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IV- Identification et caractérisation de comportements alimentaires plus durables au sein de la

3) Interprétation et discussion des résultats

Ce travail a permis d’identifier des solutions (régimes optimisés), par une méthode d’optimisation, pour que les régimes alimentaires répondent aux principaux besoins nutritionnels, en réduisant les impacts de leur production sur l’environnement, à un prix proche ou inférieur à ce qui est dépensé actuellement et en évitant de bouleverser les habitudes alimentaires. Nous avons présenté les résultats d’optimisation individuelle par tertile de score provégétarien afin de pouvoir identifier de

Figure 20: Ratio des aliments issus de l'agriculture biologique en fonction du pReCiPe du régime obtenu après l'étape 3 dans les 5 scénarios et dans le régime observé

potentielles différences de modifications à apporter en fonction du niveau de végétalisation du régime de départ.

Nos résultats montrent que pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’augmenter les consommations de fruits et légumes, de féculents et de soja et de diminuer les aliments d’origine animale ainsi que les aliments gras et sucrés ou salés. Les modifications sont les mêmes pour tous les tertiles provégétariens, sauf pour le poisson, mais les amplitudes des modifications diffèrent.

b/ Discussion sur les résultats des régimes intermédiaires

Étape 0

Lors de l’étape 0, nous souhaitons obtenir des régimes alimentaires proches des régimes observés (minimisation des écarts à l’observé) et répondant aux contraintes nutritionnelles et de quantités d’items et de groupes d’aliments maximums. Nous observons que les régimes obtenus à la fin de cette étape sont légèrement plus végétalisés : ils contiennent en gramme un peu moins de poissons et produits laitiers et un peu plus de viandes. Les diminutions les plus importantes concernent en particulier les boissons sucrées et les aliments gras et sucrés. Ceci peut s’expliquer par les contraintes nutritionnelles incluses, limitant l’apport en sucres simples et en matières grasses. Sur des données représentatives de la population française (enquête INCA2), des chercheurs ont optimisé les régimes afin qu’ils puissent répondre aux recommandations nutritionnelles. Les solutions obtenues contenaient, par rapport à l’observé, plus de fruits, légumes, graines, légumineuses, fruits secs et noix, produits laitiers frais et poissons et moins de viande, fromage et snacks salés (255). On note un désaccord entre les résultats de cette étude et ceux que nous avons obtenu, sur l’évolution de la consommation de poissons. Ce désaccord peut s’expliquer par les contraintes que nous avons ajoutées pour que les régimes optimisés ne puissent pas contenir plus de deux portions de poissons par semaine, dont pas plus d’une portion de poissons gras. Cette contrainte permettait de tenir compte des enjeux pour la biodiversité et la toxicologie de la consommation de poissons.

Les régimes obtenus au terme de cette étape 0 sont pour la plupart à l’origine d’une augmentation d’impacts pour l’environnement par rapport aux régimes observés. D’autres études sur des régimes optimisés ou observés montrent qu’en effet un régime de bonne qualité nutritionnelle n’apporte pas toujours des bénéfices pour l’environnement (140,141).

Étape 1

Dans cette étape, nous avons souhaité diminuer les impacts sur l’environnement des régimes alimentaires sous contraintes nutritionnelles, de groupes alimentaires et de prix. Ainsi, les réductions obtenues des trois indicateurs environnementaux que sont les émissions de gaz à effet de serre, le

besoin en énergie et l’occupation des sols sont bien marquées. En moyenne, le score du pReCiPe après l’étape 1 est plus de dix fois moins élevé que pour le régime observé. D’autres études ont aussi documenté des solutions de régimes diminuant très fortement certains impacts environnementaux (les émissions de gaz à effet de serre ou le pReCiPe) tout en respectant un certain nombre de contraintes nutritionnelles (112,137). Néanmoins, les solutions après l’étape 1 sont très éloignées des habitudes alimentaires et ne seraient donc peut-être pas acceptables par la majeure partie de la population. En effet, au terme de cette étape, nous observons la disparition ou une réduction radicale d’un grand nombre de groupes d’aliments très couramment consommés.

Par l’introduction des contraintes nutritionnelles, nous constatons que le score du PANDiet est bien plus élevé après l’étape 1, mais la densité énergétique des régimes est plus élevée pour les trois tertiles de score provégétarien par rapport aux régimes observés. En effet, par la quasi-disparition des boissons chaudes, la masse du régime après l’étape 1 est beaucoup plus faible par rapport à l’observé, ce qui induit une densité énergétique des régimes plus élevée, malgré l’augmentation très importante de la contribution des fruits et légumes.

Étape 2

L’étape 2 avait pour objectif de maximiser la contribution des aliments biologiques dans les régimes en respectant les contraintes nutritionnelles, de composition, de prix et de limiter la dégradation de l’amélioration du pReCiPe obtenue après l’étape 1. Un des principaux résultats de cette partie est que nous sommes parvenus à obtenir des solutions de régimes contenant presque exclusivement des aliments issus de l’agriculture biologique, à un prix proche du régime observé et ce en respectant les contraintes nutritionnelles introduites dans le problème.

Solutions optimisées de régimes alimentaires finaux

Dans une dernière étape, nous avons utilisé la quantité d’aliments issus de l’agriculture biologique obtenue après l’étape 2 ainsi que du pReCiPe pour contraindre les solutions. La fonction objectif consistait à minimiser la somme des écarts à l’observé standardisée afin que nos solutions soient plus proches des habitudes observées et donc plus acceptables (selon notre hypothèse). Les solutions obtenues dépendent du caractère plus ou moins conservateur des scénarios. La réduction des émissions de gaz à effet de serre obtenue varie de 88% à 36%, selon les scénarios. En 2050, afin de respecter le facteur 4 de diminution des émissions de gaz à effet de la France, un Français ne pourra pas émettre en un an plus de 1,9 tonne de kgCO2eq (256). Dans le scénario le plus conservateur (scénario 0.75), les émissions de gaz à effet de serre lié à la production des régimes seront d’environ 1,04 tonne de kgCO2eq. Sachant que nous ne comptons pas les phases de transformation et de

transport, ce scénario sera peut-être insuffisant pour répondre à l’objectif de l’accord de Paris, d’autant plus que d’autres activités (transport, chauffage, etc.) sont également à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre et donc à prendre en compte. Les émissions moyennes de gaz à effet de serre sur un an des autres scénarios vont de 0,80 tonne de kgCO2eq par an à 0,20 tonne de kgCO2eq par an. Ces scénarios pourront être ainsi proposés pour répondre à l’objectif climtique. Le choix d’un des scénarios dépendra des contributions aux émissions de gaz à effet de serre des autres activités. La réduction des surfaces occupées pour la production alimentaire varie de 80% à 41% alors que celle de la demande en énergie varie de 75% à 47%. Les réductions plus faibles de la consommation d’énergie peuvent s’expliquer par la forte proportion de fruits et légumes dont la production peut nécessiter plus d’énergie que pour d’autres groupes d’aliments. Le modèle de production en agriculture biologique peut néanmoins permettre d’en consommer moins par rapport à un modèle de production conventionnelle (144).

Pour la plupart des groupes d’aliments, les tendances de consommation vont dans le même sens et c’est l’amplitude qui varie selon le scénario. Nous notons l’exception des noix et des légumineuses pour laquelle la consommation augmente dans les scénarios les plus conservateurs et diminue dans les scénarios les plus disruptifs, au profit du soja. Les produits à base de soja sont souvent très transformés (257) et on peut s’interroger sur la pertinence pour la santé, de conseiller ce type de produits plutôt que des légumineuses ou des noix brutes. De plus, la France est dépendante des importations de soja des pays d’Amérique du Sud où sa production est à l’origine de déforestation, et de nombreuses pollutions à cause des nombreux pesticides utilisés (258). En utilisant d’autres paramètres environnementaux, de marché économique ou de degrés de transformation des aliments, il est probable que nous aurions abouti à des solutions différentes. Il serait donc intéressant, de confronter les solutions de ce travail au regard du contexte, du fonctionnement et de l’évolution des filières agricoles françaises. De même, nos solutions de régimes contiennent une quantité d’aliments issus de l’agriculture biologique non négligeable. Aujourd’hui, nous pouvons penser qu’il s’agit d’une solution théorique et son application nécessiterait de modifier profondément les systèmes agricoles. Actuellement, les filières de production d’aliments issus de l’agriculture biologique sont trop faibles pour couvrir les besoins de toute la population (106,108). Préconiser une augmentation de la consommation d’aliments biologiques nécessite de réfléchir à comment organiser l’amont. Finalement, la consommation de viande de ruminants est absente de la plupart des solutions dans le cas des scénarios les plus disruptifs. Alors que la consommation moyenne des produits laitiers n’est que réduite par rapport à l’observé. Il serait pertinent d’évaluer si le cheptel nécessaire pour la production de cette quantité de produits laitiers et en adéquation avec les niveaux de consommation des viandes de ruminants dans chacun des scénarios. Certains auteurs

soulignent aussi l’intérêt de l’élevage de ruminants dans certaines zones non cultivables, comme en montagne, et pour les cycles de production en polyculture. Ces éléments n’ont pas été pris en compte dans l’écriture du problème d’optimisation bien qu’il soit intéressant à étudier. Certains auteurs ont tenté de tenir compte des coproductions dans l’écriture du problème d’optimisation (259), en se basant sur le nombre de veaux nécessaire pour produire une quantité moyenne de lait et la viande ainsi produite. Ils aboutissent alors à une réduction moindre de la consommation de viande de ruminant dans les scénarios qui tiennent compte de la biodisponibilité des nutriments et des liens de co-production (259). Néanmoins, les résultats obtenus dépendent beaucoup du coefficient utilisé pour lier la production de lait à celle de la viande, et donc du modèle de production de référence. De plus, ils n’ont pas de sens à l’échelle individuelle.

La question de l’acceptabilité doit également être soulevée. En effet, nous avons émis dans ce travail l’hypothèse selon laquelle plus les solutions de régimes sont proches des régimes observés plus elles seront acceptables. Néanmoins, une étude en neuroscience montre que la présentation de différents aliments n’active pas les mêmes zones du cerveau et ainsi induirait des comportements alimentaires différents (260). Ainsi, modifier la consommation de certains aliments lorsqu’ils ont une valeur affective ou culturelle forte pourrait certainement être moins acceptable. Dans l’écriture de la fonction objectif de réduction des écarts à la consommation, nous privilégions beaucoup de petites modifications. L’usage de la valeur absolue plutôt que du carré aurait apporté d’autres solutions privilégiant de grosses modifications, mais en nombre restreint. Il serait intéressant de comparer les solutions obtenues avec les deux fonctions objectifs.

Finalement, l’étude des potentiels conflits entre la contribution des aliments issus de l’agriculture biologique et la réduction des impacts environnementaux montrent que cette opposition apparaît uniquement pour des réductions extrêmes du pReCiPe, et restent d’ampleur faible. Il semble donc tout à fait possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la demande en énergie et l’occupation des sols tout en intégrant des aliments biologiques dans son régime.

Forces et faiblesses de l’étude

Notre étude à certaines limites que nous soulignons dans cette partie. Tout d’abord nous nous basons sur des régimes observés au sein d’une population de volontaires ayant des caractéristiques et comportements alimentaires propres à leur caractère de volontaires. Ainsi, nos solutions sont applicables pour cet échantillon. Elles nécessiteraient d’être questionnées si elles devaient être généralisées à l’ensemble de la population. De plus, les solutions que nous avons obtenues ont été influencées par les choix méthodologiques de fonctions objectifs, de contraintes, de scénarios et de

procédure. Néanmoins, le choix de présenter 5 scénarios nous permet d’imaginer une partie des solutions que nous aurions obtenues en faisant d’autres scénarios. De plus, nous avons travaillé sur un peu plus de 200 items ce qui est peu par rapport aux répertoires alimentaires et aux produits alimentaires disponibles en France, d’autant plus que l’usage de l’optimisation a tendance à réduire la diversité des régimes alimentaires. Aussi, il aurait été intéressant de pouvoir ajouter d’autres dimensions de l’alimentation dans notre problème, relative à la toxicologie ou à d’autres impacts environnementaux par exemple. Néanmoins, à notre connaissance c’est la première étude en France qui considère d’autres impacts environnementaux que les émissions de gaz à effet de serre. Aussi, nous n’avons pas pu distinguer la composition des aliments en fonction de leur mode de production, saisonnalité ou lieux d’achats. Enfin, il aurait été très intéressant de tester la validité de nos solutions en terme agronomique, en testant, par exemple les relations entre coproduits. Ce qui aurait pu également apporter des éléments de réponses sur les systèmes alimentaires nécessaires à la mise en place de ces régimes. Enfin, il aurait été pertinent de tester la faisabilité de nos solutions en sollicitant des diététiciens pour réaliser des menus à partir de nos solutions. Ce qui nous aurait permis de les tester auprès de volontaires. Cela peut constituer une perspective de ce travail.

Notre étude apporte de nouveaux éléments dans le domaine de recherche utilisant l’optimisation pour l’identification de régimes alimentaires plus durables, car nous avons pu mener l’optimisation à une échelle individuelle, des régimes alimentaires pour un grand nombre de participants présentant des profils variés. Ce qui nous a permis d’identifier et de distinguer des solutions selon les régimes de départ des participants. La non-représentativité de la population est aussi un atout, car elle donne accès à des profils potentiellement plus durables que ceux de la population générale. Aussi, le processus d’optimisation multicritère et hiérarchique mis en place dans cette étude est original et permet de définir plusieurs objectifs. L’étude des solutions intermédiaires apporte des éléments intéressants pour nos analyses.

VII Discussion générale