• Aucun résultat trouvé

Dans les produits laitiers, l’évolution des conditions physico-chimiques et la disponibilité en nutriments influencent fortement le développement des micro-organismes. Ainsi, tout au long du processus de fabrication on observe une dynamique particulière à chaque population : certains micro-organismes se multiplient activement tandis que d’autres tendent à disparaître. Les interactions observées dans des cultures mixtes peuvent être classées en cinq catégories (Tableau 9), qui seront décrites de la plus néfaste à la plus bénéfique dans les paragraphes suivants.

PRODUIT LAITIER MICRO-ORGANISMES REFERENCES COMPETITION (A-, B-)

Yaourt S. thermophilus, L. delbrueckii subsp, bulgaricus (Zourari et al., 1992)

Produits laitiers Levures, bactéries (Narvhus & Gadaga, 2003)

(Nouaille et al., 2009)

AMENSALISME (A=, B-)

Produits laitiers Bactéries lactiques, Listeria monocytogenes (Balasubramanyam & Varadaraj, 1998)

Yaourt S. thermophilus, L. delbrueckii subsp, bulgaricus

(Balasubramanyam & Varadaraj, 1998) (Benkerroum et al., 2002)

Surface de fromage affiné Lactobacillus plantarum, Listeria

monocytogenes (Loessner et al., 2003)

PARASITISME (A+, B-)

Lait Bactéries, phages (Brussow, 2001)

(Sturino & Klaenhammer, 2004)

COMMENSALISME (A+, B=)

Produits laitiers Bactéries lactiques (Narvhus & Gadaga, 2003)

(Xu et al., 2005)

Yaourt S. thermophilus, L. delbrueckii subsp, bulgaricus,

bactérie propionique (Xu et al., 2005) Yaourt et produits laitiers Bactéries lactiques, bactéries propioniques (Xu et al., 2005)

Lait Levures, bactéries (Narvhus & Gadaga, 2003)

(Gadaga et al., 2001)

Surface de fromage affiné

Bactéries lactiques, Debaryomyces hansenii, Geotrichum candidum, Arthrobacter sp. Brevibacterium linens, Corynebacterium

ammoniagenes, staphylococci

(Mounier et al., 2005)

Lait fermenté, yaourt,

fromage Levures, bactéries (Viljoen, 2001)

MUTUALISME (A+, B+)

Yaourt S. thermophilus, L. delbrueckii subsp, bulgaricus (Courtin & Rul, 2004)

(Herve-Jimenez et al., 2009)

Produits laitiers Bactéries lactiques (Narvhus & Gadaga, 2003)

Lait Bactéries lactiques + Levures (Narvhus & Gadaga, 2003)

Surface de fromage affiné Différents types de moisissures, levures et

bactéries (Corsetti et al., 2001)

Tableau 9. Interactions microbiennes dans les produits laitiers

A : Micro-organisme 1 ; B : Micro-organisme 2 ; - : effet négatif ; = : pas d’effet ; + : effet positif.

Compétition

Lorsque plusieurs micro-organismes sont présents dans un même milieu, ils peuvent entrer en compétition pour certains nutriments. Ce type d’interaction est donc préjudiciable pour les deux populations, surtout si la ressource visée est en faible concentration.

Dans les produits laitiers, les acides aminés sont essentiellement sous forme de caséines. L’accessibilité à la source d’azote est donc souvent limitante, et les micro-organismes se retrouvent en compétition pour la faible fraction d’acides aminés et de peptides libres (Juillard

et al., 1995, 1996; Sieuwerts et al., 2008). Ainsi, les micro-organismes capables de dégrader

les caséines (protéases, peptidases et transporteurs) sont généralement dominants dans les produits laitiers.

En présence de Staphylococcus xylosus, la croissance de la levure Yarrowia lipolytica est fortement inhibée. Ces micro-organismes entreraient en compétition pour certains acides aminés (glutamate, proline,histidine, aspartate, alanine, thréonine, serine et glycine) (Mansour

et al., 2009). Cette hypothèse est soutenue par le fait que Y. lipolytica, qui est particulièrement

adaptée à la protéolyse, utilise préférentiellement les acides aminés libres comme source de carbone par rapport au lactate (Mansour et al., 2008).

Certains genres bactériens retrouvés dans l’écosystème fromager (Brevibacterium,

Arthrobacter, Corynebacterium ssp) possèdent des systèmes spécifiques (sidérophores) pour

capter le fer, (Noordman et al., 2006; Mounier et al., 2009). Ceci suggère l’existence d’une compétition pour le fer, celui-ci étant en faible concentration dans les produits laitiers (Gaucheron F., 2000).

Amensalisme

On parle d’amensalisme lorsque la croissance d’un micro-organisme inhibe celle des autres sans en obtenir de bénéfices. Cette inhibition résulte en général de la production de certains métabolites tels que le lactate, l’acétate et certains agents antimicrobiens (bactériocines) (Caplice & Fitzgerald, 1999; van de Guchte et al., 2001; Sieuwerts et al., 2008).

Les interactions de type amensalisme sont observées dans les produits laitiers. En effet, les bactéries lactiques produisent du lactate (voie homofermentaire) ou un mélange de lactate et d’acétate (voie hétérofermentaire) lors de la fermentation du lactose.

Ces acides organiques baissent le pH conduisant ainsi à l’inhibition de la croissance des bactéries appartenant au genre Listeria, Staphylococcus ou Clostridium et des bactéries des flores de surface acido-sensibles (Oh & Marshall, 1993; Holzapfel et al., 1995; Dahl et al., 2000).

Parasitisme

Le parasitisme est une interaction où un micro-organisme tire profit d’un autre au dépend de ce dernier. Les bactériophages des bactéries lactiques sont un exemple connu de parasitisme. Lors de la fermentation, les phages peuvent subitement conduire à la lyse des souches dominantes, causant ainsi une altération du produit fermenté mais aussi des importantes pertes économiques pour les industriels (Sieuwerts et al., 2008). Néanmoins, les phages portent dans leur génome des séquences permettant des transferts horizontaux de gènes entre populations bactériennes et accélèrent donc le processus d’évolution des communautés bactériennes. Ils contribuent à la diversité des cultures fermentaires mixtes (Weinbauer & Rassoulzadegan, 2004; Weinbauer, 2004).

Commensalisme

Le commensalisme est une interaction où un micro-organisme bénéficie de la présence d’un autre, sans que ce dernier en tire profit (Sieuwerts et al., 2008). Différentes études montrent l’impact positif des levures, principalement D. hansenii et G. candidum, dans la désacidification du fromage et donc dans l’implantation de bactéries acido-tolérantes. Ses levures consomment le lactate produit par les bactéries lactiques dans le caillé et dégradent les acides aminés libérant ainsi des métabolites alcalins tels que l’ammoniac. Ainsi, la flore bactérienne aérobie acido-sensible qui inclut B. aurantiacum, Arthrobacter spp, C. casei,

Micrococci et Staphylococci peut se développer (Mounier et al., 2008). Les levures et les

bactéries lactiques sont également capables d’excréter des nucléotides, des peptides ou des métabolites servant de substrats aux bactéries de surface contribuant au développement de la flore bactérienne (Roostita & Fleet, 1996b; Addis et al., 2001; Toelstede & Hofmann, 2009).

Penicilium roquefortii, Y. lipolytica et C. catenulata produisent dans le camembert ou les

fromages bleus, des acides aminés libres et des peptides qui favorisent la croissance de la flore bactérienne présente. Dans les fromages à pâte pressée cuite, les bactéries propioniques

se développent grâce à l’utilisation de l’acide lactique produit par les bactéries lactiques (Sieuwerts et al., 2008).

Mutualisme

Le mutualisme est une interaction dans laquelle tous les micro-organismes impliqués obtiennent un bénéfice. L’interaction entre S. thermophilus et Lactobacillus delbrueckii subsp.

bulgaricus, bien que très complexe, peut être classée dans le mutualisme. En effet, la vitesse

d’acidification et la croissance de ces deux micro-organismes dans le lait sont stimulées en cocultures (Amoroso et al., 1989; Spinnler & Corrieu, 1989; Herve-Jimenez et al., 2008).

Les hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène sont récapitulées Figure 20. En premier lieu, la forte capacité protéolytique de L. delbrueckii subsp. bulgaricus aurait un effet positif sur la croissance de S. thermophilus par la libération d’acides aminés libres à partir des caséines (Abu-Tarboush, 1996). A son tour, S. thermophilus stimulerait la croissance de L.

delbrueckii subsp. bulgaricus par la production de différents produits tels que le CO

2, l’acide formique ou l’acide folique (Ascon-Reyes et al., 1995). En effet, L. delbrueckii subsp.

bulgaricus est incapable de produire ces deux acides impliqués dans la biosynthèse des

purines. Ainsi, L. delbrueckii subsp. bulgaricus les assimilerait afin de produire les purines nécessaire à son développement.

Une étude récente semble étayer cette hypothèse. En effet, lorsque L. delbrueckii subsp.

bulgaricus est en présence de S. thermophilus, cette dernière réprime la voie de biosynthèse

des purines et sur-exprime un gène codant pour un protéine potentiellement impliquée dans le transport de xanthine et/ou uracile (Herve-Jimenez et al., 2008). Les auteurs suggèrent que L.

delbrueckii subsp. bulgaricus produit les purines et les excrète dans le milieu ; elles sont

S. thermophilus L. delbrueckii subsp. bulgaricus

Voie des purines Protéase extracellulaire

Caséines

Acide formique Acide folique Acides aminés libres

+

+

Figure 20. Exemple de mutualisme entre S. thermophilus et L. delbrueckii subsp. bulgaricus.