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Figure 20. Exemple de mutualisme entre S. thermophilus et L. delbrueckii subsp. bulgaricus.

II. D. 2. Communication cellulaire : le quorum sensing

La communication entre les micro-organismes via des signaux chimiques, bien étudiée chez les bactéries, est encore peu connue chez les levures. Monds et O’Toole (Monds & O'Toole, 2009) ont proposé une méthodologie pour identifier ces interactions : i) le signal excrété doit être bien identifié ; ii) le signal est non toxique pour la cellule cible aux concentrations physiologiques ; iii) il doit exister un mécanisme qui capte le signal et entraîne une réponse spécifique iv) cette réponse est dissociable du signal excrété ; v) un signal purifié reproduit la même réponse dans les conditions physiologiques ; vi) le signal est captable par la communauté.

Communication intra-espèce

La communication intra-espèce via des molécules chimiques (auto-inducteurs) répond en général à une densité cellulaire particulière du micro-organisme donné. Par conséquent, ce mécanisme a été nommé le quorum sensing (Sprague & Winans, 2006).

Acyl-Homosérine Lactone (AHL) qui se fixe sur un régulateur de type LuxR. Le complexe LuxR-AHL se lie à l’ADN et induit la transcription des gènes cibles (Waters & Bassler, 2005) (Figure 21-A). Chaque complexe est spécifique d’un micro-organisme, permettant ainsi une communication intra-espèce souvent associée à une détection de la densité cellulaire, et dans le cas de bactéries pathogènes à une induction de facteurs de virulence.

Chez les bactéries à Gram-positif, la communication se fait via des peptides et le plus souvent d’un système à deux composants (Figure 21-B) (Waters & Bassler, 2005). Ce système est composé d’une protéine histidine kinase appelée senseur qui transmet le signal à un régulateur. Suite à la fixation du peptide sur le senseur qui possède un domaine récepteur du signal et un domaine d’autophosphorylation, cette protéine se phosphoryle puis transfère le groupement phosphate vers le domaine receveur du régulateur de réponse. La majorité des régulateurs de réponse ainsi activés vont se lier à des régions d'ADN pour contrôler l'expression des gènes cibles.

Figure 21. Mécanismes du Quorum Sensing. A : Chez les bactéries à Gram négatif

B : Chez les bactéries à gram positif

AHL : Acyl-Homoserine Lactone, AI : Auto-Inducteurs. H : Histidine D : Aspartate. P : Phosphorylation

Adapté de Raina et al. (Raina et al., 2009).

Quelques exemples de quorum sensing sont récapitulés Tableau 10. Les exemples en rapport avec l’alimentation et les levures sont détaillés dans les paragraphes suivants.

Système à deux composants 1 : Senseur 2 : Régulateur Gènes cibles Gènes cibles AHL ABC transporteur

Précurseur des peptides AI Peptides AI

Micro-organisme Type de signal Réponse

Gram-négatif Vibrio fischeri AHL Bioluminescence Gram-négatif Pseudomonas aeruginosa AHL Virulence

Gram-négatif Lactococcus lactis ssp. lactis Bactériocine

(nisine) Protéine d’immunité, mort des cellules cible

Gram-positif Staphylococcus aureus Peptide Population faible : adhérence et colonisation Population forte : toxines et protéases

Levure Candida albicans (1) Tyrosol (2) Farnesol

Population faible : (1) filamentation Population forte : (2) sporulation

Levure Saccharomyces cerevisiae Phényléthanol

Tryptophol Morphologie cellulaire

Tableau 10. Exemples de Quorum Sensing.

Le quorum sensing a été observé chez certaines souches de L. lactis ssp. lactis. Cette bactérie alimentaire produit une bactériocine du genre lantibiotique : la nisine. Les lantibiotiques sont des peptides qui contiennent des acides aminés inhabituels généralement soufrés modifiés post-traductionnellement comme la lanthionine et la β-méthyl lanthionine (McAuliffe et al., 2001). La nisine est à la fois la molécule du quorum sensing, contrôlant ainsi son transport, sa propre régulation ainsi que celle des gènes impliqués dans l’immunité, mais aussi la réponse au quorum sensing par son rôle de bactériocine. La nisine tue les micro-organismes ne possédant pas le système d’immunité en formant des pores dans leur membrane cellulaire (Entian & de Vos, 1996; Kleerebezem, 2004).

Candida albicans est la levure la plus étudiée pour les phénomènes de quorum sensing.

Cette levure est un champignon pathogène humain dimorphique (mycélium et spores). Deux molécules de « quorum sensing » contrôlent sa morphogenèse (Figure 22-A et -B). Le tyrosol active la croissance et induit la formation du mycélium à faible densité cellulaire, tandis que le farnesol inhibe la forme filamenteuse à haute densité cellulaire. Le farnesol est sécrété proportionnellement à la quantité de cellules dans le milieu, ce qui permet au micro-organisme d’évaluer sa concentration cellulaire (Hornby et al., 2001; Nickerson et al., 2006). Un ajout de tyrosol dans le milieu réduit la phase de latence et induit la forme filamenteuse (Chen et al., 2004). La réponse de C. albicans face au farnesol a été étudié en parallèle morphologiquement et transcriptonnellement, ouvrant de nouvelles perspectives sur la compréhension de ce phénomène (Cao et al., 2005).

phényléthanol et le tryptophol. La production de ces molécules, qui exercent un rétrocontrôle sur leur production respective, semble être dépendante de la densité cellulaire (Chen & Fink, 2006). Le phényléthanol et le tryptophol sont induits lors d’une carence en azote, provoquant des changements morphologiques ainsi que l’induction du gène FLO11, impliqué dans le phénomène de floculation. Le tryptophol et le tyrosol sont des molécules produites par la voie d’Ehrlich, lors de la dégradation du tryptophane et de la tyrosine respectivement (Hazelwood

et al., 2008).

L’ammoniac pourrait aussi être une molécule du quorum sensing chez les levures (Palková & Váchová, 2003). En cas de carence azotée, on observe une augmentation du pH en corrélation avec la production d’ammoniac. Cette alcalinisation induit une inhibition de la croissance des levures qui rentrent ainsi en phase de latence, permettant aux levures de minimiser leur consommation d’énergie et donc d’être plus résistantes face au stress nutritionnel. Une fois la carence azotée levée la production d’ammoniac se réduit, provoquant une chute de pH et une induction de la croissance des levures (Palková & Váchová, 2003). De plus, l’inhibition de l’expansion des mycéliums de G. candidum dans un caillé modèle pourrait être due à la production d’ammoniac par Y. lipolytica (Mounier et al., 2008). L’ammoniac jouerait aussi un rôle dans la mort cellulaire programmée des levures. Ce système, surprenant chez des organismes unicellulaires, prend tout son sens via le quorum sensing. En cas de carence nutritionnelle chez S. cerevisiae, les levures situées au cœur de la colonie meurent, libérant ainsi des nutriments, au profit du reste de la colonie. Il a été mis en évidence que les colonies formées par des levures incapables de produire de l’ammoniac meurent plus rapidement (Váchová & Palková, 2005).

Communication inter-espèces

La communication inter-espèces impliquant des signaux chimiques entre les bactéries et les levures est très peu connue. Certaines molécules de « quorum sensing » comme des bactériocines jouent un rôle indirect sur cette interaction mais d’autres sont capables d’agir directement sur le « quorum sensing » d’une autre espèce. Le cas le mieux étudié est l’interaction entre P. aeruginosa et C. albicans. Ces micro-organismes sont des pathogènes opportunistes généralement présents dans les systèmes respiratoires de personnes immunodéprimées.

P. aeruginosa produit une Acyl-Homosérine Lactone (AHL) qui induit la production de

protéines confèrent à P. aeruginosa la capacité de se fixer uniquement sur la forme filamenteuse de C. albicans et peut tuer la levure grâce à ses facteurs de virulence. Mais la levure est capable d’intercepter l’AHL produite par P. aeruginosa et, pour se défendre, C.

albicans va favoriser la formation de spores par la production de farnesol (Hogan et al.,

2004). De plus, la production de farnesol par la levure réprime les gènes impliqués dans le « quorum sensing » de P. aeruginosa. Ces deux micro-organismes ont donc mis en place un système complexe via une signalétique moléculaire qui leur assure une co-existence au sein d’un environnement donné (Figure 22-C). Cet exemple montre la complexité qui existe dans les phénomènes de communication inter-espèces via des molécules chimiques (De Sordi & Mühlschlegel, 2009).

Mort de

C. albicans

(filament) A/ Interaction intra-espèce chez C. albicans

Farnesol

B/ Interaction intra-espèce chez P. aeruginosa QS Tyrosol Farnesol Filament Spore Temps Densité cellulaire QS Temps Densité cellulaire AHL AHL AHL Inhibition du QS chez P. aeruginosa C/ Interaction inter-espèces Farnesol (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Pseudomonas aeruginosa Candida albicans Virulence

Figure 22. Communication intra- et inter-espèces. QS : Quorum Sensing. AHL : Acyl-Homosérine Lactone.

(1) (2) : Equilibre entre la forme filament (basse densité cellulaire) sous l’action du tyrosol et la forme spore (haute densité cellulaire) de C. albicans sous l’action respective du tyrosol et du farnesol.

(3) : Stimulation des facteurs de virulence de P. aeruginosa sous l’action de l’AHL. (4) : P. aeruginosa activé par l’AHL tue C. albicans sous forme filament.

(5) : C. abicans capte l’AHL produit par P. aeruginosa. (6) : La détection de l’AHL provoque le production de farnesol par C. abicans, déplaçant l’équilibre vers la forme spore. (7) : Le farnesol inhibe le quorum sensing de P. aeruginosa.

Pour conclure, la transformation du lait en fromage résulte de nombreux savoir-faire ainsi que du développement d’un écosystème microbien complexe. Chaque partenaire de cet écosystème joue un rôle important dans la genèse des qualités organoleptiques fromagères, notamment par la modification des propriétés physico-chimiques (lait ; caillé ; fromage) et par la production de composés aromatiques. Parmi ces molécules, les composés soufrés volatils jouent un rôle primordial dans la flaveur des fromages à pâte molle à croûte lavée. La complexité du milieu (lait), des procédés de fabrication et de l’écosystème rend l’étude des micro-organismes difficile.

Afin d’obtenir des données génériques sur les micro-organismes d’affinage, leur interaction, ainsi que sur la genèse des composés soufrés volatils, nous avons choisi de structurer ce travail en trois temps :

- Réalisation d’un bilan de l’état des connaissances et reconstitution des voies du métabolisme du soufre chez les levures hémiascomycètes par analyse in silico.

- Etude approfondie du métabolisme du soufre chez deux levures hémiascomycètes,

Kluyveromyces lactis et Yarrowia lipolytica, par une combinaison de techniques

exploratoires (Transcriptome, Métabolome, Chromatographie en phase Gazeuse coupée à la Spectrométrie de Masse (GC-MS)).

- Etude de l’interaction entre deux micro-organismes d’affinages, Kluyveromyces lactis et Brevibacterium aurantiacum, par une approche transcriptomique couplée à l’analyse des modifications physiologiques et biochimiques.

RESULTATS-DISCUSSION