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Discussion des résultats au regard du contexte actuel

IV- Identification et caractérisation de comportements alimentaires plus durables au sein de la

2) Discussion des résultats au regard du contexte actuel

Au cours de cette thèse, nous avons identifié à partir des données observées, des connaissances et en nous basant sur la définition de l’alimentation durable de la FAO, des régimes alimentaires plus durables au sein de la cohorte NutriNet-Santé. Nous avons privilégié pour cette identification des indicateurs objectifs comme les émissions de gaz à effet de serre, ou la part du revenu allouée à l’alimentation. Néanmoins, par l’absence de certains indicateurs, nous avons parfois utilisé des indicateurs plus subjectifs. Ce fut le cas en particulier pour la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique que nous avons considéré être un proxy de la préservation de la biodiversité, d’une exposition réduite à certaines substances ou encore à l’écotoxicité.

Un grand nombre d’institutions ont parallèlement à ce travail de thèse proposé des comportements alimentaires durables. En 2016, la FAO avait noté que sur les 83 pays ayant publié des recommandations nutritionnelles pour la population, seuls 4 pays (le Brésil, la Suède, le Qatar et l’Allemagne) avaient pris en compte la durabilité dans leurs recommandations (97). Le Tableau 34 présente les recommandations de ces quatre pays (97). Nous retrouvons des éléments sur la proximité, la limitation de la consommation de viandes rouges et de poissons, des conseils sur le choix d’aliments peu transformés ou allégés en matières grasses et en sucre pour les produits laitiers et enfin des éléments sur l’organisation des prises alimentaires dans le ménage (favoriser le plaisir, la convivialité, le fait soi-même …).

Tableau 34: Recommandation nutritionnelle et d'alimentation durable de l'Allemagne, le Brésil, la Suède et le Qatar (Source : FAO, 2016)

Allemagne Brésil Suède Qatar

Fruits et légumes Choisir de préférence des aliments végétaux. Consommer 5 portions de fruits et légumes quotidiennement.

Manger principalement des aliments végétaux. Choisir des aliments locaux et de saison.

Consommer plein de fruits et légumes (au moins 500g/j). Choisir des légumes contenant des fibres.

Consommer des légumes dans plusieurs plats, dont les snacks.

Tenter de consommer entre 2 et 5 portions de légumes et entre 2 et 4 portions de fruits par jour.

Viandes Manger de la viande avec modération. La viande blanche est meilleure pour la santé que la viande rouge.

Tenter de restreindre vos consommations de viandes rouges. Manger moins de viandes rouges et de charcuteries (moins de 500g/ semaine). Uniquement une petite quantité doit être transformée.

Choisir les viandes maigres.

Limiter les consommations de viandes rouges à 500g/semaine. Éviter les charcuteries. Produits laitiers Consommer du lait et

des produits laitiers

Les produits laitiers qui ont été sucrés, colorés

Choisir des produits laitiers peu gras, non

Manger quotidiennement des produits laitiers

tous les jours. Choisir les produits laitiers peu gras.

ou parfumés sont des aliments ultra-transformés à limiter.

sucrés et enrichis en vitamine D.

Choisir ceux qui contiennent peu de matières grasses. En cas de non-consommation, A remplacer par des aliments riches en vitamine D et en calcium. Poisson Une à deux portions par

semaines.

Consommer du poisson deux à trois fois par semaine.

Varier les espèces entre poissons gras et maigres.

Préférer les produits de la mer labélisée pêche écologique.

Au moins deux fois par semaine.

Huile et matières grasses

Modérer les matières grasses et les produits gras.

Choisir plutôt de la matière grasse et de l’huile végétale.

Avec modération Choisir des huiles bonnes pour la santé, comme l’huile, les matières grasses ou margarines de colza.

Éviter les acides gras saturés, trans ou hydrogénés. Utiliser les huiles de colza.

Modérer les huiles de maïs ou de tournesol. Aliments transformés Limiter la consommation des aliments transformés. Éviter celles des aliments ultra-transformés.

Manger moins de fast food et d’aliments transformés.

Conseil

comportemental

Préférer les aliments cuisinez, cuit

rapidement en utilisant peu d’eau et de matières grasses. Utiliser des aliments, si possible frais (pour éviter les emballages). Prendre du temps et du plaisir à cuisiner. Manger régulièrement, et consciemment dans un environnement approprié et si possible avec d’autres. Développer des compétences en cuisine. Prendre le temps pour que les aliments et l’action de manger. Rester prudent devant les messages publicitaires ou de marketing. Essayer de maintenir une balance énergétique équilibrée en mangeant sans excès.

Construire des habitudes saines dans votre ménage en :

Mangeant à horaire régulier

Manger au moins un repas par jour ensemble. Rester un modèle pour vos enfants par rapport à l’alimentation et l’activité physique.

Peu après cette publication, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a publié un avis relatif à la révision des repères alimentaires français pour les adultes du futur Programme National Nutrition Santé. Cet avis s’appuie sur des rapports de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), des auditions d’experts, les résultats de Santé publique France sur la compréhension, la connaissance et l’acceptabilité des repères alimentaires et

les repères de consommation dans d’autres pays. Dans ces nouveaux repères français, des éléments relatifs à la durabilité des régimes alimentaires ont été ajoutés (261). Il est par exemple conseillé de privilégier pour certains groupes d’aliments, ceux dont le mode de production diminue l’exposition aux pesticides (par principe de précaution), de limiter sa consommation de viande rouge à moins de 500g par semaine, alors qu’il faudrait éviter de dépasser deux portions de poissons, dont pas plus d’une de poissons gras. Ces nouvelles recommandations promeuvent également les légumineuses.

Des institutions non gouvernementales ont également proposé des principes pour promouvoir une alimentation plus durable. Six principes pour une « planète en bonne santé » ont été communiqués lors de la campagne Livewell du WWF (World Wide Fund). Ces principes sont : privilégier les aliments d’origine végétale, gaspiller moins de nourriture, manger moins de viande, manger moins d’aliments transformés (riche en sel, matières grasses et sucres), manger des aliments avec un écolabel et manger varié. L’association Solagro est quant à elle partit des transformations des systèmes alimentaires français nécessaires pour répondre à des enjeux environnementaux et sociaux afin de proposer une nouvelle structure de régimes, présentée sous forme d’assiette.

La définition de la FAO sur laquelle repose la thèse s’inscrit dans le cadre d’un développement durable faible, car les composantes environnementales de la définition n’ont pas plus d’importances que les autres. Pourtant, dans la pratique et au niveau individuel, il est difficile de ne pas hiérarchiser les composantes en fonction de nos valeurs ou convictions. Certaines personnes sont plus sensibles aux aspects relatifs à l’environnement alors que d’autres veilleront préférentiellement à ce que les droits humains soient respectés. Dans nos travaux (analyse exploratoire et construction de l’indice), nous avons volontairement tenté de ne pas hiérarchiser les composantes, pour rester le plus proche possible de la définition de la FAO. Il faut néanmoins souligner que le manque de données reste une limite qui impose une hiérarchisation involontaire des composantes de l’alimentation durable. Certains travaux précédemment cités nous ont permis de justifier nos choix et de valider le SDI à partir d’éléments externes, montrant qu’avec des approches différentes, la plupart des tendances sur l’évolution de la structure des régimes est retrouvée. Les quelques éléments non cohérents avec la littérature, concernent notamment la consommation de poisson. Ceci peut se justifier par les choix méthodologiques des études de références.

Une bonne cohérence entre nos résultats et les comportements alimentaires proposés comme plus durables par d’autres approches apporte de la robustesse à nos résultats. En effet, comme souligné dans l’introduction, la définition d’un régime alimentaire durable comporte des éléments flous et subjectifs comme l’acceptabilité culturelle. Aussi, comparativement aux travaux en épidémiologie sur

la durabilité des régimes alimentaires, nous avons utilisé beaucoup d’indicateurs, ce qui nous a permis de rendre l’identification plus holistique (136). Il était donc important de nous assurer que notre approche et l’ajout de nouveaux indicateurs n’étaient pas en complet désaccord avec les travaux précédents.

D’autres études sur les comportements avaient pour objectif la création d’échelles pour évaluer les pratiques en termes d’alimentation durable (262). Les résultats de ces travaux nous informent par exemple du fait que l’achat de produits locaux et la vigilance sur la quantité d’emballages sont des comportements plutôt populaires auprès de la population alors que la réduction de la consommation de viandes l’est moins (262,263). Ces résultats varient probablement selon les populations constituant l’échantillon. Il était intéressant pour nous de travailler sur des données observées pour l’identification des comportements alimentaires plus durables, car ces données peuvent s’interpréter comme des comportements réels donc atteignables pour certaines personnes.

b/ Généralisation des résultats?

Ce travail de thèse s’appuie sur un échantillon de volontaires présentant des caractéristiques sociodémographiques marquées par une grande proportion de femmes, de personnes ayant fait des études supérieures, et de catégories socioprofessionnelles plutôt favorisées (211). Ces travaux sont donc sujets aux biais de sélection. L’engagement dans la cohorte NutriNet-Santé peut aussi dans de nombreux cas être un marqueur d’un intérêt pour la nutrition ou la santé. De plus, nous pouvons soupçonner que certaines personnes ayant répondu aux questionnaires envoyés dans le cadre du projet BioNutriNet portent aussi un intérêt pour les questions relatives aux enjeux agricoles. Il a été noté que par rapport à l’ensemble de la cohorte, les personnes ayant répondu aux questionnaires de fréquence de consommation des aliments biologiques étaient aussi plus souvent des hommes (26% vs 21%) et des retraités (36% vs 14%) (101).

La généralisation de nos résultats nécessite de la prudence, étant donnée la non-représentativité de l’échantillon d’étude et certainement l’absence ou la sous-représentation de certains comportements. En effet, sur un échantillon représentatif de la population française de 4100 individus âgés de 15 à 74 ans, un travail de typologie a permis de distinguer 8 groupes de comportements alimentaires durables (264). Ce travail met en avant une augmentation globale de l’engagement des Français pour une alimentation durable, mais il montre que les raisons d’engagement et leurs mises en œuvre sont de plus en plus opposées entre ces groupes. Les différences sociodémographiques déterminent en partie l’appartenance aux différents groupes de la typologie (264). On peut faire l’hypothèse que notre échantillon contient peu de « changez rien » :

groupe qui ne souhaite pas intégrer les enjeux du développement durable, perçus comme une contrainte ou une mode, alors que les « exemplaires » qui ont une vision globale du développement durable sont certainement plus nombreux.

De plus, nous ne pouvons pas écarter l’existence dans les réponses aux questionnaires des biais de désirabilité. Ces biais peuvent amener les participants à répondre selon ce qu’ils considèrent être socialement une bonne réponse. L’usage de questionnaire par internet et le processus d’anonymisation permettent de réduire ces biais (265). Néanmoins, il demeure probable qu’il existe un décalage entre les comportements et les déclarations. Les biais de mémoire, relatifs aux erreurs et oublis dans les déclarations, ont pu provoquer également des disparités entre nos données et la réalité.

c/ Interprétation des associations avec la santé

Les analyses sur les associations entre le score d’évaluation de la durabilité, le SDI et la santé (l’obésité, le surpoids, la prise de masse, les cancers, les maladies cardiovasculaires et les deux ensembles) reposent sur une approche observationnelle sujette aux biais de confusion. Même si les ajustements sur un grand nombre de covariables nous ont permis d’écarter les principaux biais de confusion. Les associations observées sont dépendantes de l’échantillon, et des analyses similaires devront être effectuées dans d’autres cohortes afin que des méta-analyses puissent confirmer ou infirmer nos résultats de manière plus robuste. De plus, l’approche observationnelle ne nous permet pas d’affirmer l’existence de liens de cause à effet même si des hypothèses pour expliquer nos résultats semblent probables.

Réduire les émissions de gaz à effet de serre de la production de son régime n’explique probablement pas directement la protection observée vis-à-vis de la survenue de certains événements de santé. Néanmoins, le niveau de durabilité du régime, compromis entre les indicateurs de la durabilité inclus dans le SDI, est associé négativement aux événements de santé. Ainsi les régimes les plus durables, caractérisés par des structures particulières des régimes et une contribution non négligeable des aliments issus de l’agriculture biologique au régime apparaissent déterminants pour la santé.

Il apparaît important de prendre en compte et de valoriser le compromis des différentes dimensions de l’alimentation durable plutôt que de mettre l’accent sur uniquement un ou quelques éléments. D’ailleurs, les fortes corrélations entre la plupart des indicateurs et l’indice global semblent refléter le

fait que des volontaires de la cohorte agissent déjà sur plusieurs éléments de l’alimentation durable à la fois.

d/ Usage de l’optimisation comme outil d’aide à la décision

Le travail d’optimisation réalisé dans cette thèse a permis de dégager cinq solutions plus ou moins conservatrices par rapport aux habitudes actuelles. L’approche individuelle qui a été retenue permettait de prendre en compte les différences de comportements alimentaires de départ. Néanmoins, l’interprétation des résultats et leur usage doivent être réalisés en considérant qu’il s’agit de solutions venant de la mise en œuvre d’un outil mathématique, laissant de côté de nombreuses considérations humaines. Ainsi, malgré le nom d’optimum que l’on donne volontiers à ces solutions, il est très important de pouvoir les remettre en question et de les tester en conditions réelles.

S’il fallait choisir entre les solutions des différents scénarios, il serait alors préférable que ce choix soit réalisé en prenant en compte l’ensemble des activités humaines qui ont des impacts sur l’environnement, ceci afin de définir la part des efforts à réaliser revenant à l’alimentation. Aussi, afin de garantir le « culturellement acceptable » de nos solutions, il semble important que le plus grand nombre de personnes puisse participer aux processus de décisions sur les choix de répartition.

e/ La question du bonheur

Avant ce travail de thèse, nous nous étions demandé si les personnes dont le régime contenait une large part d’aliments biologiques étaient plus heureuses (266). Plus particulièrement, nous nous étions basés sur la décomposition du bonheur de Diener, en trois composantes : la présence d’émotions positives, l’absence d’émotion négative et la satisfaction avec sa vie (267). Les deux premières composantes évaluent les aspects émotionnels et fluctuants dans le temps alors que la troisième composante peut se définir comme une évaluation globale de la qualité de vie d'une personne selon les critères qu’elle a choisis (267). Dans le travail sur les consommateurs d’aliments biologiques, nous avons travaillé uniquement sur la troisième composante, plus stable dans le temps. Nos résultats montrent une association positive entre la consommation d’aliments biologiques et la satisfaction avec la vie (266). Nous avions expliqué cette association par des motivations hédonistes (ressentir du plaisir) et eudémoniques (penser faire ce qui est bien) de la consommation biologique. Dans le cadre de cette thèse, nous n’avons pas pu explorer s’il y avait également des associations entre l’adoption de comportements alimentaires durables, évaluée avec le SDI, et la satisfaction avec la vie des participants de notre échantillon. Ce travail pourrait participer à l’explication des

associations avec la santé ; être heureux contribuant à une meilleure santé (268–272) et à l’identification des leviers pour favoriser l’adoption de ces régimes.

3) Perspectives pour la suite des recherches