cette même entreprise pour une actualité, sans forcément beaucoup

d’importance, et qui n’est donc pas reprise. Dans la foulée, la régie reçoit un coup de fil de son contact chez l’annonceur : « Je ne comprends pas, vous n’avez pas repris le CP ». Lui ne l’accepte pas, ou plus difficilement.

La publicité est-elle vouée à disparaître en presse professionnelle ?

Le chiffre d’affaires de la publicité subit une érosion lente, continue et qui ne s’arrête pas. C’est très préoccupant, sachant qu’on n’est pas dans une perspective de

hausse des abonnements non plus. Si la recette publicitaire disparait, il restera les abonnements, mais combien de médias vivent sur leurs seuls abonnements ? Une poignée, en France. Les annonceurs nous demandent aussi de la visibilité en ligne, alors que beaucoup de titres en sont encore à se demander si leur place est aussi sur internet. Le modèle économique en ligne se dirige vers des systèmes de paywall, avec des achats à l’article. D’un « vrai » article du coup, fruit d’un « vrai » travail de journaliste. Car en ligne, pour justifier le paiement à l’article, il faut du contenu de qualité. Et par conséquent ne pas reprendre texto le communiqué de presse. Ceux qui ont produit de la soupe pendant des années sont condamnés et ne pourront pas

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prendre le virage du numérique, que nos annonceurs, mais aussi nos lecteurs, nous demandent. En ligne ils auront beaucoup plus de difficultés à justifier leurs prix qu’en papier. On va donc vers un vrai retour à la qualité du contenu qui sera fatal pour les moins sérieux d’entre nous. Il faudra également passer dans un nouveau rapport avec nos annonceurs et les agences de RP et faire de la pédagogie auprès d’eux.

Que pensez-vous de la relecture ?

En presse professionnelle, il est très fréquent qu’on fasse relire parce que le contenu est un contenu expert avec un niveau de technicité élevé. On n’est pas dans la vulgarisation, c’est même plutôt l’inverse parfois. Le journaliste est donc tenté de faire relire. Il y a dans la presse professionnelle une meilleure acceptation de la relecture, et je suis à l’aise avec ça. Les retours de citations modifiés, voire

augmentés de thèmes pas abordés, arrivent de temps en temps. Mais ce n’est pas le plus problématique. Quand ça arrive, on tombe dans une négociation, et dans le pire des cas, une négociation lourde. Il faut juste expliquer, et là encore faire de la

pédagogie. Mais à la fin, on ne publiera pas « quelque chose auquel on ne croit pas », de toute façon le journaliste n’est pas là pour faire la promotion des boîtes. Et ne le fera jamais.

Un annonceur peut-il être « prioritaire » dans un papier ?

Oui, c’est un cas sur lequel potentiellement on peut « lâcher », en un sens. Prenons un exemple : la rédaction réalise un dossier sur les monospaces et la régie a

décroché Renault comme annonceur, mais pas Peugeot. La rédaction fait son travail normalement, les sollicite tous les deux, puisqu’ils sont légitimes sur le sujet des monospaces. Mais si aucun des deux ne répond, si ça traine, elle relancera en priorité Renault puisqu’il a passé une publicité. La rédaction aura tendance à être un peu plus insistante vis-à-vis de Renault. Elle le fait aussi par esprit de vigilance, parce que le pire serait de ne pas solliciter Renault pour le papier, de ne pas

l’interroger. Ça nous oblige à garder des traces de tout, au cas où, pour ne pas être pris en défaut.

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Pourquoi les annonceurs sont-ils composés, en presse professionnelle, uniquement des sociétés du secteur d’activité sur lequel écrivent les titres ?

C’est vrai que nous n’arrivons pas bien à accéder aux annonceurs dits

« transverses ». Les agences média de ces grandes sociétés ne nous connaissent pas bien. Et depuis que nous avons quitté l’OJD, à partir du moment où nous

n’avons plus montré nos chiffres, nous avons complètement disparu de leurs radars. Nous avons lancé des cycles de formations au sein de ces agences pour contrer ce phénomène, en mettant en avant nos atouts : la précision, le ciblage, la fidélité de notre lectorat, son pouvoir d’achat, la force de nos marques... L’idée est de ne pas mener bataille sur le terrain du volume, qui nous est forcément défavorable. Mais beaucoup d’agences média pensent d’abord volume, coût contact. De plus elles se rémunèrent souvent en pourcentage d’achat d’espace, elles ont tendance à pousser les investissements publicitaires sur des « grosses masses » à plusieurs dizaines de milliers d’euros plutôt que de faire la dentelle, titre à titre, de quelques milliers

d’euros. Cela ne nous aide pas à émerger dans leurs plans. Après la presse professionnelle ne fait pas encore tout ce qu’il faudrait : elle n’a souvent pas de kit média à la hauteur, triche allègrement sur les diffusions. Les enquêtes lectorat sont souvent moyennes, parfois les commerciaux ne sont pas mieux. Alors ça n’aide pas à être se faire connaître en bien au-delà de sa « famille ».

Option Finance est-il un bon élève ?

J’avoue que je ne connais pas suffisament ce groupe, je ne saurais pas vraiment dire si c’est un bon élève. Mais la crise a fait pas mal de ménage, il reste surtout

aujourd’hui des gens sérieux. Mais aussi quelques mecs qui sont arrivés à monter des machines de guerre, avec subtilement, ce qu’il faut de compromission. Un exemple d’excellent élève pour moi, c’est L’Agefi. Le business model est sain, il y a de la diversification et en même temps le contenu est très solide. Je pourrais aussi citer l’Usine Nouvelle, Moniteur, LSA, La France Agricole… enfin des super sérieux, super propres, il y en a plein !

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Quelles différences y a-t-il entre journalistes de presse professionnelle et de presse grand public ?

Je ne fais pas de différence entre les deux, ce sont les mêmes journalistes. Mais un journaliste de presse professionnalisée doit être expert. En fait, peut-être plus expert qu’un journaliste de presse grand public, sur le fond du sujet qu’il traite, tout en restant polyvalent, ce qui n’est pas une mince affaire. Il doit avoir une connaissance approfondie de son sujet, de son secteur, de ses acteurs, de ses enjeux... Les autres médias le reconnaissent d’ailleurs volontiers, en matière de grande consommation par exemple, sur les plateaux de C dans l’air ou de BFM TV, c’est souvent le même journaliste de LSA qui est convié et qui fait foi. C’est lui, l’expert. Le journaliste en presse professionnelle est obligé aussi d’avoir un sens relationnel très fort : sur les petits titres il faut être ancré dans son marché, être capable de nouer et tisser des relations. Il faut vraiment être au cœur du marché : pour les journalistes introvertis, c’est très compliqué. C’est aussi quelqu’un qui produit beaucoup plus, la quantité d’articles est important en presse professionnelle.

Quelle est la différence entre presse professionnelle et presse spécialisée ?

Moi je préfère à la presse professionnelle le terme de « presse d’information professionnelle ». Elle se distingue de la presse spécialisée par le côté vraiment BtoB. Pour moi la presse spécialisée peut être de la presse grand public quand elle aborde des hobbies : magazines sur l’histoire, les voiliers, le tricot… La presse professionnelle s’adresse aux professionnels. Même si le syndicat FNPS a dans son nom presse spécialisée, il est bien composé à 99% de la presse professionnelle.

Un titre gratuit peut-il être référent sur le secteur qu’il couvre ?

Oui un titre de presse professionnelle gratuit peut être référent sur son secteur. C’est d’ailleurs le cas d’un des titres du groupe que je dirige, Metalflash. L’équation

économique est forcément différente puisqu’on se coupe d’une recette. Cela arrive notamment sur les toutes petites niches, qui ne permettraient pas d’avoir un nombre d’abonnés suffisant pour équilibrer les comptes du titre. Pour exister sur le secteur, il faut donc adopter la stratégie du gratuit, avec le même sérieux mais une maquette qui intègre souvent plus de pages de publicités. Paradoxalement, la diffusion est

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aussi beaucoup plus importante que les autres titres car on va viser les salons, les événements. Economiquement, il vaut parfois mieux diffuser à 12 000 exemplaires en gratuit qu’à 2 000 exemplaires par abonnement. Nous axons du coup notre argument commercial sur le volume, ce que les annonceurs demandent aussi, et valorisons plus les espaces de publicité. C’est un équilibre parfois difficile à trouver, et aussi des paris à faire. Mais concernant la qualité de contenu, ça ne change pas grand chose. Et il y a la même pression.

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Interview d’Antoine Mahut, journaliste à Private Equity