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CHAPITRE I : Contexte scientifique et motivations

I.4. Intérêts de la zone d ’étude

I.4.1. Contexte géothermal de l’Anatolie occidentale I.4.1.1. Une région anormalement chaude

La région orientale de la méditerranée et plus particulièrement l’Anatolie occidentale en Turquie possède un potentiel géothermique considérable, dont la capacité installée actuelle est de 820,9 MWe4, la plaçant au 6ème rang mondial et au 2ème rang européen après l’Italie (916 MWe) [Bertani, 2015]. En Anatolie occidentale, aujourd’hui, cette capacité installée cumule l’exploitation des champs géothermaux de Kızıldere, Germencik, Sultanisar et Alaşehir. A titre de comparaison, la capacité installée à Bouillante en 2012 (Guadeloupe, France) est de l’ordre 15 MWe.

Outre son potentiel remarquable en sources chaudes (Fig. I.16a) et en champs géothermaux, l’Anatolie occidentale est une province géothermale importante marquée par des anomalies du flux de chaleur. Des études récentes [Erkan, 2014 ; 2015] indiquent des valeurs comprises entre 85 – 90 mW.m -2 allant jusqu’à 120 mW.m-2, proche de grabens comme ceux d’Alaşehir (nomé aussi Gediz) et le Büyük Menderes dans le Massif du Menderes. Cette province est considérée comme atypique dans la mesure où la source de chaleur des champs géothermaux est très débattue. En effet, la majorité des modèles géothermiques turcs suggèrent l’existence d’intrusions magmatiques cachées dans la croûte supérieure [Simsek, 1985 ; Filiz et al., 2000 ; Karamanderesi & Helvaci, 2003 ; Yilmazer et al., 2010 ; Bülbül et al., 2011 ; Özen et al., 2012 ; Özgür et al., 2015] comme c’est le cas à Larderello. Cependant, pour certains auteurs, l’absence de volcanisme actuel dans la région, à l’exception du magmatisme non différencié de Kula (Fig. I.16a), implique que l’origine des systèmes géothermaux de HT serait associée à une source de chaleur très profonde, sans avoir à invoquer des chambres magmatiques dans le croûte supérieure (0 à 5 km) [Faulds et al., 2010 ; Haizlip et al., 2013 ; Kocyigit, 2015 ; Kaya, 2015 ; Haklidir et al., 2015]. De récentes études sur la profondeur de l’isotherme de Curie (correspondant à la température à laquelle les minéraux ferro- et ferrimagnétiques perdent leur aimantation permanente) [Aydin et al., 2005 ; Bilim et al., 2016] montrent une anomalie de grande longueur d’onde localisée dans la croûte sous le Massif du Menderes. Cette anomalie de 580 °C est observée à de faibles profondeurs de l’ordre de ~ 8 à 10 km dans cette région (Fig. I.16b). Une anomalie thermique de cette

4 http://www.nortonrosefulbright.com/knowledge/publications/149911/geothermal-electricity-generation-in-turkey-large-potential-awaiting-investors

dimension ne peut être entièrement liée à des intrusions dans la croûte, surtout dans une région peu magmatique, et doit nécessairement trouver sa source plus profondément, donc dans le manteau.

Tous ces éléments confirment la présence d’anomalies thermiques régionales à différentes profondeurs selon les provinces qui font certainement appel à des processus d’ampleur régionale (i.e. lithosphère, asthénosphère…) impliquant donc des processus géodynamiques. Dans ces conditions particulières, l’activité tectonique dans la croûte supérieure va jouer un rôle fondamental dans la circulation des fluides géothermaux, permettant ainsi à la chaleur de s’évacuer au travers des zones perméables. En ce sens, l’Anatolie occidentale présente des analogies avec le Basin & Range aux USA, qui constitue une province géothermale importante [Faulds et al., 2009 ; 2012]. Nous reviendrons dans le chapitre II sur ce point central qui définit l’originalité de la thèse.

Figure I.16 : cartes de la Méditerranée orientale. (a) Compilation des sources thermales comprises entre 25 et 100 °C projetées sur une carte de la zone d’étude montrant l’activité magmatique depuis le Miocène jusqu’à l’actuel. (b) profondeur de l’isotherme de Curie, correspondant à une température de 580 °C. Ces données résultent d’une compilation de plusieurs études [Tselentis, 1991 ; Stampolidis & Tsokas, 2002 ; MTA, 2005 ; Aydin et al., 2005 ; Mendrinos et al., 2010 ; Andritsos et al., 2015].

I.4.1.2. Une région marquée par de nombreux gisements métalliques

La région Méditerranéenne a connu une histoire géodynamique complexe (voir ci-dessous), marqués par différentes provinces magmatiques [e.g. Pe-Piper & Piper, 1989 ; 2006 ; Altherr & Siebel, 2002 ; Keskin, 2003 ; Marchev et al., 2004a ; Harangi et al., 2006 ; Agostini et al., 2007 ; Dilek & Altunkaynak, 2009 ; Stouraiti et al., 2010 ; Bolhar et al., 2010 ; Seghedi et al., 2013 ; Ersoy & Palmer, 2013]. Ces différents épisodes magmatiques ont généré la formation de plusieurs provinces métallifères [e.g. Janković, 1997 ; Berza et al., 1998 ; Heinrich & Neubauer, 2002 ; Skarpelis, 2002 ; Marchev et al., 2005 ; von Quadt et al., 2005 ; Yigit, 2009 ; 2012], dont les relations avec la dynamique de subduction ont fait l’objet de plusieurs études ces dernières années [Richards, 2014 ; Menant et al., 2016a ; b]. En effet, Menant et al. [2016a ; b] montrent que les processus mantelliques et crustaux, liés à cette dynamique tridimensionnelle (3D) de la subduction hellénique, favorisent la genèse de concentrations métalliques (i.e. Au et Cu). A partir de reconstructions cinématiques de cette région et de modèles numériques, ces auteurs décrivent la succession des contextes métallogéniques en relation avec l’histoire des événements géodynamiques en 3D : (i) une province riche en cuivre, qui s’est développée dans un environnement d’arc au Crétacé supérieur (Fig. I.17a) ; (ii) à l’Oligocène-Miocène, une province riche en plomb-zinc puis en or, s’est également mise en place dans un contexte d’arrière-arc (Figs. I.17b et

I.17c). Ces épisodes fertiles sont principalement contrôlés par le retrait du panneau plongeant, qui favorise le développement d’un domaine aminci arrière-arc dans la lithosphère par le biais de flux asthénosphériques complexes en 3D et par la déchirure du slab induisant des vitesses de recul différentes selon la portion de slab. Bien que ces études apportent de nouvelles contraintes sur les processus thermiques en 3D, elles se focalisent principalement sur l’évolution du magmatisme et des ressources minérales (e.g. gisements fossiles comme les porphyres/épithermaux). Mais très peu d’études font le lien avec les ressources géothermales actives, et donc sur l’évolution thermique sur le long terme et le court terme d’une zone de subduction marquée par une dynamique 3D complexe. C’est l’objet principal de cette thèse.

Figure I.17 : cartes paléotectoniques de la Méditerranée orientale extraites du modèle de reconstruction cinématique de Menant et al. [2016a], mettant en évidence la distribution spatiale et temporelle des occurrences minéralisées depuis le Crétacé supérieur jusqu’au Miocène. CACC : Central Anatolian Crystalline Complex.

I.4.2. Contexte géodynamique et géologique

Par ailleurs, l’engouement scientifique suscité par la dynamique de subduction, qui présente une évolution tectonique et magmatique complexe, a donné lieu à de très nombreuses études dans le domaine oriental méditerranéen, mais également en Anatolie occidentale. Ainsi, ces études se traduisent par une base de données exceptionnelle, tant du point de vue de la géodynamique que de la connaissance de la structure du manteau (i.e. tomographie sismique, anisotropie sismique, épaisseur de la croûte …) ou de la cinématique actuelle (GPS) ou passée (reconstructions) [e.g. Biryol et al., 2011 ; Reilinger & McClusky, 2011 ; Becker et al., 2012 ; Karabulut et al., 2013 ; Vanacore et al., 2013 ; Faccenna et al., 2014 ; Jolivet et al., 2013 ; Menant et al., 2016a ; b].

Le contexte géodynamique de la zone appartient au système téthysien qui se caractérise par une zone de subduction océanique à vergence nord sous l’Eurasie. Durant cette période, plusieurs blocs continentaux se sont successivement accrétés (i.e. l’Apulie, l’Arabie et l’Inde), impliquant des épisodes de subductions et/ou de collisions continentales qui ont engendré la formation de nombreuses chaines

orogéniques comme les Alpes et le Zagros. La région méditerranéenne, plus particulièrement sa partie orientale, témoigne de ces épisodes successifs ou plusieurs écailles crustales se sont accrétées formant un prisme orogénique (i.e. la chaîne des Hellénides-Taurides) [Le Pichon & Angelier, 1979 ; Bonneau & Kienast, 1982 ; Jolivet et al., 2003 ; Van Hinsbergen et al., 2005 ; Brun & Sokoutis, 2010 ; Jolivet & Brun, 2010]. Suite à un changement drastique des conditions limites de la dynamique de subduction vers 35 Ma, un mouvement rétrograde de la lithosphère subductée se développe dans l’asthénosphère, permettant ainsi le développement d’un large domaine d’arrière-arc anormalement chaud [e.g. Jolivet & Brun, 2010]. En réponse à ce retrait, les contraintes extensives ont engendré l’effondrement partiel de la chaîne dont la région du Menderes et des Cyclades reflètent la morphologie (Fig. 1.18a). Cette extension post-orogénique orientée N-S à NE-SW est assistée par des failles normales à faible pendage qui permettent l’exhumation de roches métamorphiques sous la forme de dômes [Lister et al., 1984 ; Urai et al., 1990 ; Gautier et al., 1993 ; Sokoutis et al., 1993 ; Bozkurt, 2001 ; Bozkurt & Oberhänsli, 2001 ; Vanderhaeghe, 2004 ; Bonev et al., 2006 ; Brun & Sokoutis, 2007 ; Brun & Faccenna, 2008 ; Gessner et al., 2013 ; Jolivet et al., 1994 ; 1999 ; 2004 ; 2013]. Un second épisode majeur, correspondant à une probable déchirure du panneau plongeant égéen sous l’Anatolie, est suggéré dans la littérature (voir localisation dans la figure I.18b). Bien que l’âge de cette déchirure soit débattu (Eocène pour l’étude de Govers et al. [2016] et Miocène pour l’étude de Menant et al. [2016a]), les images issues de la tomographie sismique [De Boorder et al., 1998 ; Piromallo & Morelli, 2003 ; Govers & Wortel, 2005 ; Li et al., 2008 ; Biryol et al., 2010 ; Salaün et al., 2012 ; Delph et al., 2015], la distribution spatiale et temporelle du magmatisme, ainsi que son évolution géochimique [Dilek & Altunkaynak, 2009 ; Jolivet et al., 2015 ; Menant et al., 2016a] sont des marqueurs majeurs en faveur de son existence. Selon Wortel & Spakman, [2000], cette fenêtre mantellique favoriserait la migration de matériau chaud et profond associé à l’asthénosphère vers la base de la lithosphère et/ou de la croûte. Nous reviendrons dans le chapitre IV sur la géométrie de cette déchirure.

Figure I.18 : cartes de la Méditerranée orientale. (a) carte tectonique et métamorphique de la Méditerranée orientale montrant les principales structures actives, extensives à faible pendage, chevauchantes constituant la chaîne des Hellénides et des Taurides (lignes noires) et les principales zones de suture océanique (lignes épaisses bleues). Les principaux dômes métamorphiques de HT sont également représentés. Modifiée d’après Jolivet et al. [2013]. (b) carte de variations de vitesses des ondes sismiques P à 200 km de profondeur [Biryol et al., 2011]. Dans le domaine Anatolien, les étoiles blanches représentent les anomalies de vitesse négative (rouge) pouvant être interprétées comme des déchirures ou détachement des lithosphères subduites.

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