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PARTIE 2 : INTERACTION PHAGE-BACTERIE

2.3 INTERETS DES BACTERIOPHAGES

Pendant longtemps les bactériophages ont eu une place d’honneur dans la recherche fondamentale qui les a utilisés comme organisme modèle. Ils ont ainsi joué un rôle dans de nombreuses expériences menant à des découvertes fondamentales de la biologie moléculaire. Par exemple, dans l’expérience de Hershey et Chase, des phages ont été utilisés pour confirmer la fonction de l'ADN en tant que molécule qui contient l'information génétique (Hershey et Chase 1952). Puis, l’existence d’un ARN messager portant l'information de l'ADN aux ribosomes a été mise en évidence en utilisant le phage T2 (VOLKIN et ASTRACHAN 1952). Enfin, la découverte des enzymes de restrictions bactériennes, ayant un rôle protecteur des bactéries lors d’infections phagiques, ont permis à Werner ARBER, Daniel NATHANS et Hamilton SMITH d’obtenir le prix Nobel en 1978. Cette découverte sera plus tard exploitée comme outils de génie génétique. Parmi d’autres contributions majeures à la génétique moderne, on trouve de nombreuses protéines phagiques telle que les ADN polymérases et les ligases qui sont utilisées comme outils de bases de la recherche fondamentale. Nous venons de voir qu’aujourd’hui encore, les bactériophages sont utilisés dans la recherche fondamentale pour l’étude par exemple des protéines membranaires bactériennes.

Cependant les bactériophages lytiques, par exemple ceux de la superfamille T4, ont la propriété d’être antibactérien. Ainsi, les phages qui ont un fort potentiel d’utilisation dans plusieurs domaines d’applications suscitent un intérêt croissant depuis les années 2000. En effet les bactériophages apparaissent comme des outils très attractif que ce soit dans l’industrie agroalimentaire pour le contrôle biologique des denrées alimentaires afin d’identifier d’éventuelle contamination bactérienne, ou dans le contrôle de l’eau, ou dans la

protection des plantes ou encore dans le contrôle environnemental de la microfaune et pour finir en médecine dans des applications en thérapie contre les infections bactériennes. Quelques applications innovantes seront présentées.

Tout d’abord l’industrie agro-alimentaire a envisagé d’utiliser les phages lytiques pour éliminer les bactéries potentiellement pathogènes. Ce processus de phagoprophylaxie serait appliqué dans la chaîne alimentaire depuis les élevages jusque dans l’industrie de transformation. En 2006, on observe aux Etats-Unis pour la première fois, l’utilisation d’une préparation à base de bactériophages, autorisée par l’autorité administrative FDA (Food and Drug Administration). Cette préparation permet de lutter contre la listériose en pulvérisant sur la viande un cocktail de six phages non génétiquement modifiés (http://intralytix.com/Intral_Food.htm).

Ensuite d’autres auteurs ont entrepris des travaux sur des enzymes purifiées de phages, appelées lysines, en vue de les utiliser comme agent antimicrobien. En effet, toute bactérie possède une couche de peptidoglycane qu’un phage doit être capable d’hydrolyser à la fin de son cycle infectieux pour libérer sa progéniture. La lyse par les phages fait intervenir deux protéines distinctes: la holine, qui est une protéine transmembranaire créant des pores servant de transporteur pour la deuxième protéine, la lysine qui a pour cible la couche de peptidoglycane. Cette lysine présente souvent la particularité d’être très spécifique pour la paroi cellulaire de la bactérie infectée. Les travaux effectués (Fischetti 2005) montrent une excellente efficacité des lysines contre les bactéries à gram positif dont le peptidoglycane est directement accessible du milieu extérieur. Par contre, ces lysines n’ont aucune efficacité contre les bactéries à gram négatif qui elles présentent un peptidoglycane séparé du milieu extérieur par une membrane externe. Bien que les lysines phagiques soient spécifiques, certaines le sont moins permettant d’envisager l’utilisation d’une même protéine pour lutter contre plusieurs souches d’une même espèce (O’Flaherty 2005). A ce jour, l’utilisation de telle protéine ont un avantage sur les bactériophages. En effet, la lysine phagique constitue un produit totalement identifié et bien caractérisé dont la production peut être facilement standardisée. En revanche, comme pour les antibiotiques, il est probable que les bactéries parviennent à modifier leurs cibles qui rendraient les lysines moins efficaces. Cependant, les travaux effectués à ce jour n’ont pas montré à quelle fréquence une telle résistance pourrait émerger.

Enfin, en médecine, les bactériophages offrent des possibilités intéressantes d’utilisation en thérapie. L’idée n’est pas nouvelle, puisque après la découverte des bactériophages, Félix D’Hérelle proposa de les utiliser pour combattre les infections bactériennes. Cependant avec l’arrivée des antibiotiques en 1945, et leurs grandes efficacités contre de nombreuses infections bactériennes, l’idée de développer la thérapie phagique a été abandonnée. Au même moment, certains pays à l’est du rideau de fer ont décidé de poursuivre l’utilisation des bactériophages dans le cadre de thérapie. C’est le cas par exemple, en République de Géorgie, à l’Institut George Eliava cofondé par D’Hérelle et Eliava dans les années 1920, où la phagothérapie est toujours employée et développée (Kutateladze et Adamia 2008 ; Bradbury 2004). Mais depuis l’émergence de bactéries pathogènes multi- résistantes aux antibiotiques et l’absence de nouveaux traitements efficaces, l’utilisation des phages suscitent un intérêt général croissant dans le monde médical et scientifique. Cet intérêt se traduit par la publication de plusieurs articles scientifiques récents évaluant la phagothérapie ainsi que l’organisation de colloques internationaux, tel que celui de l’Institut Pasteur de Paris en Novembre 2007 faisant le point sur cette méthode (Debarbieux et al., 2008). Il est à noter que les articles de thérapie phagique actuels traitent principalement des cas infectieux causés par des souches récalcitrantes à l’antibiothérapie ou fréquemment rencontrées en milieu hospitalier tel que Staphylococcus aureus (Matsuzaki et al., 2003 ; Capparelli et al., 2007), Pseudomonas aeruginosa (McVay et al., 2007) ou encore des Entérobactériaceae et particulièrement les souches pathogènes Escherichia coli (Tanji et al., 2005).

Lors du colloque à l’Institut Pasteur de Paris en Novembre 2007, une équipe de Nestlé® dirigé par H. Brussow a exposé son travail sur l’utilisation des phages lytiques de la superfamille du Type-T4 dans le traitement des diarrhées infantiles causées par des E. coli entéropathogènes. Il est exposé qu’in-vitro un cocktail de ces phages, isolés à partir de selles diarrhéique infectées, est capable de lyser plus de 80% des souches entéropathogènes d’E. coli. Des observations in-vivo sont ensuite obtenues chez l’homme. Des phages de Type-T4 administrés dans de l’eau de boisson, passent dans l’estomac puis l’intestin sans que la plupart des bactéries commensales ne soient affectées. Aucun symptôme n’est noté, aucune trace de phage n’est retrouvée dans le sang et aucune réponse immunitaire n’est détectée (Bruttin et Brussow 2005). Un article plus récent, (Denou et al., 2009) confirme ces résultats chez la souris et les complète par une étude du génome de certains de ces phages de la superfamille des T4 lytiques. En effet, un cocktail de trois phages administré oralement n’a aucun effet sur

la flore microbienne de l’intestin chez la souris et les phages ne sont pas retrouvés dans le sang, le foie et la rate. Aucun effet contraignant n’a été observé pendant le mois d’exposition à ce cocktail et la recherche d’anticorps anti-T4 dans le sang était négative. Ensuite, plusieurs génomes appartenant à des phages de sous-groupes du genre de type T4 ont été analysés contre une banque de données de gènes indésirables, tels que des gènes codant pour des facteurs de virulence, des toxines ou des mécanismes de résistance aux antibiotiques. Les résultats ont montrés que les génomes phagiques de cette superfamille sont en général assez conservés et aucun gène indésirable n’a été détecté. Du fait que ces phages, appartenant à la superfamille de T4, se propagent uniquement suivant un cycle lytique, les auteurs en concluent que de tels phages sont des « tueurs professionnels » et leurs propriétés et comportements in- vivo en font de très bons candidats pour une thérapie phagique dirigée contre tout pathogènes sensibles à ces phages.

Au vue des l’avancées actuelles exposées ci-dessus les bactériophages pourraient constituer une alternative aux antibiotiques. Toutefois l’utilisation commune des antibiotiques avec les bactériophages ne doit pas être écartée. En effet cette solution pourrait présenter plusieurs avantages. Tout d’abord, l’action des bactériophages pourraient permettre de diminuer rapidement la masse bactérienne qui serait par la suite facilement neutralisée par l’action d’antibiotique. La pression de sélection serait ainsi probablement atténuée et pourrait diminuer significativement la sélection de bactérie résistante. Ensuite, il est aussi possible que grâce à cette action commune phage-antibiotique le traitement soit plus efficace que chaque thérapie indépendante. Il serait donc intéressant de déterminer le comportement infectieux des phages face à leurs hôtes habituels affaiblies par la présence d’antibiotique.

L’utilisation des bactériophages dans le domaine médicale présente un intérêt certain et prometteur. Cependant il reste beaucoup à faire, notamment au niveau de la réglementation pharmacologique. En effet un phage n’est pas un médicament mais une entité biologique qui agit sur l’infection en se développant dans l’agent pathogène. Ainsi, la réglementation actuelle ne prévoit pas une éventuelle utilisation de virus bactériens comme traitement thérapeutique. La classification des bactériophages est en perpétuelle évolution et pour cause de nouveaux bactériophages sont découvert et de nouvelles technologies sont développées pour les étudier. La classification des bactériophages détaillée en introduction, montre clairement l’existence d’un réservoir important et très diversifié en bactériophages. Cependant, seulement une très faible partie d’entre eux ont fait l’objet d’études par exemple sur leurs cycles de vie, leurs

propriétés, ou leurs caractéristiques génomiques. Ainsi, il est fort probable que de nombreux phages, non étudiés, possèdent des propriétés intéressantes exploitables dans la recherche fondamentale ou appliquée comme ceux détaillées ci-dessus.

Parmi les phages les mieux étudiés, ceux appartenant au genre de Type-T4 ont la propriété d’être lytique et présente un fort potentiel d’utilisation comme nous avons pu le voir ci-dessus par exemple dans le domaine médical. Cependant l’interaction phage-bactérie et plus particulièrement les mécanismes contrôlant la spécificité des phages sont encore mal connus. La section suivante a pour objectif de présenter l’état des connaissances sur un déterminant majeur de la spécificité, l’adhésine, qui interagie avec les récepteurs présent à la surface de la membrane bactérienne.