• Aucun résultat trouvé

Intensité de l’Effort et Motivation

La « motivational intensity theory » (Behm & Self, 1989) postule que les ressources mobilisées durant une tâche cognitive sont influencées par le principe de conservation de l’énergie. Dans le souci de ne pas gaspiller de ressources, l’individu ne va mobiliser que l’effort nécessaire à la réussite de la tâche. En se basant sur ce principe, il en découle une augmentation de l’effort proportionnelle à l’augmentation de la difficulté jusqu’à ce que le succès soit possible et justifiable. Lorsque le succès ne justifie plus une augmentation de l’effort, les individus se désengagent. Lorsque l’individu ne bénéficie pas d’informations le renseignant sur la difficulté de la tâche, il va alors évaluer l’effort à fournir en se basant sur l’importance du succès, en accord avec le principe de conservation des ressources avancé dans la théorie de Brehm et Self (1989). Tout en respectant les postulats de la « motivational intensity theory », il a été mis en évidence que la demande de la tâche, au point de vue ressource, influence l’activité cardiovasculaire durant l’effort (Obrist, 1981), permettant ainsi de quantifier l’effort investit durant la tâche.

151 3. Les Indices Cardiovasculaires et leur Implication dans la Mesure

Quantitative de l’Effort

Ne pouvant se limiter aux pourcentages de réponse correcte de même qu’aux temps de réaction pour quantifier l’intensité de l’effort mobilisé durant une tâche (Locke

& Latham, 1990), certaines recherches se sont tournées vers les mesures cardiovasculaires. Wright (1996) a intégré les observations d’Obrist (1981) au modèle de Brehm et Self (1989). En effet, Obrist (1981), a mis en évidence le lien entre activité cardiovasculaire et mobilisation de l’effort mental durant une tâche cognitive dans une approche « d’active coping » (lorsque l’individu a un contrôle sur la performance).

L’auteur a mis en évidence une augmentation proportionnelle de l’activité sympathique du cœur avec l’augmentation de la difficulté de la tâche. Plus précisément, c’est l’activité sympathique du cœur qui va stimuler et donc augmenter l’activité cardiaque pendant l’effort par le biais de l’activation des récepteurs β-adrénergiques présents sur la paroi du ventricule gauche du cœur (Brownley, Hurwitz, & Schneiderman, 2000). Parmi les différents indicateurs cardiovasculaires (pression artérielle, rythme cardiaque…), la période de pré-éjection (PEP) définie comme l’intervalle de temps entre le début de l’excitation électrique de la paroi du ventricule gauche et l’ouverture de la valve aortique se révèle être l’indice cardiaque le plus pertinent pour refléter l’intensité de l’effort (Kelsey, 2012).

Comme établi précédemment, les affects ont un impact sur les processus cognitifs générant les comportements humains et parmi eux la motivation. Il est donc sensé de s’intéresser à l’impact de stimuli affectif sur la mobilisation de l’effort mental.

4. Le Modèle « Implicit Affect Primes Effort »

Dans le domaine de la psychologie, de nombreux auteurs se sont intéressé à l’influence des affects sur le comportement humain (Aarts, Custers, & Marien, 1998;

Bargh, 1990; Baumann & Kuhl, 2005; Friedman & Forster, 2005 ; Isen, 1987, 2008). De nombreuses études ont ainsi investiguées l’influence de stimuli affectifs présentés de façon implicite sur le comportement (Custer & Aarts, 2005b, 2005a ; Dijksterhuis &

Aarts, 2010). Le modèle « Implicit-Affect-Primes-Effort » (IAPE, Gendolla, 2012) est un modèle postulant que l’affect présenté de façon implicite influence l’intensité de l’effort fournit durant une tâche cognitive. Basé sur de nombreuses études mettant en évidence le

152 fait que les stimuli à composante affective activaient en mémoire des concepts en relation avec les émotions (Quirin, Kazen & Kuhl, 2009; Förster & Liberman, 2007; Higgins, 1996; Niedenthal, 2008), le modèle IAPE suggère que les stimuli affectifs implicites vont activer en mémoire des connaissances associées à l’affect présenté en accord avec l’accessibilité des informations liée à la difficulté ou à la facilité. Le modèle IAPE postule que les affects positifs, associés à la facilité, mènent à évaluer la tâche comme facile. En accord avec la théorie de Brehm et Self (1989) précisant que dans un souci de conservation des ressources, nous mobilisons uniquement l’effort nécessaire, l’effort mobilisé sera peu élevé. Par opposition, les affects négatifs vont activer en mémoire des concepts liés à la difficulté, rendant la tâche subjectivement plus difficile. Cet effort va accroître jusqu’à ce que la tâche soit évaluée comme impossible à réaliser en accord avec la « motivational intensiy theory » de Brehm et Self (1989). Dans ce cas, l’individu se désengage.

Le modèle IAPE suggère également que les stimuli implicites de colère auront un effet similaire aux stimuli implicites de joie, ce qui pourrait sembler contre-intuitif si la littérature ne faisait pas état de particularités concernant la colère.

5. La Colère

La colère est définie comme un affect à valence négative caractérisée par un haut degré de réactivité. Cet affect est considéré comme faisant partie des six émotions de bases référencées dans la littérature scientifique des émotions (Kuppens, 2008).

Bien que catégorisé parmi les affects négatifs, les stimuli de colère partagent de nombreuses similitudes avec les affects positifs dans le domaine de la motivation, faisant de la colère un affect particulièrement intéressant. De nombreuses études ont en effet démontrés que la présentation de stimuli de colère activaient les mêmes zones cérébrales que les affects positifs (Harmon-Jones, 2003a ; Harmon-Jones & Allen, 1998). De plus, de nombreuses études suggèrent que les stimuli de colère entrainent un comportement motivationnel d’approche, à l’instar des affects positifs plutôt que négatifs (Carver &

Harmon-Jones, 2009 ; Carver & White, 1994 ; Harmon-Jones, 2003b). De même, les stimuli de colère entrainent un effet facilitateur sur l’attention en comparaison aux stimuli de tristesse dans une tâche de Stroop (Putman, Hermans, & van Honk, 2004). Plus pertinent encore, Lerner et Keltner (2001) ont mis en évidence un lien entre la colère et un haut degré d’optimisme. Les auteurs ont démontré que les individus ayant des

153 dispositions à la colère élevées étaient plus optimistes et rapportaient un plus grand sentiment de contrôle dans les jugements de situations ambigües que les individus avec une prédisposition à la peur. Un haut degré d’optimisme va entrainer une évaluation subjective faible de la difficulté de la tâche menant à une mobilisation de l’effort peu élevée en accord avec le modèle IAPE (Gendolla, 2012).

L’état actuel de la littérature sur la colère rend cet affect intéressant d’autant plus dans le domaine de la motivation, où l’influence de stimuli de colère sur l’effort n’a pas encore été établie.

6. Objectifs de cette Thèse

Ce travail de thèse a pour premier objectif de tester les prédictions du modèle IAPE, en particulier les hypothèses concernant l’influence d’amorces (« primes ») implicites de colère sur la mobilisation de l’effort. Plus précisément, cette thèse vise à démontrer l’effet modérateur des stimuli implicites de colère sur la mobilisation de l’effort durant une tâche cognitive. En s’appuyant sur la littérature rapportant que la colère, bien que catégorisée comme un affect négatif, conduit à des comportements motivationnel d’approche au même titre que les affects positifs. Composé de quatre études, ce travail de recherche s’est concentré sur la comparaison de deux stimuli affectifs à valence négative, la tristesse et la colère, permettant ainsi de mettre en évidence la particularité de la colère sur l’aspect quantitatif de la motivation. Le modèle IAPE suggère que les stimuli implicites de colère vont avoir un effet similaire aux stimuli implicites de joie, c'est-à-dire un effet modérateur sur la mobilisation de l’effort en comparaison aux amorces implicites de tristesse. Néanmoins, on peut s’interroger sur un éventuel effet facilitateur de stimuli implicites de colère durant une performance à une tâche cognitive. Le second objectif de ce travail de recherche est donc de démontrer l’impact facilitateur de la colère sur la mobilisation de l’effort. En effet, les amorces de colère seraient associées à la facilité, entrainant une faible mobilisation de l’effort.

7. Etudes Expérimentales : Objectifs et Descriptions

Les quatre études composant ce travail ont pour objectif de mettre en évidence l’effet modérateur des stimuli implicites exprimant la colère sur la mobilisation de l’effort. Les études présentées au travers de cette thèse se déroulaient en deux phases.

154 Après une phase d’habituation où les participants regardaient un film à valence neutre (un documentaire sur la Lituanie), la tâche cognitive (de type d2 ou Sternberg) d’une durée de 5 minutes était proposée. Afin de présenter les stimuli affectifs de façon implicite (26 ms), un paradigme expérimental intégré à la tâche était utilisé. Ces études ont dans un premier temps confirmé l’influence systématique des stimuli émotionnels implicite sur la mobilisation de l’effort déjà mis en évidence par de précédentes recherches (Gendolla &

Silvestrini, 2011 ; Lasauskaité et al., 2012 ; Silvestrini & Gendolla, 2011a, 2011b, 2011c).

Dans un second temps, ces études nous ont permis de corroborer les prédictions spécifiques à la colère du modèle IAPE.

Dans un premier temps, les études 1 et 2, se sont attachées à démontrer l’effet facilitateur de stimuli implicites de colère sur la mobilisation de l’effort durant une tâche cognitive en ajoutant une condition contrôle à l’étude réalisé par Gendolla et Silvestrini (2011). Basé sur l’étude de Putman, Herman et van Honk (2004) mettant en évidence un effet facilitateur de la colère sur l’attention dans une tâche de Stroop, nous avons prédit une intensité de l’effort moins importante dans la condition stimuli de colère que dans la condition contrôle ou des stimuli neutres sont présentés. L’intensité de l’effort la plus importante s’observant dans la condition stimuli de tristesse. Cette hypothèse se traduit par une réactivité de la PEP moins élevée dans la condition stimuli de colère que dans la condition stimuli neutre. La réactivité de la PEP la plus élevée devrait être observée dans la condition stimuli de tristesse.

L’étude 3, à investigué l’interaction entre amorces de colère et difficulté objective de la tâche. Cette seconde étude a manipulé deux types de stimuli affectifs négatifs (colère vs. tristesse) et deux niveaux de difficulté (facile vs. difficile). Nous avons alors prédit que dans le contexte d’une tâche facile, les stimuli implicites de colère entrainent un effort moins important que les stimuli implicites de tristesse. Les stimuli de colère vont entrainer une évaluation subjective de la difficulté de la tâche basse entrainant une intensité de l’effort basse. Par contre, ce pattern est inversé dans le contexte d’une tâche difficile. Dans ce cas, les stimuli implicites de colère entrainent un effort plus important que les stimuli implicites de tristesse. Les participants amorcés avec des stimuli de tristesse vont évaluer la tâche comme trop difficile et vont se désengager. Par opposition les participants primés avec des stimuli de colère vont évaluer la tâche comme difficile mais faisable et vont donc accroitre l’intensité de l’effort à mobiliser pour réussir la tâche.

L’étude 4 quant à elle, a investigué l’impact de la récompense (1 CHF vs. 15 CHF) conjointement à l’influence de primes affectifs implicites (colère vs. tristesse) sur la

155 mobilisation de l’effort lors d’une tâche à difficulté élevée. Nous avons prédit qu’une récompense élevée allait compenser le déficit motivationnel observé chez les participants primés avec des stimuli de tristesse. Cependant, nous prédisons également que les suggérant un effet facilitateur des stimuli implicites de colère durant une tâche cognitive.

En effet les deux expériences ont démontré que les stimuli implicites de colère entrainaient un effort moins important que les stimuli implicites neutres (expression faciale neutre). Les résultats des études 3 et 4 ont mis en évidence un effet modérateur des stimuli implicites de colère sur la mobilisation de l’effort. En effet, l’étude 3 a montré que lorsque la tâche est facile, les participants primés avec des stimuli implicites représentant la colère évaluent la tâche comme aisée et fournissent moins d’effort que les participants primés avec des stimuli exprimant la tristesse. Ces derniers évaluent la tâche comme difficile et fournissent plus d’effort. Cependant, lorsque la tâche proposée est difficile, on observe une augmentation de l’effort chez les participants amorcés avec des stimuli implicites de colère. Par contre, les participants amorcés avec des stimuli implicites de tristesse jugent la tâche comme trop difficile et l’effort à fournir comme non justifié. Il en résulte un désengagement qui se traduit par une faible intensité de l’effort mobilisé dans la tâche. Cette étude confirme les prédictions du modèle IAPE et corrobore les études mettant en évidence les particularités motivationnelles des stimuli de colère, faisant de la colère un affect plus proche des affects positifs que des affects négatifs dans le domaine de la motivation.

L’étude 4 quant à elle a investigué l’influence d’une récompense monétaire en cas de réussite de la tâche proposée. En comparant les stimuli implicites de colère aux stimuli implicites de tristesse, cette étude vise à démontrer que le désengagement observé dans l’étude 2 est due à un désengagement motivationnel et non un déficit cognitif. Cette étude nous a permis de confirmer nos hypothèses en montrant une intensité de l’effort plus

156 élevée dans la condition stimuli de tristesse/récompense élevée que dans les autres conditions expérimentales. La récompense monétaire basse (1 CHF) ne semble pas être suffisamment importante pour justifier une augmentation de l’effort pour les participants primés avec des stimuli de tristesse. De plus, les résultats de cette étude ont montré que la récompense monétaire, basse ou élevée ne semble pas être pertinente pour les participants primés avec des stimuli de colère. En effet, nous observons un effort déjà important dans la condition stimuli de colère/récompense élevée. En effet, les participants évaluant subjectivement la tâche comme difficile mais réalisable mobilisent l’effort en conséquence. Lorsque la récompense monétaire proposée est élevée, l’effort maximal justifié est déjà mobilisé pour réussir la tâche. La récompense s’avère alors être une information non pertinente pour une augmentation de l’effort.

Parmi les études réalisées dans le cadre de ce travail de thèse, les résultats récoltés dans chaque expérience suggèrent une influence implicite des stimuli affectifs sur la mobilisation de l’effort. En effet, les tâches de reconnaissance des stimuli ou les questionnaires ouverts réalisés durant les phases de débriefing révèlent que les participants ne reportent pas spontanément avoir vu des expressions faciales avant chaque item de la tâche. De plus, ils ne font pas état d’un lien entre les stimuli affectifs implicites et le but de l’étude, nous permettant d’affirmer que les participants ne sont pas

« conscients » de la composante affective des stimuli présentés de façon implicite ni de son impact sur la mobilisation de l’effort.

9. Conclusion et limites

Cette thèse confirme dans un premier temps la prédiction du modèle IAPE concernant l’influence de stimuli implicites de colère sur la mobilisation de l’effort durant une tâche cognitive. En effet les conduites au travers de ce travail de recherche à mis en évidence un effet modérateur de stimuli implicites de colère sur l’intensité de l’effort. De plus, cette thèse suggère, au vu des résultats des études 1 et 2, un effet facilitateur des stimuli implicites de colère durant une tâche cognitive. Bien que ces résultats restent fragiles, il est indéniable que les stimuli implicites de colère ont un effet modérateur sur l’effort comme nous l’avons démontré lors dans la seconde et la troisième étude.

La première étude ouvre la question de l’influence des stimuli affectifs implicites dans le temps. En effet, l’étude 1 révèle un effet des amorces à composante affective sur

157 la mobilisation de l’effort uniquement durant la première minute de la tâche. Les études issues de notre laboratoire font état de l’influence de stimuli affectifs implicites pour la durée totale de la tâche (Gendolla & Silvestrini, 2011 ; Lasauskaite, Gendolla, &

Silvestrini, 2012 ; Silvestrini & Gendolla, 2011a, 2001b). Néanmoins, ces résultats ne sont pas isolés puisque de récentes études ont montrées que l’influence du priming implicite affectif décroit dans le temps (Wong & Root, 2003 ; Winkielman, Zajonc, &

Schwarz, 1997).

De plus, une étude non rapportée dans ce manuscrit a été mené pour tenter de généraliser l’influence des stimuli affectifs sur la mobilisation de l’effort. De récentes études ont montré l’impact de mots exprimant l’action et l’inaction sur les réactions motrices (Albarracín et al., 2008) et sur la mobilisation de l’effort (Gendolla &

Silvestrini, 2010). Basé sur ces récentes études, nous avons tenté de répliquer cet effet facilitateur observé dans les études 1 et 2 en utilisant des mots exprimant les différents affects cibles (colère, tristesse et neutre). Cependant l’absence de résultats significatifs ne nous a pas permis de confirmer nos prédictions.

Pour conclure, ce travail de thèse a démontré un effet modérateur des stimuli implicites de colère sur la mobilisation de l’effort. De plus, nous avons également mis en évidence un effet facilitateur des stimuli de colère sur l’intensité de l’effort. Malgré quelques limites, il nous a été permis de fournir des évidences empiriques confirmant les prédictions relative aux stimuli implicites de colère du modèle IAPE et ainsi étendre l’influence particulière des stimuli de colère sur la mobilisation de l’effort durant une tâche cognitive.